Le dernier dimanche + épilogue

Je suis rentrée depuis presque une semaine, mais il me reste à raconter mon dernier dimanche à Mexico. Aussi bien, je dis que je suis rentrée, mais mon cœur est encore là-bas! J’écoute de la musique de mariachis, j’achète des jalapenos, je regarde mes photos en soupirant et je viens de défaire ma valise, abandonnée depuis lundi grande ouverte sur le plancher de ma chambre, son contenu pêle-mêle tout autour (je ne sais pas pourquoi je déteste autant défaire une valise).

Dimanche matin, donc, je file à Xochimilco (enfin, «filer», façon de parler: il faut bien une heure pour s’y rendre, en métro et en tren ligero). C’est un village maraîcher un peu au sud de la grande ville, où je voulais voir les canaux, souvenir de la vie lacustre qui animait Mexico au temps des Aztèques. Les lancheros (bateliers), qui ont vite fait de repérer la rare étrangère que je suis (Xochimilco est surtout fréquenté par les locaux, qui viennent le dimanche s’y amuser en famille ou entre amis), me proposent un tour privé, mais je me vois mal seule comme une gringa dans ces barques faites pour faire la fête. Je veux une colectiva!
«Mira (regarde), me dit l’un d’eux, les colectivas te prennent 100 pesos. Moi, pour 50 de plus, je te fais tout voir et on arrête partout où tu veux. » Non merci, je veux une colectiva, bon! J’ai fini par trouver le bon embarcadère, le tour coûtait 15 malheureux pesos (ah, mais le filou!), j’étais avec plusieurs couples ou petites familles assez tranquilles mais sympa.

Ai-je bien fait! À un moment, nous avons croisé une barque dans laquelle se trouvait un gringo seul avec son batelier, sa Corona et ses tacos. Et tous mes compagnons de s’apitoyer joyeusement:  «Ma qué, pobrecito! Qu’est-ce qui est arrivé aux autres? Ils sont tous tombés à l’eau? Hon! Si c’est pas malheureux!»
Vrai, il faisait presque pitié…
En général, des familles entières (10, 15, 20 personnes) louent une barque, voire plusieurs qu’elles amarrent en caravane. Elles apportent le pique-nique, la bière, la tequila et passent la journée là, dans une ambiance de kermesse dont les Mexicains, décidément, ont le secret. Les lanchas multicolores se bousculent sur les canaux dans ce qui finit par ressembler à une version aquatique des autos tamponneuses (et ce n’est pas qu’une figure de style, les barques s’entrechoquent vraiment!). Ça rigole, ça s’interpelle, les mariachis poussent la chansonnette dans leurs propres lanchas qu’ils amarrent à celles des clients; les barques des marchands de fleurs, de peluches, de ballons et, évidemment, de nourriture zigzaguent à travers tout cela, bref, il règne là un joyeux chaos. J’aurais donc aimé que mon amoureux soit avec moi!

Et dimanche soir, je me suis offert le spectacle du Ballet folklorico de Mexico. Ça m’a rappelé mes jeunes années, à l’époque où j’étais danseuse étoile des célèbres Farandoles de Chicouticou (bon, pas étoile, d’accord), et où nous nous piquions de danse internationale (y compris quelques numéros mexicains).
En tout cas, le spectacle a duré deux heures bien comptées, dans une orgie de robes à froufrous et de frappers de talons, avec une douzaine de musiciens sur scène. Un régal! J’ai trouvé le public bien sage, moi qui aurais tant aimé lancer quelques-uns de ces retentissants  ayayayayaaaaaaayyyy dont j’ai le secret… Mais j’ai eu peur qu’on me mette à la porte, alors je me suis tenue coite.
Je suis rentrée en bus avec mon voisin de strapontin, un charmant médecin britannique venu là en congrès. Nous avons traversé à pied le parc de l’Alameda, où fourmillaient les petites gargotes ambulantes, et je n’ai pu résister à l’envie de m’offrir une dernière paire de tacos, que j’ai dégustés assise sur un muret de pierre. Mon compagnon m’a trouvée bien aventureuse de consommer ainsi de la nourriture de rue, lui qui couchait au Holiday Inn et qui ne voyage qu’en tours guidés… Chacun ses goûts, hein?

Lundi, histoire de m’offrir un dernier bain de Mexico, j’avais résolu de me rendre à l’aéroport en métro. C’est quand même quelque chose, cet aéroport en pleine ville! J’avais soigneusement planifié mon itinéraire pour limiter les changements de ligne, une vraie corvée dans ce réseau qui semble avoir poussé n’importe comment: il faut monter des escaliers, redescendre, remonter, et tourne ici, et va par là… À côté de ça, changer de ligne à Berri-UQAM est un plaisir. C’est dire.
Ça fait que monte, descends (escaliers mécaniques? connais pas), marche et marche, je suis arrivée à l’aéroport au bout d’une heure (une heure!) de transbordements. J’ai eu une bonne pensée pour l’inventeur de la valise à roulettes. Je n’ose imaginer de quoi j’aurais eu l’air si j’avais dû porter un sac à dos, moi qui suis arrivée en nage… au mauvais terminal (évidemment).

