Il est presque 20h…

Eva et Django montent la garde sur mon lit.

… et le concert des muezzins vient de se terminer.

J’ai entendu ça à Tanger, à Casa, à Fès, à Niamey, au Caire, mais je ne m’y habitue pas. «Comment? Encore une prière? Mais la dernière vient de finir!»

Évidemment, ce n’est pas le cas, les prières on lieu à des moments bien définis de la journée, essentiellement selon les «mouvements» du soleil. Mais l’hiver, quand les jours sont plus courts, les prières de l’après-midi, sauf erreur, sont en effet plus rapprochées.

En tout cas.

Ici, dans la médina de Marrakech, l’appel des muezzins atteint des sommets de cacophonie parce que chaque quartier a sa mosquée — de même que son hammam et son four à pain, ce qu’on considère ici comme les services essentiels. Chez nous, je dirais qu’il faut un Jean Coutu et une SAQ, mais c’est une autre histoire. Bref, je viens de compter grâce à Google Maps 17 mosquées dans un rayon de 1km autour de mon palais.

Je suppose que c’est comme ça que le «surround sound» a été découvert.

Ça commence par une voix, une seule, qui s’élève dans le silence tout relatif de la médina. On entend distinctement les premiers mots, «Aaaaaaaallahou akhbar»…. À mesure que les autres enchaînent (c’est comme les coqs: il en faut un pour commencer, puis tous les autres suivent), ça devient un magma de voix masculines plus ou moins mélodieuses répercutées par des haut-parleurs de qualités variables.

Ça ne dure pas une minute, puis ça s’estompe et le silence retombe, troublé seulement par la pétarade puante d’une moto, les pleurs d’un enfant, le son d’une sirène au loin.

Virus marocain

J’ai encore attrapé un rhume, le deuxième de ce voyage, et celui-ci m’a terrassée plus que le premier. Voilà deux jours que je me traîne lamentablement en crachant des bouts de poumons ici et là, ce qui explique sans doute que je me sois fait fourguer par un marchand particulièrement retors une couverture de coton alors que j’en voulais une en laine.

Me faire ça à moi! Madame Tissu en personne! Fallait que je sois vraiment malade.

Enfin. Mon avion décolle demain à 13h35, j’ai une très, très brève escale d’une heure à Paris et j’atterris à Montréal à 20h demain soir. C’est la première fois de ma vie que j’ai aussi hâte de rentrer chez moi.

M’en vais faire ma valise.

Et dormir avec les chats de la maison, qui me ronronnent dans les oreilles comme si on avait chassé les souris ensemble.

Un repas marocain

Aujourd’hui, repas chez la maman de Larbi. Je ne sais pas dire si c’était un dîner, un déjeuner ou un souper, tous vocabulaires confondus: nous avons mangé vers 16h, un tajine de poulet à tomber par terre, une profusion de préparations de légumes, avec du riz, du pain, en voulez-vous, en voilà.

La maman de Larbi nous avait reçus Pierre et moi en 2014, alors que nous revenions du Bénin, et j’avais souvenir des trésors qu’elle posait sur la table avec l’air de ne pas y penser.

Et encore là, comme dans le cas de ma chère Khadija, personne ne songe à la remercier, à la féliciter. Ça me tue.

Nous étions bien une dizaine, serrés autour de la table basse qui ne suffisait pas à contenir tous les plats. La mère, le frère et les deux soeurs de Larbi, plus évidemment sa compagne, Imane, avec sa mère à elle, et puis aussi Touria, une voisine avec laquelle Larbi et son ami Mehdi entretiennent une relation de moquerie absolument inconcevable dans mon pays, et encore quelques personnes dont je n’ai pas tout à fait compris qui elles étaient.

Larbi et Imane ont une petite fille de six mois, qui s’appelle Tidar (un nom berbère qui signifie «vie» ou «vivre») et qui est l’objet de toutes les attentions, le centre de toutes les conversations, comme de coutume quand un petit enfant arrive le premier dans une famille.

