Mon ami Jean

En fait, c’est le titre que j’aurais dû donner à mon entrée précédente. Sans Jean, je n’aurais pas du tout la même Normandie.

Mon ami Jean m’a emmenée dans le pays de son enfance. Il m’a raconté son histoire par petites touches, avec un humour qui n’appartient qu’à lui. Il m’a montré la maison où il passait ses vacances dans le village natal de sa mère, à Mers-les-Bains. On a passé par la ruelle où il s’est écorché les genoux en tombant de son petit vélo, il m’a désigné le magasin où il achetait des sucettes à 20 centimes sur la promenade de la plage. Nous avons marché le long de ces incroyables falaises de craie ponctuées des blockhaus installés par les Allemands durant la guerre de 39-45.

À Mers-les-Bains, le village où Jean passait ses vacances quand il était petit.

Les traces de la guerre sont partout sur cette côte.

J’ai suivi et écouté mon ami Jean tout du long, non seulement parce que c’est son histoire et que l’histoire des gens que j’aime m’intéresse par définition, mais aussi parce que j’étais dans les romans de mon enfance, une fois de plus. Je sais exactement de quoi il parle, sans l’avoir jamais vécu.

Nous sommes rentrés aujourd’hui dans sa jolie maison du Mans, à travers des paysages estompés par une bruine et un brouillard tenaces. Des paysages dont je ne me lasse pas: champs de blé en herbe, d’un vert printanier en ces sombres journées d’automne, bocages dorés, tendres vallons ponctués tantôt de vaches dont Jean peut instantanément me dire l’espèce, tantôt de moutons, et, de loin en loin, un clocher pointu qui signale un tout petit village…

Je suis constamment happée par ce pays si diversement et partout domestiqué, dompté, habité, jardiné, cultivé, modelé depuis des siècles, je dirais même une couple de millénaires, avec tout de même une harmonie qu’on n’a pas chez nous. Ça me fascine.

Jean conduit. Tandis que j’observe la campagne, mille questions me viennent en tête, que je lui pose à la volée. Il a, je dirais, réponse à tout, ou presque. Histoire, géographie (ses sujets préférés), société, agriculture, ornithologie, zoologie, architecture… Quand il ne sait pas, on cherche sur Wikipédia.

Mon ami Jean est irremplaçable.

Ma Normandie

Mon ami Jean est un trésor national.

Il connaît son coin de pays comme personne, il adore en faire les honneurs et il est le plus exquis des guides.

C’est lui qui, il y a plusieurs années, m’avait emmenée à Arromanches, là où mon père a débarqué avec les troupes britanniques le 6 juin 1944. J’avais appelé papa d’une cabine téléphonique, sur l’esplanade qui domine la plage, et je garde de ce moment un souvenir impérissable.

PHOTO: Jean Huez

Nous sommes de nouveau en train de baguenauder sur la côte normande, mais cette fois beaucoup plus avant. Nous avons fait un arrêt à Dieppe, où Jean n’a pu s’empêcher de me prendre en photo devant tous les monuments qui rendent hommage aux soldats canadiens venus mourir là pour rien.

Je vous les mettrai plus tard — je sais, je dis toujours ça, mais j’ai un motif: on n’a pas de connexion wi-fi là où nous logeons, un charmant et minuscule appartement à Mers-les-Bains, passé Dieppe, où est née la maman de Jean et où il passait ses vacances quand il était petit.

C’est tellement joli, je ne sais plus où regarder.

Et on s’est bourrés de moules-frites dans un estaminet éphémère sur la plage, je n’ai pas pu tout finir, mais c’était trop bon. Là, je suis mourute, je me couche. La suite demain!

La princesse au Mans

J’ai parcouru sous un crachin hargneux les 800 m qui séparent la maison d’Anne de la gare, où je suis arrivée mouillée comme un chien des rues.

