Cité interdite

Hier, avant de partir, nous sommes allés visiter la Cité interdite. Cauchemar touristique. Des nuées de Chinois s’y pressent et s’y bousculent, on est si occupé à manoeuvrer dans ces foules dont nous n’avons pas l’habitude qu’on ne peut rien apprécier. Moralité: si tout le monde dit qu’il faut y aller, n’y allez pas. Mes plus grandes déceptions, en voyage, sont toujours venues de ces lieux supposément incontournables: j’ai préféré Pérouse à Florence, une ville-musée où plus personne ne vit et où l’on mange mal et cher. L’Alhambra de Grenade m’a laissée de glace, mais j’ai été émerveillée par la cathédrale-mosquée de Cordoue. Au Guatemala, j’ai aimé mieux Coban qu’Antigua. Je ne suis jamais montée dans la tour Eiffel, mais j’ai traversé Paris à pied dans tous les sens. La Cité interdite, on l’a vue en photos et au cinéma, c’est bien suffisant. J’ai préfé le temple des Lamas, plus calme, plus petit, tout aussi beau.
Refaire ce voyage en Chine, je n’irais pas à Shanghai, une ville prétentieuse et chère qui n’a pas grand-chose à offrir à part ces gratte-ciel tape-à-l’oeil et un air irrespirable, à laquelle le Routard consacre pourtant un très long chapitre. Je passerais plus de temps à Pékin et je miserais sur Couchsurfing pour l’hébergement ou au moins pour rencontrer des gens du cru. Et puis je m’arrangerais pour apprendre un peu plus de mandarin — ce n’est pas aussi difficile qu’on le croit, en tout cas pas si on se limite à l’oral, et ça fait tellement rigoler les gens!

Parlant du Routard, notre divorce était imminent, voilà qu’il est consommé. Les meilleures auberges, nous les avons trouvés-mêmes avec l’aide du web. Les restos, tu marches un peu, tu entres dans celui qui te semble sympa, de toute façon c’est bon presque partout. Bien sûr, il y a eu quelques moins bonnes expériences — surtout à Shanghai, d’ailleurs. Mais franchement, tous ces a priori, ces idées préconçues, ces jugements de valeur… Ça m’éneeeeerve!

Les guides de voyage ne vous diront pas à quel point les Chinois peuvent être gentils, serviables, affables. Ils ne disent pas à quel point ils aiment leurs enfants et leurs vieux, qui sont toujours ensemble, d’ailleurs, ceux-ci s’occupant de ceux-là pendant que les parents triment du matin au soir. À la sortie des classes, ils se massent devant les écoles, où ils attendent leur unique petit-enfant pour le ramener à la maison, à vélo ou à pied, en devisant doucement. Ces enfants aux cheveux de soie, calmes, souriants, épanouis, comme ils sont beaux et sages! Jamais de crise, jamais de larmes, jamais un mot plus haut que l’autre. Et ces vieux qui jouent aux cartes sur les trottoirs, qui font du tai chi dans les jardins publics, qui marchent en se tapant vigoureusement les avant-bras (massage chinois), ils m’impressionnent.

Et puis les parents, qui travaillent, travaillent, travaillent, comme ils ont l’air fatigués, le soir, dans le métro! On les voit somnoler ou fixer un point dans le vide, chargés de paquets ou parfois d’un enfant, lui-même épuisé par un long jour de garderie… 

La Chine trime dur, mes amis. La Chine change vite. La Chine est jeune, fume comme un pompier, consomme fénétiquement, voyage beaucoup. Les vieux crachent toujours par terre après un raclement de gorge aussi sonore qu’écoeurant, mais ce temps-là achève. Le sol des gares brille comme un miroir, les trains sont à l’heure, le métro roule. La Chine est propre, organisée, éduquée et bien élevée, et si, quand nous étions petits, nous «achetions» des petits Chinois pour leur venir en aide, ce sera bientôt eux qui nous achèteront. Et ils paieront comptant.