Elle est forte et belle et en paix, cette petite fille aimée au delà du dicible. Je suis contente qu’elle soit tombée dans cette famille bruyante, bruissante, probablement assommante parfois: elle ne se sentira jamais seule.

C’est du moins la grâce que je lui souhaite, moi, en tant que mortelle dénuée de tout pouvoir, et je sais que cela se réalisera par la force des choses.

Mais si j’étais une fée chargée de me pencher sur son berceau comme dans La Belle au Bois dormant et de lui attribuer des qualités, je lui souhaiterais surtout d’avoir une tête de mule. Il en faut, pour faire son chemin comme femme au Maroc. Je dis toujours qu’ici, si les hommes ne peuvent pas avoir une femme, ils ont un âne.

Alors ma petite Tidar, sois têtue.

Fonce, ou refuse d’avancer là où tu ne veux pas aller. Fais exactement ce que tu veux. Va, vis, voyage, explore et ose.

Ne te laisse jamais dire que tu n’es pas capable, ou apte, ou compétente.

Tu feras ça, j’espère, en mémoire de tes grand-mères.

Bonne vie, ma belle Tidar.

C’est tout droit!

«Pour te rendre à Jamaâ El Fna, c’est facile: tu vas par là, et puis c’est tout droit, toujours tout droit.»

C’est ce que m’a dit mon cher ami Larbi hier soir, quand il m’a laissée devant la porte du riad que j’occupe pratiquement seule.

Non que je tinsse (un imparfait du subjonctif, ici, juste pour le fun) à me rendre à tout prix à cette place mythique de Marrakech, mais il faut bien un but dans la vie.

Or, dans la médina, RIEN ne va «toujours tout droit». Je me suis donc évidemment perdue, ce qui m’a permis de passer par toutes sortes de quartiers d’artisans ou de marchands où j’étais souvent non seulement la seule femme, mais la seule personne occidentale. Pas de tourisme, ici, dans ces ruelles où les hommes marchandent les peaux de mouton, de chèvre, de chépasquoi, ou martèlent le cuivre et le laiton à grand bruit.

J’avais probablement dans la face ce sourire émerveillé et tranquille qui me permet de me faufiler presque partout. En fait, J’ÉTAIS émerveillée et tranquille.

Évidemment, je me suis fait aborder par un gentil jeune homme qui a prétendu me montrer la médina en toute amitié et qui l’a fait, non sans m’emmener chez un ou deux marchands de sa connaissance, qui lui versent une commission si j’achète quelque chose. Mais je n’achète jamais rien parce que je sais que ce sont des pièges à touristes. On peut tout de suite flairer l’affaire à entendre le vendeur débiter son texte par coeur, à voir la jeune fille prendre sa place automatiquement devant son métier à tisser, son moulin à noix d’argan, que sais-je. J’écoute tout, je les remercie poliment et je sors. Je devrais peut-être ne pas entrer? Je ne sais jamais comment agir dans ces cas-là.

Donc ce gentil jeune homme a fini par m’abandonner, bien sûr, mais non sans que je lui demande instamment de m’indiquer le supposé chemin pour sortir de ce labyrinthe. Excusez le cliché, mais c’est absolument de ça qu’il s’agit. Un labyrinthe, avec des tas de rues sans issue. Larbi m’a expliqué que le mot «derb» désigne toujours un endroit sans issue. Comment voulez-vous qu’on s’en sorte?

J’ai tout de même fini par aboutir sur la grand-place, où un cireur de chaussures m’a hélée. «Tu crois que c’est nécessaire?» ai-je dit en rigolant. Il m’a fait un signe entendu en désignant mes pieds fourbus. Genre: «J’pense que c’est évident!»

Vrai que mes chaussures avaient l’air du diable. «Combien demandes-tu?
– Ce que tu veux!
– Ce que je veux? Vraiment?
– Oui, ce que tu veux!
– Très bien, allons-y. Yallah!»

J’ai pensé que, pour dire ça, il devait vraiment être désespéré.