Pendant les deux heures du trajet jusqu’au Mans, j’ai pu admirer à loisir la formidable organisation de cette société, qui a inventé les jardins tirés au cordeau, le pain baguette et le fromage aux artisous, ce qui n’est pas sans paradoxe.

La pointilleuse exactitude des trains était cette semaine contrariée par une autre de ces grèves qui émaillent le quotidien des Français depuis la nuit des temps. En fait, à cause de la grève, certains convois sont annulés. Mais ceux qui arrivent et repartent le font à la milliseconde près. Ainsi, le mien a démarré à 9h22 pile, et il est entré en gare du Mans à 11h26, soit avec deux minutes de retard sur l’horaire prévu.

Il était bondé parce que c’est les vacances de la Toussaint. Quand ils ne sont pas en grève, les Français sont en vacances: deux semaines à la Toussaint. Deux semaines à Noël. Deux semaines en février pour les sports d’hiver. Deux semaines à Pâques.

Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir venir vivre au Québec, où on gèle comme des rats en hiver, où on travaille comme des forcenés 50 semaine par année, et où une bouteille de vin et un fromage corrects coûtent une journée de salaire?

Enfin.

Mon ami Jean et sa petite-fille Lia m’attendaient à la gare, joyeux et animés, et nous sommes rentrés à la maison non sans passer prendre quatre belles baguettes bien craquantes à la boulangerie du coin. Que pensez-vous que nous avons fait en rentrant? Eh oui: on a pris l’apéro.

Quand les Français ne sont pas en grève ou en vacances, ils prennent l’apéro. Encore que rien n’interdit de prendre l’apéro quand on est en vacances, ou en grève, ou en toutes circonstances.

Jean, qui se souvenait de l’aversion pour le poulet que j’ai gardée de mon aventure péruvienne, avait eu l’excessive délicatesse de troquer sa traditionnelle volaille du déjeuner dominical pour un rôti de boeuf. Quand je vous dis que ces gens-là sont civilisés!

Remarquez, j’aurais volontiers mangé de ce poulet fermier qu’il achète, selon ce qu’il m’a dit, d’un petit producteur tout près de chez lui. Je sais vivre aussi, quand même.

Des cousins venus d’Angers, deux personnes exquises que j’avais rencontrées il y a des années lors de mon premier séjour au Mans, se sont joints à nous, on a passé un délicieux après-midi malgré le temps gris, à manger, à boire et à deviser interminablement comme dans mes films préférés. Entrée. Plat. Salade. Fromages. Dessert. Café. Miettes et coudes sur la table.

On a fait une partie de jeu de mémoire avec Lia, qui m’a infligé la pire humiliation de ma carrière, puis une de Scrabble, que l’heure du souper nous a obligés à interrompre. Dommage, j’allais gagner.

Demain, direction Langrune sur mer, en Normandie, où Jean doit remettre Lia à sa maman et où nous achèterons des huîtres. Des huîtres. DES HUÎTRES. Des h.u.î.t.r.e.s. Des HUÎTRES!!!

Oui, on en a chez nous, mais elles sont meilleures ici, que voulez-vous.

Là, je suis dans mon lit plein d’oreillers moelleux à souhait, sous une couette de crème chantilly, un vrai lit de princesse, d’où le titre un peu redondant de cette chronique.

Et comme, à cause des vacances de la Toussaint, tous les trains vers Marseille sont complets ou hors de prix jusqu’au 6 novembre, eh bien, mon pauvre ami Jean va devoir m’endurer jusque-là.

Je promets d’être sage.

Enfin, aussi sage que peut l’être une vieille princesse dans mon genre!

La princesse à Versailles

La princesse, évidemment, c’est moi.  Bon, vous me direz que je suis quand même un peu vieille pour être une princesse.

Ouais, pis? La Margaret, là, la petite soeur de la reine du Canada, elle a vécu jusqu’à quel âge?

Donc ça se peut, une vieille princesse, CQFD.