Grande Muraille

Je craignais la Grande Déception, mais non. Nous sommes allés à Mutianyiu, un peu plus loin de Pékin que Badaling et, ceci expliquant cela, moins fréquenté. Je n’y ai pas trouvé le cirque auquel je m’attendais. Certes, quelques vendeurs de t-shits, de broderies faites à la machine et de kimonos (?) en polyester (??), mais rien que de très normal dans un site pareil.

Parce que, quand même, wow. Dix millions d’ouvriers sont morts en construisant cette extravagance qui, paraît-il, n’a jamais vraiment rempli son office. Les hommes ont donc bien toujours été fous, on dirait. En tout cas. Je vous passe les commentaires sur le paysage grandiose et tout ça, allez lire Wikipédia.

Nous avons escaladé et redescendu je ne sais combien de marches inégales, pris les mêmes photos que tout le monde (mais ce sont les nôtres, lalalère!) et repris le bus, fourbus et un peu grisés par la Tsingtao du retour, pour rentrer à l’auberge. Tout le monde dormait la bouche ouverte dans le car, on aurait dit une classe de première année de retour d’une journée plein air.

Nos genoux on tenu le coup, tellement que Pierre veut qu’on loue des vélos demain (mais il n’est donc pas tuable?). Notre avion décolle à 18h25, ça nous laisse le temps de faire un tour dans la Cité interdite, puis de nous re-re-re-taper le parcours du combattant jusqu’à l’aéroport. Je me réjouis chaque fois de n’avoir que cette petite valise à traîner. Je pense que je vais donner des cours de bagages.

Là, Pierre vient d’allumer la télé, il y a une sorte de vieille comédie musicale en chinois et en noir et blanc, un couple qui chevauche gaiement dans un paysage aussi faux qu’idyllique, les deux en costume traditionnel, la soie, les breloques pis toute – c’est complètement surréaliste. 

De l’air!

Indice de qualité de l’air aujourd’hui à Shanghai: 165 ppm, «Unhealthy for everyone», juste avant «Very unhealthy» et «Hazardous». On a passé la journée à marcher, ne vous demandez pas pourquoi je tousse comme une vieille fumeuse ce soir.

Ça fait que Shanghai, non merci. C’est trop. Trop de monde, trop de fric, trop de n’importe quoi. La ville a de grandes ambitions, que présente un musée de l’urbanisme assez intéressant, place du Peuple, tout près

 de notre auberge dite de jeunesse (où nous sommes en effet les seuls vieux, mis à part un baba-cool français qui fait la manche sur Beijing Road avec un violon de plexi dont il joue affreusement). Urbanisme, donc: on projette de verdir la ville, de décongestionner le centre en créant de nouveaux pôles en périphérie, de dépolluer le fleuve et la rivière qui la traversent et de créer des parcs le long de leurs berges. Ça ne peut que fonctionner: quand les Chinois s’attellent à quelque chose, ils réussissent. C’est l’une des choses qui nous fascinent, d’ailleurs. Ordre, discipline, rigueur, logique, pragmatisme. Et d’un autre côté, ce goût pour le kitsch, le léger, l’éphémère, le fragile, l’illogique: bulles de savon, pétards, cerfs-volants, gadgets de tout acabit; superstitions alimentées à grands renforts de porte-bonheur, de grigris, d’amulettes… 

Tout ça. Pour dire que, demain, on file à Pékin dans un train ultrarapide qui mettra cinq heures à franchir quelque chose comme 1500 km. Quand on parle d’efficacité… Bon, c’est vrai qu’il y a ici une masse critique de passagers qu’on n’aura jamais chez nous, à moins que des Chinois se mettent à émigrer en masse. Ça nous ferait du bien, tiens.

