L’école

(Photo ci-dessus tirée de Google)

Hier, quand j’ai eu Fabian à moi toute seule, je lui ai demandé s’il allait à l’école. Je me disais qu’Ismaél, à qui j’avais déjà posé la question, était déjà bien trop rusé pour me dire la vérité (ou pas).

Fabian m’a raconté qu’ils y allaient tous les deux, qu’ils commençaient à 8h et finissaient à 14h, d’où leur présence sur la plage à l’heure où j’y arrive (avant ça, il fait trop chaud pour moi).

Si on compte bien, ça fait quand même six heures d’école, ce qui est très respectable.

Fabian m’a dit que son papa travaillait comme compagnon dans la construction, que sa mère faisait de l’artisanat à la maison.

Mais si c’était vrai, pourquoi ces gens-là lâcheraient-ils leurs enfants « lousses » sur une plage, à vendre des babioles et des colifichets à de purs étrangers qui pourraient leur faire n’importe quoi?

Je n’ai pas vu mes petits amis aujourd’hui, mais Concha (la dame qui fait de si délicieux pains aux bananes) s’est arrêtée pour causer un peu avec moi, comme elle le fait chaque jour.

Elle aussi a le don de se matérialiser soudain à mon côté. Elle pose alors sur mon épaule ou sur mon bras une main si douce, si chaleureuse, si pleine de gentillesse que je la reconnaîtrais même sans la voir.

Quand elle est arrivée, aujourd’hui, un minuscule petit garçon jouait près de moi dans le sable, son panier d’animalitos à côté de lui, un billet de 50 pesos (un peu moins de 4$) dans la main.

Il m’a dit qu’il s’appelait Victor et qu’il avait cinq ans, mais je lui en aurais donné trois.

J’ai montré le gamin à Concha; j’étais alarmée, consternée. Elle m’a dit que bien des enfants qui vendaient étaient plus jeunes encore. Elle s’est penchée sur le petit pour lui dire qu’il devait mettre son billet dans sa poche pour ne pas le perdre.

Mais Victor n’avait pas de poche.

Elle a donc tiré de ses affaires un sachet de plastique où elle a enfermé le billet, et elle a placé le tout sous les animalitos, pour que le billet ne s’envole pas au vent.

J’ai invité Concha à s’assoir un peu, et nous avons causé.

Elle m’a affirmé qu’aucun de ces enfants ne va à l’école, que leurs parents ne travaillent pas et font plus d’argent qu’elle, que ceux qui fabriquent ces babioles au Chiapas gagnent très bien leur vie.

Concha vient de Guadalajara. Elle s’est récriée vivement quand je lui ai demandé si elle venait elle aussi du Chiapas.

Je soupçonne qu’elle entretient au sujet des peuples indigenos les mêmes préjugés que nous au sujet de « nos » Autochtones.

Ça me vient à l’esprit tandis que je vous écris, je n’en sais rien du tout.

Si je la vois demain, je lui poserai d’autres questions. En attendant, je lui ai acheté un pain aux bananes, que je vais manger avec délice demain matin.

Ce sera ma dernière journée ici.

Prochaine fois, je crois bien que j’irai dans le Chiapas.

Grand-maman

Aujourd’hui, comme hier et avant-hier et le jour d’avant, j’ai marché sur la plage et je me suis posée chez El Brujo.

Fabian et Ismaél n’ont pas tardé à me repérer et m’ont tout de go proposé une autre partie de dominos.

Bien sûr, j’ai accepté, et bien sûr, j’ai perdu. Leur façon de jouer favorise inévitablement celui ou celle qui a commencé, et je ne commence jamais, et je suis trop contente de féliciter el gañador, qui est toujours Fabian, le plus petit.

On a aussi joué AVEC les dominos, et vous n’avez pas idée de tout ce qu’on peut faire avec ces petits blocs de bois.

Au bout d’un moment, les enfants m’ont signalé la présence de leur abuela (leur grand-mère).

Ils me l’avaient déjà présentée, mais j’avoue que, parmi toutes les personnes qui arpentent la plage pour vendre leurs petites choses, je m’y perds parfois.

