De l’importance du pyjama

Je suis donc enfin arrivée à Lima lundi, après une vingtaine d’heures de voyage si l’on compte les périodes d’attente à Dorval et à Mexico. Il m’a fallu récupérer mes bagages à Mexico afin de les réenregistrer pour Lima, puis les repasser aux rayons X avant de sortir de l’aéroport de Lima (il m’a donc été impossible d’y glisser en catimini ma légendaire bombe à neutrons).

Comme toutes les villes des pays dits pauvres, Lima (du moins le peu que j’en ai vu) est affligée par une circulation anarchique où les combis (d’antiques minibus éternellement bondés) se disputent la chaussée avec d’innombrables voitures, quelques cyclistes téméraires, des piétons affairés et tout ce que vous pouvez imaginer entre tout ça.

La ville semble avoir poussé en plein désert. Vu du ciel, le paysage n’est qu’une vaste ondulation de crêtes arides sillonnées ici et là par le filet de rivières asséchées, dont on semble avoir tiré toute l’eau pour irriguer les carrés de culture qui les bordent.

Sarah, la responsable du bureau de SUCO à Lima, m’a accueillie à l’aéroport comme si j’étais sa grande soeur et qu’on s’était vues la semaine dernière. Belle jeune femme mère de trois enfants d’âge préscolaire, elle est ici avec sa famille depuis huit mois, pour un mandat de deux ans. L’aventure, vous dites?

Pendant le souper, elle m’a fait les habituelles recommandations quant à la sécurité (ne pas porter de bijoux, ne pas garder trop d’argent sur soi, etc.). Mais ici, la préoccupation majeure, c’est le risque de tremblement de terre. Il appert que Lima est régulièrement (c’est-à-dire trois ou quatre fois par an) secoué par les frissons de la croûte terrestre, comme un gros chat qui s’étire longuement avant de se lever ou de changer de posture. Ces secousses d’une magnitude de 4 ou 5 sur l’échelle de Richter ne causent pas de dommages, mais les sismologues s’attendent à une catastrophe à plus ou moins brève échéance, si bien qu’il y a régulièrement des simulations pour répéter les mesures de sécurité.

Les citoyens sont encouragés à garder près de leur porte un sac d’urgence au cas où ils devraient évacuer leur maison pour plusieurs jours. On y met de l’argent, les passeports, une couverture, des vêtements de rechange, de l’eau, de quoi se sustenter. Celui que me fournit Suco contient déjà une petite radio, un briquet, un sifflet, une trousse de premiers soins et je ne sais plus quoi.

D’où mon titre: dormir en pyjama vous assure de ne pas devoir quitter votre domicile tout nu.

CQFD.

* *. *

Nous sommes mercredi, il est 8h50, nous venons d’arriver à Caraz après 10 heures de bus. De ma chambre, j’entends chanter un coq; des oiseaux inconnus grincent comme une corde à linge. Il fait un petit soleil doux, les montagnes semblent dormir autour de la ville. Je suis crevée, je vais en faire autant dans ma chambrette. La suite plus tard!

Ça se précipite!

Mes amis, telle que vous ne me voyez pas, je capote un peu. 

Je devais partir en janvier pour le Pérou, voici que SUCO me demande de partir le 26 novembre, et pour un an au lieu de huit mois. Nous sommes le 8. Ça me laisse 18 jours pour louer mon appart, décider de ce que je vais faire de ma petite nauto et tout le reste. Le 26! Aussi bien dire demain puisque la semaine du 20 sera consacrée à ma formation pré-départ.

Il y a des tas de solutions, c’est sûr. Je vais certainement les trouver. En attendant, j’envisage de foutre dans des cartons tous les vêtements que je ne compte pas emporter au Pérou (sauf, évidemment, ceux dont j’aurai besoin dans les deux prochaines semaines) et de donner tout ça au Chaînon. Pourquoi pas, au fond… 

Finalement, ça m’oblige à un effort de rationalisation assez intéressant.

Un an. Comment sera la vie, à mon retour? Comment sera la ville? Comment serai-je, moi?

C’est drôle, quand je suis partie pour le Bénin, il me semble que je ne me suis pas posé le quart des questions qui me viennent maintenant. Il est vrai que je ne savais rien du choc qui m’attendrait au retour. Il est vrai aussi que je ne partais pas seule. Et que quatre ans se sont écoulés depuis.

Ça doit vouloir dire qu’il est plus que temps de repartir. Advienne que pourra…

Ça tangue!

… et non, ce n’est pas à cause de la Garrison Irish Red (une bière locale) qui a accompagné my not-so-good hamburger dans ce qui s’est classé comme l’un des huit meilleurs restos de hamburgers au Canada (je voudrais bien savoir qui a fait ce classement et quels sont les sept autres).

Non, ça tangue et ça roule parce que je viens de passer 22 heures dans un train qui ne s’en privait pas. Forcément, mon oreille interne s’est habituée à cette incessante oscillation. Maintenant que j’ai les deux pieds sur la terre ferme, elle continue de compenser pour ce qui n’est plus, si bien que, dans ma banquette du Darrell’s Restaurant, j’ai toujours l’impression d’être en mouvement.

Le peu que j’ai vu de Halifax me comble déjà. Ma logeuse, originaire du nord de la Chine, habite une vieille maison victorienne en plein centre de la ville. Elle est charmante (la logeuse) (la maison aussi). J’irai demain visiter le musée du Pier 21, qui porte sur les grandes vagues d’immigration du XXe siècle. J’espère aussi visiter le seul musée canadien consacré à la culture noire. Je n’ai que deux jours à passer ici… Ce n’est manifestement pas assez!

Joies du train


Je vais encore me répéter, mais je n’y peux rien: prendre le train me remplit d’allégresse. Surtout quand, comme maintenant, il s’agit d’y manger et d’y dormir. J’adore le décorum un peu suranné du wagon-restaurant, les couverts rutilants, le linge blanc, le service all canadian (bilingue, affable, bon enfant), les vins de Nouvelle-Écosse (ce petit pinot grigio n’était pas du tout à dédaigner), la bouffe presque honnête, les convives tout aussi heureux que moi de s’offrir ce moment hors du temps… Et puis, dans la minuscule cabine, ces draps craquants qui sentent bon la lessive, le duvet tout douillet, même l’étroitesse des lieux me ravissent. Jamais je n’ai aussi hâte de me mettre au lit que dans cette chambrette exiguë où chaque centimètre a été compté. Certes, nos trains accusent leur âge. Même si on n’a pas bu, on titube comme des ivrognes dans les coursives parce qu’on se fait secouer dans tous les sens, vu que les rails sont aussi vétustes que le matériel roulant. En tout cas, on est certain de se faire bercer une fois au lit.

J’ai inversé la place de mes oreillers dans ma couchette (c’est-à-dire que je couche maintenant la tête au pied du lit) parce que je veux faire face à la marche du train et que je dors mieux sur le côté gauche. Contente d’être retirée dans mon petit trou de souris, mais j’ai déjà hâte aux pancakes de demain matin.

Et dire que je remets ça dimanche!