Son voisin l’a engueulé, probablement parce qu’il coupe les prix. Mais j’ai remarqué les béquilles couchées près de lui, et il avait un bon regard, et il a été hyper gentil, alors je lui ai donné, euh… je ne sais plus combien, mais j’espère que c’était plus que ce à quoi il s’attendait.

J’ai aussi acheté deux petits paquets de papiers-mouchoirs (parce que je suis de nouveau enrhumée, figurez-vous donc) à une jeune femme accompagnée de deux ou trois enfants, qui s’est aussi fait engueuler par d’autres femmes. Je ne saurai jamais pourquoi. J’aurais dû le lui demander.

Finalement, j’ai fait cirer mes chaussures en pure perte puisque, pour rentrer en mon palais, j’ai dû marcher dans un dédale de rues rendues boueuses par la pluie de la nuit dernière. Et si j’ai marché! Mon téléphone m’avait lâchée, je n’avais plus aucun repère… Je n’ai réussi à retrouver mon chemin que grâce à un monsieur à qui je l’ai demandé, et c’était bien la seule chose qu’on pouvait demander à cet homme qui, manifestement, n’avait rien mais qui était prêt à tout donner.

Le Maroc est comme ça.

Il m’a consciencieusement conduite à bon port avec une grande gentillesse. Nous avons échangé nos vocabulaires respectifs (ses dix mots de français, mes dix mots d’arabe), et je regrette seulement d’avoir eu à chercher dans mes poches les dirhams qu’il espérait, parce que j’aurais voulu lui épargner l’humiliation d’avoir à demander.

Je m’apprête à dormir, les deux chats de la maison ronronnent sur mon lit douillet, la nuit sera bonne.

Casablanca sans Bogart

Je suis arrivée à la gare routière de Casa après sept heures de route. J’aurais dû prendre des notes tandis que j’observais le paysage. À présent, tout se confond dans mes souvenirs. Des oliviers à perte de vue, sans doute. Des villages jetés ça et là à travers les collines, une douzaine de moutons faméliques qui trottinent sur le bas-côté du chemin, un âne bâté qui broute une herbe clairsemée, des détritus semés par le vent…

Ce bon Mustapha, un ami d’Essaïd, est venu m’accueillir à la gare. Nous avons pris le beau tramway tout neuf qui trace un grand X dans Casa, puis Essaïd nous a cueillis à l’avant-dernière station de la ligne.

Lui et sa famille habitent une maison de fonction tout à côté de l’école primaire dont il est directeur, dans un quartier en périphérie de la périphérie. C’est un secteur plutôt défavorisé, fait d’immeubles anonymes en béton qui ne sera pas blanc longtemps. Dans la rue d’à côté, des maraîchers venus de la campagne toute proche installent leurs charrettes remplies de fruits et de légumes auxquelles sont attelés des ânes placides. C’est un Casablanca qui ne fitte pas dans les films à grand déploiement, disons.

J’ai passé l’essentiel de ces deux jours avec Khadija, que j’aime d’amour, que j’admire et que je plains tout à la fois.

Elle s’affaire du matin au soir à la cuisine, que n’éclaire qu’une seule ampoule pendue au bout d’un fil et où règne un indescriptible fouillis. Le plan de travail est encombré de mille choses, si bien qu’il ne lui reste plus qu’un petit coin pour cuisiner.

Dans cet espace exigu, elle vous abaisse en dix secondes, avec un rouleau minuscule, quatre pâtes à pizza parfaitement circulaires d’un diamètre parfaitement égal, puis répartit là-dessus des ingrédients qu’elle semble tirer de sa manche, mesurés au gramme près. Elle enfourne les pizzas une à une (pas de place pour deux dans ce petit four posé sur le comptoir), les sort et les pose sur la table elle aussi chargée de mille choses; elle glace un gâteau, prépare le thé, mixe la soupe, se perche sur une chaise pour atteindre son plateau à thé des grands jours, va quérir ailleurs la jolie soupière de faïence et les bols assortis qui ne servent que rarement eux aussi…

Je suis à la fois gênée et touchée de la voir déployer tous ces efforts. J’insiste pour l’aider mais je finis immanquablement par lui nuire plus qu’autre chose. Jamais je ne me suis sentie aussi empotée dans une cuisine! Je persiste tout de même, et je résiste à l’envie de houspiller son mari et ses enfants, qui restent tranquillement au salon, les yeux fixés sur leurs écrans, qui ne lèvent jamais le petit doigt pour lui rendre service et qui ne lui disent jamais merci.