Aujourd’hui, donc, elle s’est assise un peu avec ses petits-fils et moi. Je ne l’oublierai plus, désormais. Son sourire tout encadré d’argent, comme ça se fait beaucoup en Amérique latine, son regard fatigué, le sac de plastique dans lequel elle transporte les animaux de feutrine brodés qu’elle offre à vendre — girafes, lions, licornes, oiseaux…

Elle s’appelle Angelina. Elle ne parle pas espagnol, ou alors seulement quelques mots.

Fabian et Ismaél nous servent d’interprètes.

Elle a 56 ans. Elle a eu sept enfants, trois filles et quatre garçons.

J’aurais dû mentir quand elle m’a demandé mon âge.

Elle m’a regardée d’un air incrédule, m’a demandé si je n’avais pas, moi aussi, mal au dos, à la tête, aux os…

Je n’ai rien trouvé d’autre à répondre que oui, bien sûr, un peu. On est restées là sans rien dire, et puis elle est repartie de son air las, parce qu’il fallait bien travailler.

Les enfants avaient envie de se baigner. C’était la première fois que je les voyais aussi joyeux, disponibles. Peut-être parce que c’était vendredi.

« Vous avez la permission de vous baigner?, ai-je demandé.

— Je vais appeler ma mère pour lui demander, a dit Ismaél. On a essayé avec mon téléphone, mais on est tombés dans le buzón (la boîte vocale), dont personne ne semble se servir ici.

Ismaél a donc couru au resto où travaille sa soeur pour demander la permission. Il est revenu tout essoufflé, triomphant, et les deux se sont déshabillés en deux secondes, ne gardant que leur short, pour se jeter à l’eau comme deux petits chiens fous.

C’était beau à voir.

La partie de dominos

Pardonnez cette très mauvaise photo: tant la lentille de mon téléphone que mes lunettes se couvrent d’embruns au bout d’une demi-heure au bord de la mer.

Je m’en rends compte pour les lunettes, évidemment, mais j’oublie souvent le téléphone.

Peu importe: l’essentiel est ce qui suit.

Aujourd’hui, fidèle à mes petites habitudes, je me suis rendue au bar El Brujo, où je peux m’assoir à l’ombre et lire tranquille moyennant une ou deux Modelo Especial (43 pesos chacune, soit un peu plus de 3$).

Je l’ai déjà dit, j’aime cet endroit parce qu’il est fréquenté essentiellement par des Mexicains, et aussi parce que, à force, je me suis un peu attachée à certains vendeurs itinérants.

Ainsi en est-il d’Ismael et de son petit frère Fabian, à qui j’avais acheté les animalitos de la ménagerie dont je vous ai parlé l’autre jour.

Je n’avais alors pas eu la présence d’esprit de leur demander leurs noms ni de les prendre en photo.

Mais voici que désormais, quand ils passent, ils s’arrêtent pour me saluer. C’est Ismaél qui prend l’initiative: il se matérialise soudain à mon côté, et Fabian, qui le suit comme un petit chien, arrive bientôt sur ses talons. Nous causons:

— Comment a été ta journée, Ismaél? Tu as vendu un peu, aujourd’hui? — Oui. — Plus qu’hier, alors? — Oui. — Ah, je suis contente! Et qu’as-tu vendu le plus? Il me montre les animalitos.

— C’est ce que je préfère dans ta marchandise, tu sais. Je vais toujours me souvenir de vous deux grâce à ça, quand je serai rentrée chez moi.

Il me regarde de ses beaux yeux doux comme un velours, je ne sais trop ce que je dois y lire.

Les deux acceptent de s’assoir brièvement, le temps d’une petite pause, et puis Ismaél, sérieux et affairé, déclare qu’ils doivent retourner travailler.

N’oubliez pas que ces gamins ont respectivement 8 et 6 ans.

Aujourd’hui, vers 16h, Fabian arrive vers moi et me demande, de but en blanc: « Est-ce que tu sais jouer aux dominos? »

— Euhhh, oui, pourquoi?

— Tu veux faire une partie?

— Hein?

— Veux-tu jouer aux dominos avec nous?

— Ay, claro que si!

Et voilà Fabian qui sort un petit jeu de double-six, qu’il garde dans une poche latérale de son sac à dos.

Une fois l’affaire conclue, Ismaél arrive à son tour. C’est lui qui détermine les règles: qui commence, combien on pige de dominos, à qui le tour.