La Chine en marche

Les seules fois où j’ai vu autant de monde dans la rue, à Montréal, c’était à très une grosse manif ou au spectacle de clôture du Festival de jazz. Deux cent cinquante mille personnes, on peut les compter.

Ici, c’est juste un dimanche ordinaire. Et on ne peut pas les compter.

Le samedi soir à Shanghai, des rivières, des fleuves de monde emplissent la rue piétonne qui mène vers l’ancien quartier des affaires, d’où l’on a vue sur les gratte-ciel extravagants de la nouvelle ville, de l’autre côté de la rivière.

Dimanche, nous sommes allés nous promener dans ce qu’il reste de la vieille ville, un Shanghai supposément traditionnel. Déjà, le Lonely Planet et le Routard de 2014 ne sont plus à jour. Des montagnes de gravats, des maisons abandonnées qui attendent le pic des démolisseurs, des palissades, des grues occupent près de la moitié du périmètre que délimitaient autrefois les murailles, depuis longtemps disparues. On a refait deux rues au goût des touristes chinois, avec des toits en pagodes, un décor d’opérette où se succèdent les habituels magasins de camelote et où se presse une foule compacte, ininterrompue, omniprésente. C’est une folie à laquelle on peut encore échapper dans des ruelles calmes et intactes, à quelques mètres de là. On y trouve des marchands de fruits et légumes, de petites boucheries, des bouibouis de rien du tout, des boutiques qui vendent  de menus objets du quotidien, des vieux qui regardent passer la vie, des enfants qui jouent. Les gens sont dehors parce que les habitations sont toutes petites, sombres, sans commodité. Ça crée une vie de quartier qui ne pourra plus exister quand tous ces gens seront relogés dans les tours qui remplacent leurs vieilles maisons.

Dans le train qui nous a menés de Hangzhou à Shanghai à une moyenne de  250km/h, on ne sait pas où commencent les villes, où finit la campagne. Vingt minutes avant d’arriver, ces barres d’immeubles se dressent en série, toutes pareilles, austères, anonymes, et des grues annoncent la construction de dizaines d’autres. La Chine a entrepris une nouvelle Grande Marche, mais vers où?

Je suis constamment partagée entre l’admiration et la perplexité. Un milliard et demi de personnes qui ont besoin de se loger, de se nourrir, de travailler, dans un pays où tout ce qui n’est pas bâti est cultivé ou inhabitable… Ne vous demandez pas pourquoi la Chine est en train d’acheter le monde.

Xi’an

Nous avons quitté Xi’an ce matin. Quelle ville bizarre! Huit millions de personnes y vivent, soit autant que toute la population du Québec. Elle est hérissée de centaines de hauts immeubles sans âme où vivent tous ces gens dont nous ne savons rien. Elle est aussi dotée d’un métro ultramoderne qui ne compte que deux lignes, dont les stations immenses sont destinées à accueillir des foules qu’on n’ose pas imaginer. On peut supposer que le gouvernement construit en prévision de ce qui s’en vient: un raz-de-marée de personnes jeunes, mobiles, avides de tout. 

À la porte sud des remparts, les enseignes de prestige se font concurrence: Gucci, Rolex, Vuitton, nommez-les, elles y sont toutes. Sur les trottoirs larges comme des avenues, ici et là, des gens qui portent leur misère comme une deuxième peau fouillent les poubelles ou mendient dans l’indifférence générale, incarnations de la détresse humaine et de la solitude. On se demande qui peut magasiner dans ces nouveaux temples. Quand on y réfléchit,  même si seulement 2% de la population chinoise a les moyens de s’offrir ces objets ridiculement chers, ça fait encore un marché considérable.

