Le retour

Ça fait que, pour finir mon histoire, il faut que je vous raconte notre retour rocambolesque, chaotique, épique, qui aurait pu être dramatique.

Tout a commencé doucement et s’annonçait comme une affaire de rien. On a pris un jet à Puvirnituk. Un Boeing! Mon petit Charlie se demandait bien pourquoi cet avion n’avait pas d’hélices. J’aurais aimé pouvoir lui expliquer la différence entre un avion à hélices et un avion à réaction, mais mes compétences, évidemment, ne vont pas jusque-là.

Quand l’agent de bord a fait son petit laïus au sujet de la sécurité (un peu plus long que pour un Dash 8), Charlie m’a semblé plus inquiet que les autres fois. Il a bien observé chaque case du feuillet explicatif en me posant mille questions (« pourquoi il faut mettre un masque? Pourquoi l’avion est sur l’eau? Pourquoi les gens marchent sur l’aile? »).

J’ai fait de mon mieux pour le rassurer, en lui disant que les accidents d’avion sont rarissimes, qu’Air Inuit entretient ses appareils de manière exemplaire et qu’elle n’engage que les meilleurs pilotes (ce qui est, je pense, rigoureusement vrai).

On a fini par s’envoler, et ensemble on s’est émerveillés de la splendeur des paysages et des formes des nuages qui s’offraient à nos yeux. Puis on a joué à toutes sortes de choses très drôles. Charlie a une imagination et un sens de l’humour incroyables, nous nous trouvons très rigolos mutuellement, j’ai rarement vu un enfant aussi prompt à entrer dans un petit jeu de rien du tout.

On avait un arrêt prévu à La Grande, pour scanner nos personnes et nos bagages afin que nous puissions rentrer à l’aéroport Trudeau aussi purs qu’un jus de pomme filtré, parce qu’il n’y a pas l’équipement nécessaire à Puvirnituq.

Après cette escale qui a bien duré une heure, nous avons repris notre avion. J’étais assise avec Charlie, et Sylvie, de l’autre côté de l’allée avec Eric. Il restait une heure et demie ou deux de vol, nous avions un petit repas de saumon fumé en perspective, tout le monde était content.

Quand le repas est arrivé, Charlie n’a voulu manger que le saumon, sans rien d’autre. Même pas le dessert (pas trop normal dans son cas). Il a fini par me dire qu’il ne se sentait pas très bien et qu’il avait peur de vomir. J’ai donc, à tout hasard, préparé un sac à vomi, mais le petit a semblé s’endormir, alors je ne m’en suis pas fait outre mesure.

Et puis, alors même que nous entamions notre descente vers l’aéroport de Montréal, le chaos est arrivé comme un ouragan.

Charlie s’est réveillé dans un cri rauque, j’ai eu tout juste le temps de mettre le sac en position, et le pauvre petit a vomi dedans à grands jets jusqu’à le remplir, tandis que je demandais à la ronde qu’on m’en donne d’autres. Il a continué de vomir tripes et boyaux, je n’aurais jamais cru que l’estomac d’un enfant de 5 ans puisse contenir autant.

Quand ça s’est calmé, je l’ai aidé à se moucher, je lui ai lavé le visage, je lui ai fait rincer sa bouche, et je l’ai félicité pour son courage et son calme (il m’a vraiment impressionnée).

De l’autre bord de l’allée, ma pauvre Sylvie, avec Eric sur les genoux, ne pouvait pas faire grand-chose.

Mais après tout ça, Charlie a demandé à être assis près de sa maman, ce qui est bien compréhensible. Nous avons donc échangé nos places, elle et moi: j’ai traversé l’allée et pris Eric dans mes bras, tandis que Sylvie s’asseyait à coté de Charlie.

Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées que Sylvie elle-même s’est transformée en geyser.

Malade comme un chien.

Un gentil infirmier, assis derrière nous, nous a appris qu’une épidémie de gastro-entérite avait fait fermer les garderies et les écoles de Puvirnituq la veille.

Ah ben, j’suis pas mieux que morte, me suis-je dit. Je m’attendais à tomber malade moi aussi dans les minutes suivantes. Mais non.

Je suis une miraculée!

Et heureusement! Sinon, je ne sais ce qu’il serait advenu de nous.

L’avion a donc atterri, et il a bien fallu finir par se résoudre à débarquer, même si Sylvie avait envie de mourir sur place (et je la comprenais totalement).

