Ça fait que je me suis levée à 5h30, ce matin (il y a un verbe en espagnol pour ça, c’est madrugar, «se lever aux aurores»), en prévision de notre départ pour Yanama, à quelque 90 km de Caraz, sur l’autre versant de la Cordillera blanca. On met trois bonnes heures à couvrir cette distance par un chemin pierreux qui s’insinue à travers les pics et les gorges, longe d’austères et noires parois qui font les délices des grimpeurs, traverse des paysages toujours changeants et, en cette saison, nimbés d’une brume surréaliste. Sujets au vertige et au mal des transport, s’abstenir.
J’ai même surpris Yony, qui conduit là-dedans comme un chef en fredonnant TOUTES les paroles de TOUTES les chansons qu’il a stockées sur une clé USB, je l’ai surpris à faire le signe de croix avant de partir. Au nom du Père, du Fils et du saint Esprit, puis tu baises ton pouce.
C’est pour dire.
Bon, Yony a la foi, et moi, j’ai foi en lui, alors tout est bien, je suppose.
Donc, après trois bonnes heures de ce transbahutage à travers des paysages que je n’arrive pas à photographier parce que ça ne leur rendrait jamais justice, nous sommes arrivés à l’Instituto Antonio Raimondi juste à temps pour les discours, très inspirants, des différents notables. Je ne blague pas: inspirants. On veut que les jeunes restent dans la région, se réapproprient la terre, la cultivent et en vivent. «Les temps changent, a dit mon collègue Pedro. À cela, nous ne pouvons rien. Mais nous savons que, si nous y sommes bien préparés, nous pourrons y faire face. À vous de préparer votre avenir avec les outils que vous avez maintenant.»
«La vie n’est pas meilleure ailleurs, a dit la préfète. Il n’y a pas de meilleure vie qu’ici.»
Ces jeunes sortent de trois ans de formation en entrepreneuriat agroalimentaire. Ils sont, en quelque sorte, l’avenir de la région et même du pays puisque, sans cette formation, sans l’appui des différentes parties prenantes (ministères péruviens de l’Éducation et de l’Agriculture, Allpa, Formagro, SUCO), nombre d’entre eux seraient partis en vain chercher du travail à Lima ou dans une autre grande ville. Là-bas, en général, ils ne font que grossir les rangs de ceux qui vivotent grâce à de petits boulots ingrats – vendeurs de camelote dans la rue, chauffeurs de mototaxis – et habitent des bidonvilles insalubres par définition.
Alors qu’ici… Ici, à Yanama (sans doute ailleurs aussi, mais ici!), la nature est si généreuse, si abondante, si magnifique, je n’ai pas eu assez d’yeux pour tout embrasser, tout contempler, tout absorber. Tant de beauté ne peut que rendre les gens meilleurs. Et les nourrir, de toutes les façons.
Après les discours, il y a eu un almuerzo (repas du midi) gargantuesque où tous étaient conviés, préparé par un bataillon de femmes toutes plus gentilles les unes que les autres (en fait, les gens en général sont si gentils, doux, aimables, chaleureux, je n’en reviens pas).
Puis nous avons repris la route, non sans avoir, avant, cherché dans tout le village le monsieur à qui nous voulions acheter du fromage. Il fait une mozzarella de lait cru, excusez, mais j’ai failli me rouler par terre. J’pense que je ne perdrai pas de poids au Pérou…
Bref, on a repris la route. Il avait plu abondamment, le chemin n’était plus qu’un ruisseau de boue, les montagnes étaient drapées dans une brume mouvante et opaque; il a même neigé un peu. Yony fredonnait, Pedro et José (un autre collègue de Formagro qui enseigne à l’Institut) somnolaient derrière, et moi, j’écarquillais les yeux.
À notre arrivée au bureau, à Caraz, Yovana m’a serrée dans ses bras comme une soeur, toute contente de savoir que j’avais adoré mon voyage. Un peu étourdie, j’ai marché jusque chez moi en passant par le mercado, pour acheter du pain, des oignons, du papier d’emballage pour le cadeau de l’échange de demain (une bouteille de pisco, l’alcool national, proche de la grappa, que j’offre à un collègue que je ne connais pas).
J’ai acheté aussi un sachet de pois verts fraîchement écossés, quatre minuscules petits pains légers à mourir que je vais déguster demain matin avec de la confiture de pêches, une orgie de beurre et quelques tranches de mozzarella fraîche. J’ai aussi pris en passant à la panadería un litre de lait frais, du vrai lait de vache avec la crème qui flotte à la surface, qu’on vous vend 2,50 soles (1$) dans un sachet de plastique fermé d’un simple nœud. Je l’ai transvasé dans une jarre en faisant plein de dégât. Mais OHHH. Je ne sais pas comment je ferai après pour boire d’autre lait que celui-là.
Par la fenêtre, je vois le pic neigeux du Huascaran, impérial, étincelant, qui rosit dans le couchant à travers un fouillis de fils électriques. C’est tellement beau…

Un lac glaciaire le long de la route vers Yanama. Je jure que je n’ai pas retouché les couleurs.

On l’aura vu brièvement en matinée…

Le paysage derrière l’Institut Raimondi.

C’est rien. Juste une ouverture

Un tracteur? Pour quoi faire?

Un joli (et premier) veau normand, issu d’une mère suisse, pour l’Institut Raimondi.

Amour mère-fils.
WordPress:
J’aime chargement…