Khadija a aussi sorti pour moi son français qui ne sert jamais, et, grâce à son infinie patience, nous avons pu converser, et même parler de choses sérieuses. Son amie qui se meurt d’un cancer, son fils aîné qui fume du shit et fait des colères telles que chaque porte de la maison est trouée par un coup de poing et qu’elle cache ses couteaux de cuisine…

Quand elle a fini de nourrir sa nichée, il faut encore préparer la soupe des chiens, essentiellement des pattes et des cous de poulet qu’elle met à bouillir et qu’elle répartit aux quatre coins de la cour. L’un de ces chiens est tellement mauvais et vicieux qu’il serait bien capable d’égorger les trois autres s’ils s’approchaient de son écuelle. C’est le gardien de nuit. Je plains le vandale qui tombera sur sa gueule.

Les autres sont une chienne de type vaguement berger allemand, bien douce et soumise, et deux bêtes issues d’une fornication entre un caniche et un Jack Russel qui m’ont paru aussi difformes que crétines.

J’ai visité quelques classes en compagnie d’Essaïd, probablement le directeur d’école le plus aimé de toute la planète. Cet homme sérieux et réservé est la bonté même. Les enfants le sentent bien, et le climat qui règne dans ces murs fait vraiment plaisir à voir.

J’ai donc quitté Khadija ce midi, nous nous sommes embrassées mille fois, les yeux pleins d’eau, tandis qu’Essaïd m’attendait pour m’emmener à la gare. J’ai trouvé le moyen d’oublier mon téléphone et ma tablette sur l’un des divans du salon, si bien qu’Essaïd a dû rebrousser chemin. Ça m’a donné l’occasion de serrer Khadija encore une fois dans mes bras et de nous mettre en retard.

À la gare, j’ai dû couper la file d’une cinquantaine de personnes pour acheter mon billet à temps, non sans demander la permission et pardon à la personne devant qui je me suis faufilée. On a eu juste le temps de se rendre du bon côté de la voie, au revoir, merci pour tout, on s’appelle…

Dans le train, il faisait chaud, j’ai sommeillé un peu. J’aurais dû prendre des notes tandis que j’observais le paysage. À présent, tout se confond dans mes souvenirs. Des oliviers, certes. Des villages de torchis semés ça et là à travers des collines désertiques, des moutons pelés, des détritus envolés…

Petite fatigue

J’ai dit que je me perdais avec délices dans les petites rues de Chefchaouen, mais c’était avant que je m’égare pour de bon, hier soir, sous un crachin dégueulasse, après avoir été manger une pizza non moins dégueulasse. Tous les mots d’église que je connais ont résonné dans la nuit bleue de la médina, et aussi quelques imprécations destinées au Prophète (que la paix et la bénédiction d’Allah soient sur lui, mais surtout sur moi, si ça ne vous fait rien).

Pour être bien certaine de ne pas me fourvoyer demain, quand je devrai emprunter ces venelles traîtresses en pleine nuit pour aller prendre un taxi qui me mènera à l’arrêt du bus qui me conduira à Casablanca, j’ai refait et répété le trajet en essayant de me fixer des points de repère (j’ai plusieurs fois regretté de ne pouvoir semer des cailloux comme le Petit Poucet). À droite en sortant de l’auberge. Passer devant l’hôtel Sandra, puis devant l’hôtel Koutoubia. Prendre la volée de marches à gauche après le restaurant Sindibad. Au kiosque de téléphone, prendre encore à gauche.

À peine 280 m à marcher, selon Google Maps.

Je t’en fiche. Ça ne m’entre pas dans la tête.