Malade comme elle l’était, elle ne pouvait plus rien faire. J’ai donc récupéré nos affaires (les manteaux d’hiver, les sacs, les bagages de cabine), habillé sommairement les enfants, pris le bébé et tout ce que je pouvais porter en laissant le minimum à ma pauvre Sylvie, puis nous sommes sortis de l’avion bon derniers sur le tarmac, où j’ai pu récupérer la poussette pour enfin y déposer Eric, qui n’est quand même pas un poids plume.

Nous avons marché comme des forçats jusqu’à l’aérogare, et je me demande encore pourquoi je n’ai pas eu le réflexe de demander de l’aide.

J’ai mis nos bagages de cabine sur un chariot, et j’ai accompagné Sylvie et Charlie, plus morts que vifs et qui ne cherchaient que les toilettes, tout en espérant que le petit Eric ne tombe pas malade à son tour.

Heureusement, Eric n’avait rien. Bébé placide entre tous, il a patiemment attendu tout ce temps dans sa poussette sans protester.

J’ai fini par requérir l’aide d’un agent de sécurité, qui a trouvé une petite chaise roulante pour Charlie, désormais trop faible pour marcher. L’agent m’a accompagnée jusqu’au carrousel des bagages tandis que je poussais Eric d’une main et que je traînais le chariot à bagages de l’autre.

Sylvie m’y attendait après un énième arrêt aux toilettes.

Elle avait décidé de coucher à l’hôtel de l’aéroport plutôt que de rentrer chez elle, à une heure et demie de route (sage décision).

J’ai assis Charlie sur le chariot à bagages qui pesait une tonne, et nous avons marché sur ce qui m’a paru une distance interminable, avec une Sylvie livide qui, derrière moi, tenait d’une main la poussette et de l’autre le chariot des bagages de cabine.

Pis j’ai pris un taxi pour rentrer chez moi.

Mais vous savez quoi?

Je referais tout, pareil.

Un samedi à Puvi

PUVIRNITUQ — Ce matin, Charlie a pu aller voir son anaana (sa mère, qui s’est heureusement ressaisie pour cette visite), et j’en ai profité pour me balader un peu dans le village encore tout endormi.

L’air était sec et clair, la neige croustillait sous mes pas, le soleil paresseux faisait briller la glace neuve d’un éclat métallique. Quelques chiens allaient leur chemin, sur des pistes maintes fois empruntées. De temps en temps, un VTT passait en pétaradant, conduit par un petit vieux édenté, la cigarette au bec, ou par une ado dans son beau parka orné d’une luxuriante fourrure.

Le village était probablement un peu « lendemain de veille » — c’était la folie hier soir au magasin de la Coop. Pensez: un vendredi soir, lendemain du jour de paie et surlendemain du premier du mois (jour des chèques d’aide sociale)… Ajoutez à cela qu’on ne vend pas d’alcool les samedis et dimanches, vous voyez le tableau.

Les VTT rouges allaient et venaient devant le magasin dans un bourdonnement continu. Ça s’interpellait, ça rigolait, tout le monde repartait avec le maximum de bières permis (c’est très réglementé, ce qui n’empêche pas les excès), les caisses de Budweiser et de Molson sortaient à pleines portes.

Mais ce matin — toute la journée, en fait — on sentait le village un peu engourdi.

Cet après-midi, à l’ouverture de la Coop, c’était corvée de canettes pour les enfants, et je suppose que ce rituel se reproduit tous les samedis: ils s’amènent à la Coop avec d’immenses sacs-poubelles remplis de canettes vides qu’ils enfilent avec régularité dans les trois gobeuses alignées à l’entrée du magasin.

C’est triste, comme beaucoup de choses ici.

Je suis ressortie au coucher du soleil, hypnotisée par la lumière malgré le froid mordant qui menaçait de me couper les doigts.

Je vous laisse là-dessus.

Rendez-vous manqué

PUVIRNITUQ — Hier, quand nous avons débarqué à l’aéroport, la mère de Charlie nous attendait avec impatience. Elle a embrassé le petit à le dévorer (les Inuit embrassent leurs enfants à pleine bouche, c’est très particulier), s’est exclamée de le voir si beau et si grand déjà, l’a emmené par la main pour le montrer à la ronde (l’aéroport est un lieu de rencontres dans ce village où tout le monde se connaît et où il ne se passe pas grand-chose).

Elle sentait bien un peu l’alcool, mais bon, sa joie faisait tellement plaisir à voir, on ne doutait pas qu’elle serait au rendez-vous fixé ce matin à 9h, qu’elle attendait depuis si longtemps.

La travailleuse sociale est donc venue chercher Charlie à l’heure dite, puis elle est passée prendre la maman pour les emmener tous les deux à la maison des familles, où ils devaient rester quelques heures ensemble.

Mais la maman n’était pas là.

