C’est tout droit!

«Pour te rendre à Jamaâ El Fna, c’est facile: tu vas par là, et puis c’est tout droit, toujours tout droit.»

C’est ce que m’a dit mon cher ami Larbi hier soir, quand il m’a laissée devant la porte du riad que j’occupe pratiquement seule.

Non que je tinsse (un imparfait du subjonctif, ici, juste pour le fun) à me rendre à tout prix à cette place mythique de Marrakech, mais il faut bien un but dans la vie.

Or, dans la médina, RIEN ne va «toujours tout droit». Je me suis donc évidemment perdue, ce qui m’a permis de passer par toutes sortes de quartiers d’artisans ou de marchands où j’étais souvent non seulement la seule femme, mais la seule personne occidentale. Pas de tourisme, ici, dans ces ruelles où les hommes marchandent les peaux de mouton, de chèvre, de chépasquoi, ou martèlent le cuivre et le laiton à grand bruit.

J’avais probablement dans la face ce sourire émerveillé et tranquille qui me permet de me faufiler presque partout. En fait, J’ÉTAIS émerveillée et tranquille.

Évidemment, je me suis fait aborder par un gentil jeune homme qui a prétendu me montrer la médina en toute amitié et qui l’a fait, non sans m’emmener chez un ou deux marchands de sa connaissance, qui lui versent une commission si j’achète quelque chose. Mais je n’achète jamais rien parce que je sais que ce sont des pièges à touristes. On peut tout de suite flairer l’affaire à entendre le vendeur débiter son texte par coeur, à voir la jeune fille prendre sa place automatiquement devant son métier à tisser, son moulin à noix d’argan, que sais-je. J’écoute tout, je les remercie poliment et je sors. Je devrais peut-être ne pas entrer? Je ne sais jamais comment agir dans ces cas-là.

Donc ce gentil jeune homme a fini par m’abandonner, bien sûr, mais non sans que je lui demande instamment de m’indiquer le supposé chemin pour sortir de ce labyrinthe. Excusez le cliché, mais c’est absolument de ça qu’il s’agit. Un labyrinthe, avec des tas de rues sans issue. Larbi m’a expliqué que le mot «derb» désigne toujours un endroit sans issue. Comment voulez-vous qu’on s’en sorte?

J’ai tout de même fini par aboutir sur la grand-place, où un cireur de chaussures m’a hélée. «Tu crois que c’est nécessaire?» ai-je dit en rigolant. Il m’a fait un signe entendu en désignant mes pieds fourbus. Genre: «J’pense que c’est évident!»

Vrai que mes chaussures avaient l’air du diable. «Combien demandes-tu?
– Ce que tu veux!
– Ce que je veux? Vraiment?
– Oui, ce que tu veux!
– Très bien, allons-y. Yallah!»

J’ai pensé que, pour dire ça, il devait vraiment être désespéré.

Son voisin l’a engueulé, probablement parce qu’il coupe les prix. Mais j’ai remarqué les béquilles couchées près de lui, et il avait un bon regard, et il a été hyper gentil, alors je lui ai donné, euh… je ne sais plus combien, mais j’espère que c’était plus que ce à quoi il s’attendait.

J’ai aussi acheté deux petits paquets de papiers-mouchoirs (parce que je suis de nouveau enrhumée, figurez-vous donc) à une jeune femme accompagnée de deux ou trois enfants, qui s’est aussi fait engueuler par d’autres femmes. Je ne saurai jamais pourquoi. J’aurais dû le lui demander.

Finalement, j’ai fait cirer mes chaussures en pure perte puisque, pour rentrer en mon palais, j’ai dû marcher dans un dédale de rues rendues boueuses par la pluie de la nuit dernière. Et si j’ai marché! Mon téléphone m’avait lâchée, je n’avais plus aucun repère… Je n’ai réussi à retrouver mon chemin que grâce à un monsieur à qui je l’ai demandé, et c’était bien la seule chose qu’on pouvait demander à cet homme qui, manifestement, n’avait rien mais qui était prêt à tout donner.

Le Maroc est comme ça.

Il m’a consciencieusement conduite à bon port avec une grande gentillesse. Nous avons échangé nos vocabulaires respectifs (ses dix mots de français, mes dix mots d’arabe), et je regrette seulement d’avoir eu à chercher dans mes poches les dirhams qu’il espérait, parce que j’aurais voulu lui épargner l’humiliation d’avoir à demander.

Je m’apprête à dormir, les deux chats de la maison ronronnent sur mon lit douillet, la nuit sera bonne.

3 réflexions sur “C’est tout droit!

  1. Avant de partir, laisse-toi donc tenter. Oui, c’est vrai qu’ils font tout un tra-la-la pour nous intéresser, mais au fond, lorsqu’on considère le prix qu’il nous demande et qu’on compare avec le même type d’objet de Salon des métiers d’art de Montréal, et bien c’est sacrément moins cher et souvent plus beau……Depuis mon propre voyage je vis avec un miroir et des grades assiettes ouvragées avec de l’argent et je les adore, tout simplement; ceci depuis + de 20 ans!!!

    Mais je comprends que ce soit difficile, là parfois, de ne pas se sentir « poursuivie et manipulée »; c’est le cumul qui nous fait parfois décrocher et douter……surtout lorsqu’on est une femme voyageant seule.

    Bonne fin de séjour, Fabienne!

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