Rififi à Fidjerossè

Fidjerossè, c’est le nom du quartier où j’habite avec MonChéri. Il n’y a pas 20 ans, c’était encore la brousse (dixit Éric, le mari de Pélagie). Comme c’est près de la plage, la spéculation immobilière va bon train, d’autant plus que le gouvernement a dans ses cartons un projet de zone hôtelière de luxe, avec route bitumée et tout le toutim. Et comme il y a beaucoup, beaucoup de fric à la clé, on peut croire (et craindre) que, dans ce cas-ci, le gouvernement fera ce qu’il a dit. En tout cas, il ne se passe pas un jour sans qu’on remarque un nouveau chantier qui donnera une autre de ces extravagantes villas plus tape-à-l’oeil les unes que les autres.

À côté de ça persistent des parcelles où de toutes petites maisons de ciment à toit de tôle s’adossent à un mur autour d’une cour centrale, avec un puits et des latrines. Chez Pélagie, ils sont 35 à s’entasser là-dedans. Entre les ridicules châteaux des nouveaux riches et les masures des très pauvres, il y a des maisons, disons, plus raisonnables, comme celles de nos voisins d’en face, ou la nôtre (qui sont tout de même d’un luxe inouï pour la plupart des Béninois).

Ma rue n’est pas la plus belle de Cotonou (il faudrait qu’il y ait de belles rues, d’abord!), mais elle est vivante, diverse et divertissante. Tout le monde se connaît, c’est plein d’enfants et de petits ouvriers et de dames qui cuisinent et de chèvres qui trottinent et de poules qui picorent… On aperçoit régulièrement Mémé, ou le colonel, ou le voisin d’en face, en train de prendre l’air devant leur portail, à observer cette vie qui sort de partout.

Il y a quelques semaines, un petit potentat local a décidé de bâtir un mur de ciment pour délimiter ce qui, prétendait-il, était sa propriété, laquelle empiète largement sur la rue. Les gens n’étaient pas contents, mais alors pas du tout. Surtout ceux qui tiennent un petit commerce sur ce terrain, qui se voient maintenant coupés du regard des passants et donc privés d’une clientèle d’autant plus précieuse qu’elle est rare.

Peu après, des types sont venus, accompagnés de gardes armés. Ils ont commencé à arpenter la rue et à installer des marqueurs devant les maisons, à quelques mètres. Il s’est formé un petit attroupement: mais qui sont ces gens? que font-ils? tout le monde y allait de ses hypothèses. Le colonel a fait savoir que le gars qui allait planter quoi que ce soit devant sa porte n’était pas encore né. Le voisin d’en face a dit essentiellement pareil. Mémé a claqué la langue avec dégoût. Les types ont fini par partir après avoir posé trois ou quatre bornes.

L’autre jour, un voyage de sable a atterri devant la maison du colonel. Ici, un tas de sable, ça veut toujours dire que quelqu’un s’apprête à construire. Il est apparu que monsieur le potentat, qui a des relations à la mairie, a acheté une bande de terrain de trois mètres tout le long de la rue. Il entend y construire des échoppes, qu’il louera à de petits commerçants. Si bien que les résidants auraient, pour rentrer chez eux ou en sortir, à franchir un passage ménagé entre deux boutiques. Fini la sieste sous le manguier pour le colonel. Fini la méditation vespérale de Mémé, assise sur un tronc d’arbre à côté de sa porte.

C’était sans compter sur la solidarité et la détermination des gens du quartier! Une petite manifestation spontanée s’est organisée. Les enfants, armés de bassins, se sont mis à disperser le sable, les gendarmes sont venus, même la télé ! Il paraît qu’on a pu voir Mémé en personne, malgré ses 84 ans, chanter et danser avec les autres. J’ai raté l’émission, hélas, mais elle m’a raconté tout ça l’autre matin, toute fière de son coup, en remuant du popotin dans le corridor, les bras en l’air. Cette femme m’émerveille.

Pierre a pris quelques photos de la manif, les voici. On attend la suite, mais un zem m’a dit hier que le mur récemment construit serait cassé, que ce terrain n’appartient pas du tout à monsieur Potentat, qui n’a qu’à bien se tenir.

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