Un boulevard à quatre voies encercle la vieille tour de la Cloche. Si on veut le traverser, il faut emprunter un passage souterrain, tout rutilant de travertin poli. Bon, je dis «vieille» tour, mais en réalité il n’y a plus grand-chose de vraiment ancien, ici. Les remparts, les tours de guet, les casemates, tout a été reconstruit, dans certains cas autour de 1986. Comme les techniques de construction traditionnelles sont toujours en usage, on n’y voit que du feu. Il faut dire que les Chinois sont les rois de l’imitation… Voilà qu’ils s’imitent eux-mêmes, ce qui est quand même le fin du fin!

La promenade sur les remparts ne donne vue que sur des tours modernes et des toits pseudo-anciens. C’est probablement très joli le soir, quand les guérites et les tours sont tout illuminées. Et croyez-moi, on ne lésine pas sur les diodes électroluminescentes.

En fait, ce qui est chouette, ici, comme je le subodorais, c’est le quartier musulman. Quelle vie, quelle animation! Il y a de la nourriture PARTOUT (je l’ai dit, je ne pense qu’à ça). Dès le matin, des brochettes de mouton, de foie, de crabe, de calmar répandent leur parfum dans les rues étroites. Il y a des pains plats farcis de viande hachée, des gâteaux de semoule, des pommes de terre grelot rissolées, des tuiles de noix, de graines de sésame ou de tournesol, il y a des choses que je n’ai jamais vues. J’ai envie de goûter à tout.

Le soir, dans une petite rue tout près de notre auberge, des stands de cuisine remplacent les éventaires qui, le jour, vendent des pinceaux, des statuettes de jade, des amulettes, de petits cadres. Des tables apparaissent soudain, et aussi des tabourets, des barbecues, des étals de brochettes et de légumes. On s’assoit sur ces tabourets d’école maternelle, on commande de la Tsing Tao à 2$ la grande bouteille, et soudain quelqu’un apporte des brochettes qu’on n’a pas commandées mais qui sont si appétissantes qu’on les prend. Peu importe où l’on s’assoit, on peut commander partout autour. Il y a un type qui ne travaille qu’au wok, le visage protégé par un masque de chirurgien, avec une telle adresse, une telle efficacité, je ne me lassais pas de l’observer. C’est chez lui que nous avons pris ces minicourgettes extrafines avec encore des pétales de fleur attachées au bout, et ces palourdes exquises, relevées juste ce qu’il faut, comme nous n’en avions jamais mangé.

Et les soldats de terre cuite? Ben oui, nous y sommes allés. En bus municipal, rien de plus simple. Les agences demandent au moins 350¥ (70$) par tête de pipe pour une visite guidée, ça nous a coûté 9¥ pour le transport, 150¥ pour l’entrée.

Pis? 

Intéressant, en vérité. Fascinant, même. Pas déçue d’y être allée. Mais je n’ose imaginer les foules qui doivent se presser là en haute saison. Dans la salle où sont exposés les chariots et les chevaux de bronze (magnifiques), il y avait une telle cohue, tant de bruit, d’agitation, de chaleur, c’était un spectacle en soi.

Nous voici maintenant à Hangzhou, une autre ville qui pousse à vitesse grand V. En fait, c’est proprement hallucinant. Pour y entrer, on traverse une forêt d’échafaudages, de grues, de structures de béton hérissées de tiges d’acier, d’immeubles en construction ou terminés mais encore inhabités. Des dizaines et des dizaines de tours de 30 étages enserrent la ville, que Marco Polo ou je ne sais plus qui avait décrite comme l’une des plus jolies de Chine.

Et c’est vrai que c’est joli. Le vieux centre est charmant, paisible, harmonieux, du moins ce que nous en avons vu en marchant de la station de métro à notre hôtel, où nous nous sommes posés avec délice pour savourer une Tsingtao bien froide.

À plus pour la suite!

Pingyao

C’est comme se promener à Carcassonne, à Marrakech, à Dubrovnik ou à Florence, mais avec des pagodes, des temples bouddhistes et des Chinois partout. Bref, ça date, grosso modo, du moyen-âge mais, à part ça, c’est pas pareil pantoute. 