Les dominos sont légers et minuscules, impossible de les placer debout comme nous faisons chez nous: le vent fou du Pacifique les abat inévitablement. Les garçons me montrent comment les tenir tous dans une main, ce qu’ils font avec aisance malgré leurs petits doigts, alors que mes grosses pattes n’y arrivent pas.

Fabian ne sait pas encore très bien compter, mais Ismaél l’aide gentiment.

On a joué trois parties, je n’en ai gagné aucune.

Après la deuxième, Ismaél m’a prévenue: la prochaine serait la dernière, parce qu’ils devaient retourner travailler. Ce qu’ils firent, non sans me demander si je serais là aussi demain.

Je ne sais pas si j’ai bien fait, mais je leur ai donné à chacun une pièce de 5 pesos, pour les remercier d’avoir pris de leur temps pour moi.

Cinq pesos, ce n’est rien. Même pas 1$. Mais la question n’est pas là.

Ces enfants ne vont manifestement pas à l’école. Ismaél sait écrire son prénom et il sait compter, mais il ne peut pas (ou ne veut pas) me dire son nom de famille.

La question est surtout: que suis-je en train de faire?

Rebonjour, Bucerías!

À peine arrivée à Sayulita, j’ai su que je détesterais cet endroit.

Médusée par les hordes de barbares qui se baladent en maillot de bain en pleine rue (VOYONS?!), par les enfilades de restaurants et d’hôtels qui ne laissent plus aucune place aux habitations (et donc aux habitants), par la furieuse pulsation qui semblait secouer toute la ville, j’ai mis deux bonnes heures, après avoir pris possession de mon lit, pour me décider à ressortir.

« Ressaisis-toi, ça doit pas être si pire », me suis-je dit.

J’ai donc marché jusqu’à la plage, où les parasols et les stations de massage s’étendent à perte de vue.

J’ai fait le tour de la place centrale, dont on ne distingue plus rien de l’architecture parce que des milliers de fanions multicolores barrent le ciel (c’est tellement festif).

Je me suis arrêtée pour manger à un boui-boui recommandé par mon hôtel pour sa cuisine authentique, où les clients, tous étrangers, se succèdent à un rythme d’usine sans se regarder.

J’ai parcouru quelques rues, où les voiturettes de golf disputent l’espace aux automobiles et aux scooters.

Et j’ai conclu que oui, c’est si pire. C’est même plus pire.

J’étais tellement découragée que je n’ai même pas pris de photos. Vous devrez donc me croire sur parole, comme pour Puerto Vallarta (c’est quand même drôle).

D’ailleurs, comparé à Sayulita, Puerto Vallarta semble une succursale de l’Éden.

Bref, après avoir acheté de quoi me bricoler un petit souper, je suis rentrée à mon hôtel pour femmes, où j’ai en effet rencontré de très belles et gentilles personnes, dont je pourrais techniquement être la grand-mère.

Elles m’ont aimablement invitée à sortir avec elles, mais je n’ai pas voulu abuser de leur grandeur d’âme. Dans tout ce boucan, avec leurs accents de l’Angleterre ou de l’Oregon et mes vieilles oreilles, sans parler des courts-circuits qui se produisent dans ma tête entre l’anglais, le français et l’espagnol, la conversation risquait de devenir beaucoup trop laborieuse.

J’ai donc tranquillement mangé mes toasts à l’avocat (je ne me lasserai jamais de ça), et j’ai résolu de rentrer à Bucerías dès le lendemain (donc ce matin même), faute de pouvoir devancer mon vol de retour sans que ça me coûte un rein.

On peut dire que ce n’est pas le plus beau voyage de ma vie.

Mais au moins j’améliore mon espagnol, la mer est tout près, j’ai de quoi lire, et quelques personnes, ici, me reconnaissent, dont José, le serveur de mon bar de plage préféré (n’espérez jamais ça à Sayulita).

Ça pourrait être pire, hein?

Adios Bucerías

J’ai décidé de devancer mon départ de Bucerías, je pense que j’en ai fait le tour. Curieusement, je pars alors que je commençais à trouver mes marques.