Excusez, je pense que le froid et l’humidité sont en train d’avoir raison de ma raison. Ai-je bien fait de changer de maison! Au moins, ici, le petit poêle de fer-blanc de la salle commune répand une chaleur… euh… une chaleur, quoi. Je m’installe à côté pour travailler, puisqu’il n’y a rien d’autre à faire. Aussi bien, si le temps avait été plus clément, j’aurais eu du mal à passer à travers ce bouquin que je dois réviser et qui, tout compte fait, commence à m’ennuyer un peu.

Mais bon, y a pire, hein? Même sous la pluie, Chaouen (c’est son petit nom) a son charme. Il ne lui manque qu’un marchand de vin. Mais c’est p’t’être mieux comme ça, comme dit mon ami Hassan…

À Chefchaouen (bis)

Je me perds avec délices dans les venelles de cette ville surréaliste où tout est bleu, de tous les tons de bleu. Lapis-lazuli, azur, turquoise, indigo, aqua, c’est un camaïeu infini qui se poursuit même quand on sort des venelles tapissées de boutiques de souvenirs où se cantonnent les touristes.

Le souk, le vrai, celui que fréquentent les habitants, n’est ni moins bleu ni moins labyrinthique. Il se démultiplie en escaliers irréguliers, ponctués de fontaines, d’impasses, de portes presque toujours ouvertes à tous les vents, toujours de tous les bleus possibles.

Il paraît que c’est une idée qu’ont eue les femmes pour donner un caractère particulier à leur village. Si c’est vrai, c’est un coup de marketing absolument génial, digne du talent des Marocains pour le commerce.

Parlant de commerce, malgré toutes mes résolutions, je n’ai pas pu résister: j’ai acheté un foulard hier, et aujourd’hui un collier et une adorable petite boîte à khôl en argent gravé. C’est pas ma faute, c’est Mohammed qui m’a eue. Il m’a offert du thé, et il m’a fait un prix juste parce que c’est moi, pensez donc!

Mohammed me sert le thé dans sa minuscule boutique.

Sans blague, je crois que j’achète juste pour ça, pour ce jeu de négociation qui est pourtant toujours le même. On se regarde dans les yeux, on se jure qu’on ne peut pas aller plus loin, on avance, on recule, on soupire, on lève les yeux au ciel, on fait un pas de plus, on finit par s’entendre, on se serre la main, marché conclu. Si le vendeur a fait une bonne affaire, il sourit. S’il ne sourit pas, c’est qu’il a vraiment sacrifié sa marchandise. Quant à moi, je repars rarement mécontente même si, parfois, je sais que j’ai payé «trop cher». Et d’ailleurs, qu’est-ce que ça veut dire, «trop cher»?

Enfin.

J’ai bien rigolé aussi avec Hassan, qui m’a apostrophée samedi alors que je baguenaudais, le nez en l’air, émerveillée par ce que je découvrais.

Évidemment, il voulait me vendre quelque chose. J’ai refusé poliment, il a immédiatement reconnu mon accent et hop, la conversation a démarré. Quand il a vu que je ne lui achèterais rien, pas un foulard, pas un bijou, il m’a proposé… du haschisch! Sérieusement?
– Mais oui, tout le monde sait ça, 90% des gens qui viennent ici veulent fumer! Regarde, j’en ai toujours sur moi (il me montre la manche de son burnous, qui contient manifestement quelque chose).
– Merci, mais non… je préfère le vin.
– Le vin, c’est pas bon pour toi. Mais si tu en veux, je peux t’en trouver.
– Ah bon? Comment ça? (Le vin, l’alcool, c’est super haram, donc introuvable à Chefchaouen, sauf dans deux restaurants apparemment assez mauvais, dont c’est en fait le fond de commerce.)
– Ah, j’ai mes sources. Pour 200 dirhams, je t’apporte du rouge, du blanc, du rosé, comme tu veux.

Deux cents dirhams, ça fait environ 30$. J’aurais pu dire oui, on paie plus que ça sans sourciller au resto, mais bon, une petite cure sans alcool ne me fait pas de tort non plus, alors j’ai refusé. «Bien, très bien, a dit Hassan. C’est mieux pour toi.
– Pourquoi le vin serait-il moins bon pour moi que le haschisch?
– Parce que le shit, c’est mieux.»