L’aéroport de Mexico est fait de deux terminaux. En principe, le numéro 1 est réservé aux vols intérieurs, le numéro 2 aux vols internationaux. Mais ce n’est qu’un principe puisque Air Canada et une poignée de sociétés américaines ont leurs comptoirs au numéro 1. Ce que sachant, c’est là que je me suis dirigée.
Là, pas de trace de Delta. Je m’informe à un agent, il me dit de monter à l’étage et de me rendre jusqu’au bout du corridor (interminable). Au bout du corridor (vraiment très long), pas de Delta. Je m’informe à une agente, elle me dit qu’il faut aller au terminal no 2, donc prendre la navette, au rez-de-chaussée, au bout du $@!&£€∞ corridor!

Heureusement, j’avais du temps…

Alors bon, me revoici dans mes pénates, avec mes chats et une jeune Française qui passera le mois de mai chez moi. Après, j’aurai peut-être la visite d’un jeune couple d’Indiens qui vienne d’immigrer au Canada, et peut-être aussi de mon ami Larbi du Maroc. Ce sera une autre façon de voyager… en attendant le prochain départ.

Bruits (2)

Aux bruits de Mexico, ajoutons, en ce samedi matin:

L’ahurissante pulsation de la musique techno d’une discothèque, quelque part dans la rue voisine, qui m’a tenue éveillée jusqu’à quatre heures du matin, et qu’aucun bouchon d’oreilles, eût-il été inventé par la NASA, n’aurait su étouffer. Je sais maintenant tout sur les méthodes du DG pour maintenir l’attention de ses auditeurs (ils sont sûrement tous sourds, il faut donc varier l’intensité des vibrations).

La grosse caisse qui, à huit heures ce matin, annonçait le début des manifestations du 1er mai, lesquelles passent toutes par l’autre rue voisine (laquelle mène directement au Zócalo), et qui n’ont pas cessé depuis. Un flot compact et ininterrompu de manifestants déferle vers la grande place, où j’irai jeter un œil tout à l’heure (dès qu’il sera ouvert).
Ils doivent dépasser le million, armés de mégaphones, de sifflets, de tambours, de trompettes, de drapeaux et de bannières. De temps en temps, un camion publicitaire hérissé de haut-parleurs s’insère dans le cortège et ajoute ses annonces à cette cacophonie invraisemblable.

Quand j’aurai pris la mesure de l’ampleur de cette marée humaine, j’irai me reposer à Xochimilco, où vit et prospère depuis l’empire aztèque toute une population de maraîchers qui alimentent la mégapole en fruits et en fleurs. Il y a paraît-il des canaux, des barques colorées et des champs fleuris qui sont à leur plus beau en ce moment même.

Ça me changera!

Bruits

Au moment où j’écris ceci: Dans le café où je me trouve, à l’heure de la fermeture, le bruit du rideau de fer qu’on déroule. Celui de la télé où joue à tue-tête une telenovela qui a dû coûter très cher de larmes artificielles. Celui du moulin et de la machine à café, de la clim, des ustensiles qu’une serveuse secoue vigoureusement dans un seau de plastique pour je ne sais quelle raison obscure, des voitures qui passent dans la rue, des conversations des gens qui ne sont pas en train de surfer. Le cliquetis des claviers sur lesquels il faut piocher comme des sourds pour en tirer quelque chose, le choc de la vaisselle qu’on ramasse parce que le resto est sur le point de fermer (ce dont personne  ne semble se formaliser), le bip bip de la caisse qui additionne les additions.

La nuit, dans la ruelle autrement tranquille de mon hôtel: Des étudiants qui chantent l’hymne national après avoir fait honneur à la boisson nationale. Le raclement des poubelles d’acier que traînent sur le trottoir les employés du buffet chinois du rez-de-chaussée, et la musique qui les accompagne. Les conversations des gens de l’immeuble d’en face, qui veillent sur le toit.

Le matin: le chuintement des balais sur les trottoirs qu’on lave à grande eau savonneuse (à chaque commerçant son bout de trottoir). Les bus, les voitures, les motos, les zillions de taxis qui klaxonnent pour se signaler aux clients, le sifflet des agents de circulation. Les rideaux de fer qu’on remonte.


Le reste du jour: tout cela en même temps, plus le boniment du clown au Parque Alemada Central, qui m’apostrophe au moment où je passe devant lui: ¡Holà, señorita! Hao ale you? Waile ale you flom? Canada? Qué bonito!
Il y a toute une assistance hilare. Je lui dis qu’il peut me parler en espagnol, il me demande mon nom, et me voici engagée comme clownette de service. Il va me faire une sculpture en ballon, et il en profite pour commettre quelques calembours à connotation sexuelle dont les Mexicains raffolent. Au lieu de me demander quelle couleur je préfère, il me demande: «¿Qué sabor?» Je choisis rose. Il me demande si je les aime grosses ou longues. Je réponds que l’important, c’est ce qu’on fait avec. Il rigole. Il commence, ça a l’air absolument de ce qu’on pense qu’il va faire. Je me marre, il me dit que j’ai l’esprit mal tourné, tout le monde dans l’assistance se tord de rire. Il finit par me fabriquer un très innocent et très joli cygne rose, que je remets gracieusement à un jeune homme derrière moi, puisque je m’en vais faire des courses et que je n’ai absolument pas l’intention de traîner ça au mercado d’artesania.
Bruit des applaudissements.
La clim vient de s’éteindre, je suis la dernière cliente, on passe la serpillère derrière moi. Je rentre.