J’ai eu le temps de parler un peu avec la vieille dame qui vend des pains aux bananes et au coco, celle qui vit à San Vicente. Elle s’appelle Concha, elle est vraiment drôle et fine, et son pain aux bananes est un délice. Aujourd’hui, j’ai acheté le pain au coco, je vais manger ça demain matin avec l’excellent capuchino du minuscule café au coin de la rue où j’ai déjà mes habitudes.

J’ai aussi un petit rituel et un serveur attentionné au Brujo, un bar de plage fréquenté en majorité par des Mexicains, où tout est moins cher et meilleur qu’ailleurs (j’en ai essayé d’autres, hein). Sur les conseils de ma belle amie Marianne, j’ai commandé une michelada — mélange semblable à un Bloody Caesar, mais avec de la bière au lieu de la vodka.

C’est bon, rafraîchissant et pas trop alcoolisé, parfait pour un après-midi de paresseuse à la plage.

J’ai passé tout mon temps à lire. Dans ce paradis où je me trouve, croyez-le ou non, je suis en train de lire Aucun de nous ne reviendra, un compte rendu saisissant de la vie à Auschwitz, magnifiquement écrit.

Méchant contraste.

C’est bon de temps en temps de se faire remettre les yeux en face des trous

J’ai revu les deux petits garçons (deux frères, adorables) à qui j’avais parlé la semaine dernière. Je leur ai acheté trois animalitos pour 100 pesos (environ 7,50$). Ils m’ont donné un petit cours d’espagnol pour m’apprendre à les nommer. Allais-je négocier? Je regrette seulement de ne pas les avoir pris en photo, ces deux-là. Ou mieux: dans mes bras.

J’ai aussi acheté un joli chat brodé à une minuscule jeune maman accompagnée de ses deux petites filles.

Voici donc ma petite ménagerie, avec le colibri en perlage auquel je n’ai pas pu résister non plus (ou surtout à sa vendeuse).

Je vous laisse avec ma vieille face enfin contente de son sort.

Au marché du dimanche


Ceux qui me connaissent savent à quel point j’adore les marchés publics.

J’en ai visité des dizaines, dans toutes les villes et tous les villages où j’ai posé le pied, sans jamais me lasser.

Il y a à Bucerías un mercado municipal, mais, d’après ce que j’ai compris, il est tout nouveau et n’a pas encore complètement supplanté celui, plus informel, qui se tient tous les dimanches dans un coin un peu excentré.

Donc je suis allée faire un tour là-bas en matinée, avant qu’il fasse trop chaud.

Évidemment, on y trouve de tout: des produits frais, des vêtements, des ustensiles de cuisine, des jouets, des outils, de l’artisanat, de la nourriture préparée sur place, des casseroles, des pièces d’automobile…

Mais ce qui me fascine toujours dans ces marchés, surtout en Amérique latine et encore plus ici, au Mexique, c’est la gentillesse infinie des gens, et la fierté avec laquelle ils acceptent de se faire photographier par une Gringa qui n’a rien à leur donner en échange que son sourire.

Ce monsieur qui a fièrement pris la pose sous le regard réprobateur de sa fille.

Voici Alen, qui cueille lui-même ses huîtres et qui m’en a offert une à goûter.
Los cuatro compañeros, qui étaient trop beaux dans ce minuscule boui-boui un peu à l’écart du marché.

Je suis rentrée chez moi à moitié morte de chaleur, évidemment. Mais juste à moitié: il y a du progrès! Je commence à croire que je pourrais m’habituer à ça comme je l’avais fait au Bénin et au Niger, ou dans le désert au Maroc.

Je continue cependant de me demander pourquoi j’ai choisi cette destination.

J’ai sûrement quelque chose à apprendre.

C’est probablement ce que va me révéler mon prochain séjour, à Sayulita, dans une auberge réservée aux femmes où il y a beaucoup trop de yoga et de méditation à mon goût mais où j’espère rencontrer quelques sorcières de mon espèce (ou pas).

En attendant, j’espérais faire une excursion aux îles Marieta, un endroit apparemment magique et hyper-protégé où on peut faire de la plongée en apnée. Mais me retrouver sur un catamaran dans un groupe de 100 personnes, avec bar ouvert? Non, merci.

Donc je reste ici, bien tranquille.

Bucerías

Cette photo, c’est ce que je vois de mon balcon.

J’entends caqueter des poules tandis que ces messieurs les coqs font des vocalises en prévision du Grand Réveil de demain matin.