C’est une ville qui a été très prospère sous les Ming et les Qing. La première banque de Chine a été créée ici, l’argent y coulait à flots et on y brassait de grosses affaires. Le déclin est arrivé vers le début du XXe siècle, et la ville a sombré dans l’oubli et la pauvreté. C’est peut-être ce qui explique qu’elle a échappé au rouleau compresseur de la révolution et du progrès tel que le concevaient Mao et ses copains. En tout cas, aujourd’hui, on peut visiter plusieurs demeures anciennes, intactes, meublées d’époque, qui témoignent de la grandeur passée de Pingyao. C’est assez fascinant… Et ça le serait encore plus, pour les pauvres Occidentaux que nous sommes, s’il y avait des explications en anglais de temps en temps. Quand il y en a, elles ont vraisemblablement été obtenues grâce à un logiciel de traduction, si bien que ça n’est guère plus intelligible que le mandarin (mais c’est pas mal plus drôle).

Belle comme elle est, la ville attire des milliers de touristes, surtout chinois, dont bon nombre de la diaspora (ce qui explique qu’on se soucie assez peu des Occidentaux, au final). Notre hôtel, aménagé dans une très belle demeure traditionnelle, se trouve au coeur de la vieille ville, dans une rue piétonne où les boutiques de babioles aussi invraisemblables qu’innombrables alternent avec les guesthouses (souvent le seul mot d’anglais qu’on trouve sur les enseignes). Il y a du monde, des pétards, de la musique, de petits cars qui transportent des touristes hébétés… D’habitude, nous n’aimons pas beaucoup ce genre de cirque, mais là, il est dépaysant en soi et ça nous amuse. 

Nous voulions partir demain pour Xi’an, la ville des fameux soldats de terre cuite, mais tous les trains sont complets (en Chine, il y a beaucoup de Chinois, et les Chinois voyagent beaucoup). Nous en sommes quittes pour passer une autre nuit à Pingyao, pauvres de nous. Pour ce qui est de Xi’an, les soldats de terre cuite ne nous intéressent pas tant que ça, à vrai dire (on a vu trop de photos), mais la ville et sa région, oui. Il y a au centre un important quartier musulman, et de jolis villages tout autour où se perdre à vélo et manger des choses qu’on ne connaît pas.

Couché-dur

Dans les trains chinois «ordinaires», c’est-à-dire ceux qui ne roulent pas à la vitesse d’un avion supersonique, on a le choix entre quatre classes: assis-dur, assis-mou, couché-dur, couché-mou. Dans la catégorie «couché», ce n’est pas tant la fermeté du matelas qui fait la différence que l’espace vital dont on bénéficie. Couché-dur: six couchettes de 60 cm superposées trois par trois dans un compartiment sans porte, 90cm de passage au milieu. Un petit feeling concentrationnaire que la matrone en uniforme quasi militaire qui gère le wagon ne fait rien pour atténuer. Dès le train démarré, les lumières s’éteignent, bonsoir, bonne nuit. La matrone vient te réveiller quand il est temps de débarquer. 

Couché-mou: quatre couchettes de 90cm, compartiment avec porte verrouillable, prise de courant, lampe de lecture, crochets et cintres. Le luxe! On a dormi aussi dur dans l’un que dans l’autre, remarquez bien. Mais au deuxième matin à débarquer aux aurores dans une ville inconnue, nous commençons à ressentir une petite fatigue. Il n’est que 10h du matin, j’ai l’impression qu’on est en fin de journée. 

Nous avons pris le petit déjeuner dans une gargote qui venait d’ouvrir. On a jeté un coup d’oeil aux marmites, on a fait «ça, ça et ça», et on a mangé une sorte de bouillie de maïs ou de riz mélangée à un genre de bouillon salé et des petits pains vapeur fourrés à la viande. Tout le monde nous regardait bouffer en riant doucement. Sont drôles, les Chinois.