Argument imparable s’il en est.

Le lendemain, je recroise mon Hassan, qui propose de nouveau de me fournir du vin, cette fois pour 160 dirhams. «Non, merci, sincèrement.
– Ah, bien, très bien, ça vaut mieux. Tu ne veux toujours pas fumer?»

Je suis certaine que, si je retourne le voir aujourd’hui, il m’offrira la bouteille de vin à 130 dirhams. Plus une fumette.

Je ne comprendrai jamais sa logique, je pense…

Le frette

Il fait si froid depuis trois jours que je n’ai toujours pas osé prendre ma douche. La simple idée de me déshabiller, fût-ce pour me retrouver sous un jet d’eau chaude (d’ailleurs probablement tout aléatoire), me révulse. Quant à celle d’avoir les cheveux mouillés pendant une heure, je ne veux même pas l’envisager. Pareil pour la lessive: avec ce temps, ça ne séchera jamais, alors je vis sur mes économies, pour ainsi dire.

J’ai un contrat de révision à rendre le 9 décembre (un roman pour une très bonne maison d’édition, je suis au ciel, pour vrai), alors hier, j’ai travaillé une bonne partie de la journée emmitouflée dans une énorme couverture de peluche, ça me rappelait le Pérou. Quand je pense que je voulais fuir la grisaille de novembre… Mais bon, samedi, il faisait beau, c’était magnifique, et puis le mauvais temps peut arriver partout. J’aurais pu filer vers le sud dès aujourd’hui, mais j’ai choisi de «pousser ma luck», comme on dit, et de rester deux jours de plus en espérant que le ciel se répare un peu. Je profite des rares éclaircies pour aller me perdre dans les ruelles et photographier des chats, qui sont les rois de Chefchaouen.

Et puis j’ai changé d’hébergement, j’écris près d’un petit poêle qui répand une bonne chaleur, c’est toujours ça. Je pourrai peut-être me doucher ce soir. Ou demain. Ou pas.

Une mise au point

Certains lecteurs se sont offusqués des propos que j’ai tenus au sujet des touristes chinois dans mon dernier billet. Je suis sincèrement désolée si ce que j’ai écrit a paru outrancier. Ceux qui me lisent avec régularité auront sûrement remarqué que, si je ne cultive aucun préjugé, je ne suis pas non plus particulièrement férue de rectitude politique. J’aime bien me moquer tant de mes travers que de ceux de mes frères et soeurs humains, d’où qu’ils viennent, et j’adore exagérer.

Il me semble par ailleurs que ce n’est pas être raciste que de reconnaître les conséquences du tourisme chinois, qui connaît une expansion sans précédent, à tel point que de plus en plus de chercheurs sérieux l’étudient. Il suffit de googler «comportement touriste chinois» pour s’en rendre compte.

On peut dire que les touristes chinois d’aujourd’hui sont l’équivalent de ce qu’étaient les Allemands il y a 30 ou 40 ans. À l’époque, les Allemands avaient (très) mauvaise réputation parce qu’ils n’avaient pas l’habitude de voyager et n’avaient pas appris à adapter leur comportement aux us et coutumes des pays qu’ils visitaient. C’est un fait, c’est tout.

La principale différence, c’est que la Chine compte 1,4 milliard d’habitants. En 2020, le nombre de Chinois titulaires d’un passeport aura doublé par rapport à ce qu’il était en 2018. Cela se traduit forcément en millions de personnes de plus dans les principaux circuits touristiques, et particulièrement au Maroc, l’un des premiers pays récepteurs de ces nouveaux voyageurs. Ce n’est pas négligeable, et ça explique la réaction de Fatima, que je n’ai pas inventée. Voici un article intéressant à ce sujet: http://french.peopledaily.com.cn/Tourisme/n3/2018/0930/c31361-9505373.html

Je vous conterai demain ma rencontre avec Hassan, ce sera bien plus rigolo (et plein de clichés sur les Marocains).