Quelques chiens jappent ici et là.

Une cloche fait entendre son timbre un peu fêlé.

Des ballades sucrées émanent de la maison d’en face.

Ces bruits de vie me remplissent de joie. Je n’aurai pas ce soir à enfoncer des bouchons dans mes oreilles pour échapper au vrombissement constant de la circulation qui sévissait à Puerto Vallarta.

En fait, je regrette surtout de ne pas pouvoir laisser ouvertes porte et fenêtres ce soir pour les entendre tous: il fait une chaleur de four, et dormir sans la clim sera impossible.

Ça cuisait déjà sérieusement quand je suis arrivée, vers midi. Après avoir posé mon petit bagage dans ma chambre et repris une température normale, je me suis aventurée dans les rues incroyablement pentues et bossues de mon quartier pour acheter de l’eau et quelques fruits — deux bananes, une mangue, trois de ces minuscules limettes si juteuses, et aussi un légume que je n’avais jamais vu de ma vie, un jícama.

J’ai demandé à la dame ce que c’est et comment on l’apprête. Elle m’a expliqué que ça se mange surtout cru, avec du sel et du jus de lime (y a-t-il quelque chose, au Mexique, qui se mange sans sel ni jus de lime?).

Quand je suis rentrée, j’ai montré ça à Manuel, le proprio de la maison où j’habite, qui s’est fait un plaisir de me donner du sel et un couteau pour éplucher, et qui m’en a appris un peu plus sur le jícama (à commencer par la prononciation avec le bon accent au bon endroit).

Le goût et la texture du jícama m’ont rappelé ceux des pommes de terre de mon enfance, tout juste extirpées du jardin de mon papa et qu’on mangeait à la croque-au-sel.

J’ai donc grignoté ça sur mon balcon en lisant, parce qu’il n’était plus question de ressortir. Il faisait si chaud que je me serais consumée au bout de quelques mètres sans laisser d’autre trace qu’une petite flaque d’eau vite évaporée.

J’ai résolu de descendre à la plage vers 16h pour me baigner dans le Pacifique et, accessoirement, boire une bière: les bars de plage sont le seul moyen d’avoir de l’ombre et de se baigner sans s’inquiéter des biens qu’on laisse sur place.

Et puis il y a de l’ambiance!

Une bulle au cerveau

Un joli petit bout de rue, quand même.

C’est probablement ce qui s’est passé quand j’ai réservé mon vol pour Puerto Vallarta.

Une absence momentanée, qui m’a fait croire que je trouverais ici le charme désuet des stations balnéaires démodées, un peu comme ce que j’avais vu je ne sais plus où, peut-être à Wildwood, sur la côte est des États-Unis, il y a longtemps.

J’aime bien les choses un peu décaties, décalées, démodées, où le temps semble avoir pris une pause prolongée.

Je suis certaine que l’endroit a déjà été très joli, magnifique même, avant que les Gringos n’y affluent et ne dénaturent absolument tout.

C’est généralement ce qui arrive quand rien ne régule la cupidité des hommes. Parfois, ça s’arrête et ça se répare un peu.

Mais ici, ça continue de continuer.

Hier, décidée à fuir ce cirque, je suis allée faire un tour à Bucerías, à une demi-heure d’ici en bus local. C’est plus petit et beaucoup plus calme que Puerto Vallarta, même si, bien sûr, c’est envahi de touristes. J’ai passé la journée à la plage, je me suis baignée un peu, et j’ai surtout observé les vendeurs ambulants.

Parmi eux, une minuscule vieille dame édentée et boiteuse, qui vendait une sorte de gâteau aux bananes très dense, qu’elle prépare elle-même. Je lui ai dit « gracias » en souriant, et elle s’est arrêtée un peu. On a fait un petit bout de conversation. Elle habite à San-Vicente, un micro-village perdu dans l’arrière-pays. Elle fait l’aller-retour chaque jour. Je peux vous dire qu’il n’y a rien de facile là-dedans!

« Je devrais y aller », j’ai dit. « Oui, viens, m’a-t-elle répondu. Tu vas voir, c’est autre chose. Il n’y a pas de touristes, là-bas! »

Sinon, tous et toutes proposent la même marchandise — les fameux colibris en perlage, mais aussi des broderies toutes pareilles, des colliers, des bracelets tressés… Quand je leur demande s’ils fabriquent ça eux-mêmes, ils me répondent invariablement que oui.

