Bientôt le Bénin

La vie à Sô-Ava n’a rien de simple.

Je ne pensais pas y retourner. Non pas parce que je ne le souhaitais pas. Mais parce que, comme je dis toujours, le monde est vaste, la vie est courte, et on n’a pas le temps de remarcher dans les vieilles trails. Sauf que, parfois, la vie te donne la chance de réexplorer ce que tu pensais ne jamais revoir, alors, bon, pourquoi pas? 

Ça fait que je retourne au Bénin pour deux mois, et je ne sais absolument pas ce qui m’attend là-basJ’y serai seule, ce qui, déjà, change absolument tout. Femme blanche ne sort pas seule le soir. Femme blanche ne va pas seule à la plage. 
Bon, femme blanche trouvera sans doute des compagnes et compagnons pour vivre sa vie.

Et deux mois, c’est court. Et je serai si heureuse de retrouver mon beau Bénin et ma chère Pélagie, ainsi qu’Isidore et Fidélia, et aussi Sabine, Brigitte, Théodore, et toutes ces personnes que j’ai aimées. 

Avec un peu de chance, les jeunes gens avec qui je travaillerai seront curieux et heureux de participer à mes petits ateliers, heureux de sortir de leur quotidien. Là-bas, dans ce village lacustre où le choléra et la malaria sont des ennemis de chaque jour, la vie n’a rien de simple. En même temps, si tu ne sais pas vivre simplement, tu n’y survis pas. Comme quoi la simplicité est un concept tout relatif…

Je serai basée à Cotonou parce que, à Sô-Ava, ce serait trop compliqué (voyez-vous?). 

Cotonou, une ville sans aucun (AUCUN) charme, une ville infestée de motos, d’églises évangéliques où les prêtres beuglent du matin au soir le dimanche et de mosquées qui te réveillent à 5h du matin, Cotonou où les rues de sable, qui n’ont pas de nom, deviennent des cloaques en saison des pluies, où tu traverses les carrefours en sautillant d’un bloc de ciment à un autre. Cotonou  dont le bord de mer, dans la ville immédiate, est le terrain d’un bidonville où il n’y a évidemment ni eau ni égout. 

Mais hé. J’ai ADORÉ ma vie à Cotonou! Les marchandes de rue, les fruits délicieux, les arachides bouillies, les enfants qui chantent «Yovo, Yovo…», les gens qui sourient, le colonel sous son manguier, les rides de taxi-brousse. Et aussi, bien sûr, la vie avec Pierre, chose qui ne reviendra pas. 

Avec un peu de chance, j’irai au marché avec Pélagie acheter de quoi faire ce bon crincrin dont elle a le secret et que nous mangerons en famille. Avec un peu de chance, j’irai à Grand-Popo voir Gildas au Lion’s Bar, et je pousserai un peu jusqu’à Lomé chez mes amis Leiza et Jacques.

Avec un peu de chance, tout ira bien.

Ma cousine Edith

Ma cousine Edith est la plus jeune des cinq filles de mon oncle Paul-Maurice. Parmi les 10 frères et soeurs de mon père, Paul-Maurice était sans doute son frère préféré (et, partant, mon oncle paternel préféré).

L’oncle Paul-Maurice, qui a maintenant 89 ans, a la voix douce et le calme regard gris-bleu de mon grand-père Couturier.

Il paraît que ma grand-mère, une Dufour de La Malbaie (que je n’ai pas connue, elle est morte un peu avant ma naissance), avait un tempérament bouillant et le verbe haut. Mon père retenait plutôt d’elle, disons. Plusieurs de ses soeurs ont aussi hérité de ça, si bien que papa était brouillé avec quelques-unes, trop pareils qu’ils étaient.

En tout cas, c’est ce qu’on dit.

Même si mon père et Paul-Maurice s’aimaient bien, nos familles ne se sont que très peu fréquentées. Mon oncle débarquait chez nous de temps en temps, tout seul, à l’improviste, un samedi ou un dimanche après-midi, comme ça se faisait dans ce temps-là. Il s’asseyait dans la chaise berçante, ma mère lui servait un verre d’eau (jamais d’alcool chez nous, sauf quand mon père accompagnait le poulet rôti du dimanche d’un peu de la piquette qu’il fabriquait aves des raisins Concord). 

Paul-Maurice restait 20 minutes, trois quarts d’heure les jours fastes. Ils parlaient des talles de bleuets prometteuses, ou de la pêche à venir, ou du jardin qui donnait bien. Puis mon oncle partait comme il était venu, sans façon.

Mon père faisait pareil de l’autre côté, mais c’est Edith qui me l’a dit hier, je n’en savais rien.

* * *

Je ne remercierai jamais assez mes jeunes collègues Catherine et Sophie de m’avoir incitée, il y a 10 ans, à me créer un compte Facebook. Grâce à ça, je garde contact ou je renoue avec des gens que j’aurais assurément perdus de vue autrement.

C’est comme ça que j’ai retrouvé Edith, notamment (et assez récemment).

J’ai fait un saut chez elle hier, à son invitation, avant de rentrer à Montréal. Nous ne nous étions pas vues depuis au moins 40 ans – et vues à peine, probablement aux funérailles du grand-père. Je devais avoir 18 ans et elle 13, et il y a fort à parier que nous ne nous sommes même pas parlé. Dans mon esprit, Edith avait toujours 8 ans.

Edith fait du tissage, du tricot, de la peinture, elle écrit (et publie) des nouvelles érotiques sous un pseudonyme emprunté à une de mes tantes qui est soeur du Bon-Pasteur (ce qui ne manque pas de piquant, avouez). Elle travaille à temps plein et fait 15km de vélo par jour. Une dynamo.

Elle habite quelque part au bout d’un chemin qui te fait presque retourner à Chicoutimi quand tu viens de traverser le parc des Laurentides. Elle m’a accueillie à bras ouverts (non, pour vrai, oublie le cliché : les bras et le coeur ouverts). On a placoté sans arrêt pendant des HEURES. On a parlé de nos vies, de notre famille, de nos enfants, de nos amours et de nos désamours, de nos espoirs, de nos convictions, de nos déceptions et de nos petites victoires.

Quand son amoureux, Sylvain, s’est joint à nous, nous avions un bon bout de fait. Mais là… lui est un gars de Chicoutimi, et il a presque mon âge. Je ne vous dis pas combien de connaissances communes nous avons évoquées, de potins nous avons échangés. On a tellement ri!

Ce matin, j’étais censée aller aux chanterelles avec lui. Mais comme il nous avait ouvert trop de bouteilles de très bon vin la veille, j’ai déclaré forfait.

Hébin il y est allé tout seul, et je suis rentrée à la maison avec une jolie récolte de champignons faite juste pour moi, que nous avons nettoyée ensemble avec un petit pinceau, parce qu’il trouvait qu’il fallait quand même que je travaille un peu pour les avoir, mes chanterelles.

Est-ce que ça n’est pas le comble du chic?

C’est quand même chouette, la famille (bis).