Je suis en train de me sevrer de café au lait et de vin blanc, je vais devenir une sainte.

Là, on va faire une petite sieste dans notre chambre vieille de 300 ans, et on ira explorer cette ville incroyable qu’est Pingyao, trop belle pour être fausse, avec des murailles, des ruelles, des pagodes, des lanternes rouges, des petits vieux qui jouent aux cartes et qui nous sourient de toutes les dents qu’il leur reste.

Une autre Chine

La Chine que vous montre Pékin, c’est celle que j’ai décrite l’autre jour: propre, policée, organisée, saine, prospère.

Nous sommes maintenant à Datong, ville industrielle dont l’économie reposait, jusqu’à il y a peu, sur le charbon. Un smog permanent l’enveloppe, elle a été défigurée par une urbanisation aussi accélérée que désordonnée. Non loin d’ici se trouvent des trésors historiques sur lesquels le gouvernement a décidé de miser pour attirer les touristes et diversifier l’économie. Des projets pharaoniques ont été lancés, notamment pour mettre en valeur des grottes où, au cinquième siècle, ont été sculptées et peintes des milliers de représentations de bouddha, de la plus infime à la plus monumentale. Ça fait penser à Petra, en Jordanie, ou aux bouddhas de Bamiyan, que les talibans ont sauvagement détruits il y a quelques années. En tout cas, c’est une splendeur, vraiment. Mais on a construit autour de ça, en deux ans, ce qui menace de devenir une sorte de Disneyland, qui a dû coûter des fortunes et qui, hors saison, reste lamentablement désert. Un immense pavillon d’accueil qui ressemble à un hôtel de luxe, un musée grand comme un aréna de marbre, des temples, des pagodes, en veux-tu, ô toi, le touriste assoiffé de couleur locale? Et toi, le Chinois exilé à la recherche de ta mère patrie, la trouves-tu assez puissante, assez grande, assez belle?

Là, on est en train de reconstruire la vieille ville. Pas de la restaurer, non. De la refaire à neuf. Pagodes, temples, palais, fortifications. La majeure partie de tout ça avait été rasée pour céder la place à de hideux immeubles d’habitation, ou alors laissée à l’abandon. La ville n’est qu’un vaste chantier hérissé de grues (parce qu’on continue à construire des tours d’habitation de 40 étages), de barrières, d’échafaudages.

En tout cas. Les gens ont l’air content. Je leur souhaite que ça marche…

Nous sommes venus ici par le train de nuit, une expérience dans ce pays où le mot promiscuité n’existe pas, et où l’intimité est un concept tout à fait abstrait.

Nous en reprenons un ce soir pour Pingyao, où nous allons nous écraser et ne pas faire grand-chose, à part prendre une bonne douche et un peu de repos. 

Le charme discret de la propagande

Hier matin, visite d’une lamasserie, ancien palais d’un prince très pieux qui en a fait cadeau à la communauté il y a 270 ans. On peut visiter toutes les salles, aménagées dans ce qui était autrefois le salon du prince, ou sa chambre à coucher, ou son oratoire privé. À l’intérieur, des bouddhas dorés et satisfaits luisent dans la pénombre, et de somptueux ouvrages de soie d’une finesse indicible pendent des plafonds ouvragés. À l’entrée, des croyants se prosternent, un moine en robe pourpre et or fait placidement tourner un moulin à prière. Partout on étouffe dans les nuages d’encens.

Je m’étonnais de la piété des Chinois parce que je croyais naïvement que la Révolution culturelle avait banni toute religion. Bon, ça a peut-être été le cas, mais on s’est ravisé depuis et on a fait mieux que ça. On a instrumentalisé le bouddhisme. Dans l’une des salles, une exposition relate l’histoire de ce temple à l’occasion de son 270e anniversaire. Les panneaux explicatifs en anglais, une quinzaine peut-être, martèlent tous qu’il est le coeur de la Chine bouddhiste, le gage de l’unité nationale, le centre névralgique de la foi et de la culture chinoises, dont la Mongolie et le Tibet, accessoirement et soit dit en passant, font partie intégrante.