D’ailleurs, je me reconnais en elle bien plus que dans la princesse au petit pois, à laquelle mon Pierre ne cessait de me comparer.

T’essaieras de faire du camping sauvage avec la princesse au petit pois, toi.

Margaret et moi partageons en effet un  penchant pour la liberté, les accrocs à la bienséance et les boissons enivrantes, et j’imagine que nous avons aussi en commun une certaine incertitude existentielle, ceci expliquant cela.

Mais bon, tel n’est pas mon propos, pis je me psychanalyserai peut-être un jour, mais sans vous.

Bref, je suis donc à Versailles, chez mon amie Anne, que j’ai connue par des amis d’amis. Une très longue histoire qui commence au Village Vacances-familles de Petit-Saguenay il y a quelque 30 ans (bonjour, Roberto et Marcelle!). C’est merveilleux, ce réseau qui se crée presque par magie.

Qu’il me suffise de vous dire que Roberto et Marcelle m’ont fait connaître Brigitte et Jean-Noël, qui m’ont fait connaître Anne, qui m’a présentée à son amie Michèle.

La fille d’Anne, Isabelle, a vécu quelque temps chez moi, il y a plusieurs années, alors qu’elle était en stage d’ostéopathie. Je l’ai aimée et traitée comme ma propre fille, parce qu’elle est aimable comme ça, la belle Isabelle. J’ai aussi vu Anne et Michèle à Montréal, séparément, alors qu’elles y étaient pour le boulot. Et nous nous sommes vues à Paris, aussi en coup de vent, une ou deux fois, pendant que j’étais en reportage ici ou là.

Elles ont toujours été fidèles lectrices de ce blogue, m’ont toujours répondu et donné des nouvelles, elles se sont inquiétées pour moi quand j’étais au Pérou… Leur fidélité, leur amitié m’a toujours touchée, elles qui me connaissaient si peu. Ni l’une ni l’autre ne sont sur Facebook, alors je dois leur amitié à quelque chose de plus profond qui me confond et m’honore tout à la fois.

Je suis donc chez Anne depuis mercredi, et comme je l’ai écrit avant-hier sur Facebook (vous me pardonnerez de me citer moi-même, mais vous savez comme je suis paresseuse):

Sa maison est celle que j’imaginais dans les romans de ma jeunesse, avec de très hautes fenêtres qui s’ouvrent sur le jardin, des pièces où je me perds et dont les parquets craquent impitoyablement, des meubles anciens, des secrets dans tous les coins, des portraits un peu mystérieux, des âtres condamnés, des armoires immenses aux portes camouflées sous le papier peint et repeint, bourrées de livres et de revues.

C’est la maison de sa jeunesse à elle, elle n’y voit sans doute pas tout ce que j’y vois.

Moi, je suis chez Colette, ou dans Le roman d’Élisabeth de Berthe Bernage ou dans La clé sur la porte de Marie Cardinal… J’ai carburé à ça toute ma vie et, chaque fois que je viens en France, je me sens comme au cinéma. Mais chez Anne, je suis DANS le film.

Je ne m’habitue pas, et c’est ça qui est fabuleux.

Fin de mon auto-citation.

Avant-hier, nous sommes allées faire à vélo un grand tour dans Versailles, jusqu’au château, que j’avais déjà vu il y a très longtemps (salut, Madeleine!), et surtout jusqu’au Petit Trianon et au Hameau de la reine, un incroyable décor de proto-cinéma que Marie-Antoinette avait fait construire pour se rappeler la campagne de son enfance et pour échapper aux fastes de la Cour. Nous étions comme des gamines, c’était épatant.

Hier, je suis allée rejoindre Michèle à Paris et nous avons marché dans Montmartre (infesté de caricaturistes qui semblent tous avoir suivi le même mauvais cours de dessin par correspondance) et pris un verre au bar des Deux Moulins, rue Lepic (oui, celui d’Amélie Poulain) après avoir visité le très joli petit musée Montmartre (Michèle est la championne des petits musées secrets).