La TS a expliqué au petit que sa mère dormait encore et qu’il la verrait plus tard en après-midi — elle espérait la trouver entre-temps. Sinon, une visite était aussi prévue avec le papa. Mais celui-ci a été aussi introuvable que la mère.

Autant dire que nous sommes venus ici pour rien, parce qu’il semble bien que la mère, submergée par des émotions qu’elle ne peut pas gérer, soit partie sur une « dérape », comme on dit.

À moins qu’elle se reprenne demain…

Chants de gorge

Sur une note plus gaie, hier soir, il y avait une petite fête dans la salle à manger de l’hôtel (plus proche d’une auberge de jeunesse que d’un hôtel, en fait).

Nous l’ignorions, mais il y avait là l’une des chanteuses de gorge les plus renommées du Nunavik. C’était splendide.

Ce n’est que vers la fin que j’ai osé demander si je pouvais filmer un peu (j’aurais donc dû le faire avant!).

Grand Nord

PUVIRNITUQ — C’est à quelque 1600 km de Montréal à vol d’oiseau. On est sur le 60e parallèle et, à vrai dire, dans un monde parallèle.

J’accompagne une amie qui a la garde de deux petits garçons inuit, qu’elle emmène périodiquement visiter leur famille d’origine. Le plus vieux, que j’appellerai Charlie, a 5 ans et est né ici, à Puvirnituq. Le petit, baptisons-le Eric, a 18 mois et est né à Inukjuak.

Nous avons donc atterri mardi à Inukjuak après une équipée de 8 heures à bord d’un Dash 8 (45 passagers) qui s’était successivement posé à La Grande, à Kuujuarapik et à Iliujak.

À Inukjuak, c’était l’Halloween, on devait faire la tournée des maisons avec la maman d’Eric, mais notre avion est arrivé avec deux heures de retard.

Ici, enfants et adultes commencent la tournée à 16h, dans une frénésie de VTT où l’on s’entasse à cinq, six, voire plus (évidemment sans casque, pour quoi faire?).

Une demi-heure après, c’est fini: tous les bonbons ont été distribués, ce qu’indiquent des affichettes scotchées dans la porte: « Sorry, no more candies. »

C’est ce à quoi nous nous sommes heurtées à 17h, quand nous sommes enfin sorties après avoir dûment costumé les deux enfants. Pouet pouet!

Heureusement, mon amie Sylvie avait elle-même apporté une tonne de friandises dans le but de les distribuer — ce que nous n’avons évidemment pas pu faire — et on est restées avec notre butin, si bien que Charlie n’a pas été trop déçu: il a des bonbons pour le restant de ses jours!

Le lendemain, petite promenade dans les rues du village, il ne faisait pas trop froid, c’était juste bien. Charlie s’est fait un copain.

Puis on a soupé tous les quatre chez mes chers amis Anne-Marie et Sylvain, qui travaillent là-bas. Ça avait quelque chose de complètement surréaliste de nous voir dans ce cadre.

Ce matin, activité de confection de biscuits à l’école de cuisine où enseigne Sylvain, avec quelques élèves de la classe de troisième année primaire où Anne-Marie remplace la prof… d’inuktitut.

Il va sans dire qu’elle ne leur enseignera pas l’inuktitut, mais au moins elle leur fait travailler leur français et les plonge dans toutes sortes d’activités créatives incroyables — sculptures de papier mâché, gouache, collage, expérimentation à l’acrylique sur cartons récupérés… Ça donne des résultats franchement épatants.

Ils ont de la chance de l’avoir, ces enfants, parce que n’importe qui peut se voir engager comme prof suppléant. Vraiment n’importe qui, du moment qu’il y a un adulte dans la classe. C’est assez triste, mais c’est comme ça.

À l’école de formation professionnelle où enseigne Sylvain, il y a tout ce qu’il faut pour former des mécaniciens, des menuisiers, voire des plombiers. Des ateliers immenses, équipés à n’y pas croire. Mais ils ne servent à rien: y a pas de prof.

C’est affligeant.

Mais bon, la séance de cuisine, à laquelle je suis allée avec Charlie, a été très rigolote. Il n’y aura pas d’autres photos pour protéger l’identité de Charlie.

Quand nous sommes sorties de l’école (Sylvie était venue nous rejoindre après avoir laissé Eric avec sa mère pour une ultime rencontre), il y avait un blizzard à vous arracher la tête. On a craint que notre avion pour Puvirnituq ne puisse décoller, mais le temps s’est calmé juste assez pour que nous puissions partir.

Là, je suis crevée, j’ai attrapé le rhume des enfants, j’espère que ça ne tournera pas en bronchite avant le 5, jour prévu de notre retour, si la météo collabore.