Le dalaï lama ne serait pas content, je pense…

Pédaler Pékin

Vous qui croyez que Montréal est une ville de vélo, j’ai des nouvelles pour vous autres. Pas une rue, ici, même un boulevard à huit voies, qui n’ait une piste cyclable, que chacun emprunte dans le sens qu’il veut (même si, en principe, il y a un sens), avec pas de casque, en vélo électrique, en cyclopousse, en trottinette, en triporteur, à pied. Personne pour t’engueuler et te dire que t’as pas d’affaire là.

HUIT voies, je ne rigole pas. Dans les deux sens. Deux boulevards à huit voies qui se croisent. Tu veux traverser ça, tu prends une grande respiration, tu mets tes yeux tout le tour de la tête, pis tu y vas. À travers les trolleybus, les grosses voitures noires aux vitres teintées, les scooters qui traversent en diagonale, les piétons, les vélos, les taxis jaune et vert, les tuktuks, les bus, la police qui siffle… envoye, pédale!

Et on en a pédalé un coup. Sur ces boulevards vertigineux; sur des avenues tout ombragées de grands arbres dont le fin feuillage bruisse au vent; dans des rues pleines de gens, de sons, de mouvement, de tumulte; dans des hutongs vieux comme la Chine elle-même, vrais labyrinthes où la vie s’écoule paisiblement comme si le charivari des rues n’existait pas, ni le temps, ni la violence des hommes. On voit des grands-parents marcher à petits pas en tenant un petit enfant par la main. On voit tout à coup, sur une place, des vieux qui jouent aux cartes, ou aux dames, ou au mahjong, sérieux, concentrés, sans un mot, comme si le monde en dépendait.

Je suis constamment étonnée par l’harmonie qui semble régner ici, même dans le plus complet des désordres. Les rues sont propres, nettes, en parfait état. Il y a des toilettes publiques partout. Bien entretenues, gratuites. Des terre-pleins verdoyants, des trottoirs pratiquables. Aucun moteur à deux temps, ni même à quatre: tous les scooters sont électriques (la Chine n’a pourtant pas cessé de fabriquer des motos à essence… Elle les exporte en Afrique).

À midi, nous sommes entrés dans un autre de ces innombrables bouibouis dont aucun ne passerait le test des inspecteurs de la Ville de Montréal. Je pense que nous avons trouvé la bonne formule. Si le menu comprend des chiffres de moins de 15, c’est OK. Nous commandons par gestes à une dame qui finit par nous apporter ce qu’elle veut, que nous mangeons de bonne grâce.

Nous avons donc pédalé toute la journée sur ces vélos à la selle trop basse, dans le grand soleil et le grand vent, à travers des parcs somptueux où des vieux font du taï-chi, jouent au aki, marchent ou méditent. Je me demande s’il y a des foyers pour les vieux, ici… Ça m’étonnerait.

Au parc Tiantan, où se dresse le temple du Ciel, des femmes en costume dansaient avec une grâce aérienne à l’ombre de cyprès plusieurs fois centenaires. Des familles se prenaient en photo dans les marches de marbre blanc de ce temple qui défie l’entendement. Des mariés prenaient la pose dans leurs beaux habits. (J’ai des photos de tout ça, mais une connexion bien aléatoire.)

À la fin du jour, nous étions à demi-morts et j’avais mal partout, surtout où vous pensez. Nous avons acheté pour 6¥ d’arachides bouillies à l’anis étoilé (un pur délice) et trois grandes bières pour 10,5¥ (environ 2$), et nous nous sommes écroulés sur un canapé pour déguster tout ça.

Ce matin, nos os crient grâce. La Grande Muraille attendra.