Là, je suis seule dans la grande et merveilleuse maison de mon amie Anne, je pars tout à l’heure pour Le Mans, où je vais rejoindre un autre excellent ami que je connais depuis des années et que je n’ai vu que deux ou trois fois.
J’dis ça, j’dis rien.

Vie de riche

J’ai longuement hésité, au moment de mettre la dernière main à mon petit bagage, à savoir si j’emporterais mon MacBook ou seulement ma tablette. Un Mac, ça pèse, quand même. Pour quelqu’un qui se targue de voyager léger, ce n’est pas rien. Mais c’est mieux pour écrire (ce qui m’est indispensable), et c’est indispensable pour traiter des photos au fur et à mesure (ce qui est quand même mieux que de les laisser dormir jusqu’au retour).

Problème de riche, comme l’a souligné mon ami Hubert.

J’ai fini par mettre les deux dans mon sac de cabine. À présent que me voici confortablement installée au salon VIP Banque Nationale (gracieuseté de ma MasterCard World Elite), je me réjouis d’avoir fait ce choix: j’ai tenté d’écrire ces quelques lignes sur ma tablette, j’y ai renoncé au bout de deux phrases.

Le poulet chasseur (probablement mort de peur) proposé au buffet du salon n’aura pas réussi à me réconcilier avec la volaille, que j’ai bannie de mon alimentation depuis mon retour du Pérou. Mais le vin est correct, il fait frais, on a du wifi supersonique et un personnel qui ne serait pas plus attentionné si on était aux soins palliatifs.

D’ailleurs, j’ai toujours trouvé que, dans les aéroports et les avions, on nous traite soit comme de grands malades, soit comme du bétail. Tout dépend de ton statut. Moins t’as de fric, plus t’es du bétail (ça tombe sous le sens).

Pour commencer, à l’étape de l’enregistrement, si tu n’es pas en classe affaires, oublie la perspective de parler à un être humain. Scanne ton passeport ici, imprime là ton étiquette de bagage et ta carte d’embarquement, fais la file pour déposer ta valise en tête à tête avec un écran tactile, pis scramme. Même plus moyen de tenter de charmer un préposé pour obtenir un surclassement, merdalors! (Ça marche jamais, anyway.)

La seule chose qui est la même pour tous, c’est le contrôle de sécurité, qui ressemble de plus en plus à une zone de tri de cochons destinés à l’abattoir. Des barrières qui s’ouvrent et se ferment, des scanners qui bipent, des gardiens pareils à des robots qui dirigent le troupeau vers la machine qui va lire ton matricule.

On vit dans un monde d’humanoïdes.

Même la gentillesse du préposé à l’accueil du salon BN semble suspecte, télécommandée, comme un discours de Justin Trudeau ou un point de presse du ministre de l’Environnement du Québec. J’oublie son nom, mais c’est pas grave, c’est pas un humain.

Je ne me plains pas, hein. Ce serait indécent. D’autant plus que j’ai le front de PRENDRE L’AVION! En ces temps troublés, malgré l’apocalypse annoncée, en dépit des exhortations de ma conscience environnementale, sans égard à l’opprobre que ne manquera pas de me valoir cet accroc à la bien-pensance environnementaliste.

Oui, oui, j’étais à la manif du 27 septembre. Mais chacun ses contradictions, tsé. J’ai l’outrecuidance de croire que ce voyage de six semaines, qui me mènera essentiellement chez des amis que j’ai rencontrés au hasard de mes voyages ou des circonstances, n’est qu’une goutte (voire une molécule) d’eau dans l’océan en furie des catastrophes environnementales qui nous guettent.

Ce voyage est bâti sur l’amitié, sur la richesse de coeur de ces personnes aimées que je vais enfin revoir. Cette richesse qui vaut bien mieux que toutes les autres.

C’est ça, ma vie de riche.

Le reste n’est que poussière de plastique.