
Pardonnez cette très mauvaise photo: tant la lentille de mon téléphone que mes lunettes se couvrent d’embruns au bout d’une demi-heure au bord de la mer.
Je m’en rends compte pour les lunettes, évidemment, mais j’oublie souvent le téléphone.
Peu importe: l’essentiel est ce qui suit.
Aujourd’hui, fidèle à mes petites habitudes, je me suis rendue au bar El Brujo, où je peux m’assoir à l’ombre et lire tranquille moyennant une ou deux Modelo Especial (43 pesos chacune, soit un peu plus de 3$).
Je l’ai déjà dit, j’aime cet endroit parce qu’il est fréquenté essentiellement par des Mexicains, et aussi parce que, à force, je me suis un peu attachée à certains vendeurs itinérants.
Ainsi en est-il d’Ismael et de son petit frère Fabian, à qui j’avais acheté les animalitos de la ménagerie dont je vous ai parlé l’autre jour.
Je n’avais alors pas eu la présence d’esprit de leur demander leurs noms ni de les prendre en photo.
Mais voici que désormais, quand ils passent, ils s’arrêtent pour me saluer. C’est Ismaél qui prend l’initiative: il se matérialise soudain à mon côté, et Fabian, qui le suit comme un petit chien, arrive bientôt sur ses talons. Nous causons:
— Comment a été ta journée, Ismaél? Tu as vendu un peu, aujourd’hui? — Oui. — Plus qu’hier, alors? — Oui. — Ah, je suis contente! Et qu’as-tu vendu le plus? Il me montre les animalitos.
— C’est ce que je préfère dans ta marchandise, tu sais. Je vais toujours me souvenir de vous deux grâce à ça, quand je serai rentrée chez moi.
Il me regarde de ses beaux yeux doux comme un velours, je ne sais trop ce que je dois y lire.
Les deux acceptent de s’assoir brièvement, le temps d’une petite pause, et puis Ismaél, sérieux et affairé, déclare qu’ils doivent retourner travailler.
N’oubliez pas que ces gamins ont respectivement 8 et 6 ans.
Aujourd’hui, vers 16h, Fabian arrive vers moi et me demande, de but en blanc: « Est-ce que tu sais jouer aux dominos? »
— Euhhh, oui, pourquoi?
— Tu veux faire une partie?
— Hein?
— Veux-tu jouer aux dominos avec nous?
— Ay, claro que si!
Et voilà Fabian qui sort un petit jeu de double-six, qu’il garde dans une poche latérale de son sac à dos.
Une fois l’affaire conclue, Ismaél arrive à son tour. C’est lui qui détermine les règles: qui commence, combien on pige de dominos, à qui le tour.
Les dominos sont légers et minuscules, impossible de les placer debout comme nous faisons chez nous: le vent fou du Pacifique les abat inévitablement. Les garçons me montrent comment les tenir tous dans une main, ce qu’ils font avec aisance malgré leurs petits doigts, alors que mes grosses pattes n’y arrivent pas.
Fabian ne sait pas encore très bien compter, mais Ismaél l’aide gentiment.
On a joué trois parties, je n’en ai gagné aucune.
Après la deuxième, Ismaél m’a prévenue: la prochaine serait la dernière, parce qu’ils devaient retourner travailler. Ce qu’ils firent, non sans me demander si je serais là aussi demain.



Je ne sais pas si j’ai bien fait, mais je leur ai donné à chacun une pièce de 5 pesos, pour les remercier d’avoir pris de leur temps pour moi.
Cinq pesos, ce n’est rien. Même pas 1$. Mais la question n’est pas là.
Ces enfants ne vont manifestement pas à l’école. Ismaél sait écrire son prénom et il sait compter, mais il ne peut pas (ou ne veut pas) me dire son nom de famille.
La question est surtout: que suis-je en train de faire?
Un beau moment que cette partie de domino. Tout simple. Que fais-tu? Prendre le risque de créer des liens. On ne sait jamais où cela peut nous mener bien sûr. La vie, quoi!
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