Mais si on pose la question aux enfants, qui eux aussi vont de table en table pour offrir sensiblement les mêmes choses, on comprend assez vite que tout ça est fabriqué au Chiapas dans des ateliers de misère.

Ils viennent tous de là — parents, enfants, grands-parents. Ils s’exilent vers les zones touristiques dans l’espoir de gagner un peu d’argent et d’échapper à la pauvreté.

Et chez eux, d’autres malheureux sont enchaînés à cette industrie de marde.

Je vous raconte tout ça et je réalise que la vraie bulle au cerveau, ce serait celle qui m’empêcherait de m’approcher ainsi des gens, ne fût-ce qu’un tout petit peu.

En même temps, je me rends bien compte que je fais partie du problème.

Je vous laisserais bien avec des photos de ma promenade dans la Zona romántica de Puerto Vallarta — mon dernier effort pour aimer un peu cette ville — mais elles ont toutes disparu, sauf une. Ne me demandez pas pourquoi ni comment.

Un signe, sans doute.

Puerto Vallarta

Je retrouve le Mexique tel que dans mes souvenirs (qui remontent quand même à 2010): bruyant, coloré, chaotique, nonchalant, débonnaire, avec ses enfants grassouillets, ses vendeurs ambulants, ses trottoirs meurtriers (ne JAMAIS marcher le nez en l’air ici — je me le suis cruellement rappelé, aujourd’hui, en me rétamant comme une débutante).

À l’aéroport, il y avait une file monstre pour en sortir, parce qu’on repasse les bagages aux rayons X, comme s’ils n’avaient pas été scrupuleusement scrutés à l’embarquement.

Il m’a bien fallu une heure pour enfin émerger à l’air libre, j’étais en nage, couettée comme un chat noyé.

Fait chaud, au Mexique. J’avais oublié ça, on dirait.

Puerto Vallarta est un drôle d’endroit. Station balnéaire autrefois très à la mode, elle a subi tous les outrages du tourisme de masse. Elle garde néanmoins, dans le quartier où je loge, quelques traces d’architecture coloniale (sûrement beaucoup plus dans le quartier historique, dit la Zona romántica).

Ses rues pentues et pavées de pierres rondes me rappellent celles de Huari, la petite ville où je me trouvais quand je suis tombée malade au Pérou — pas forcément de bons souvenirs, on s’en doute, mais je vais passer par-dessus.

Après avoir pris possession de ma chambrette et m’être rafraîchie, je suis allée voir la mer. Trois coins de rue et on y est. J’ai trempé mes pieds dans le Pacifique, puis je me suis écrasée dans un de ces petits bars de plage où, les pieds dans le sable, on peut boire une cerveza, manger une bouchée et regarder défiler la vie.

Les petites filles qui crient en jouant dans les vagues (ou vice versa).

Le couple de musiciens maison qui fausse affreusement sur des airs préenregistrés,

Le type en bobettes, sur la plage, manifestement très imbibé (et de moins en moins inhibé) qui danse seul sous son parasol au rythme de leurs chansons.

La famille mexicaine en vacances qui commande plats après plats.

Les Américains blasés et obèses qui ne se parlent pas.

Les vendeurs ambulants, las et tristes, qui proposent leur marchandise avec l’énergie du désespoir. Des T-shirts imprimés « Shut up, liver, you’re fine! », des colibris fait de perles de verroterie (très jolis, 300 pesos, soit environ 22$), des lunettes de soleil, des chapeaux, des huîtres fraîches déjà ouvertes, sur un lit de glaçons qui fondent à vue d’oeil (oui, même ça).

J’ai ensuite marché vaguement sur le Malecón (la promenade qui longe la mer) vers la vieille ville, mais j’étais fatiguée, j’avais envie de pipi (les toilettes du bar étaient repoussantes), alors j’ai rebroussé chemin. Mais j’ai quand même vu cette étrange zone rocheuse où les gens ont érigé des centaines de petits cairns, c’est assez étonnant.

J’ai trouvé un supermarché où j’ai acheté un avocat, trois limettes, deux tomates, une carotte, deux petits pains et un fromage beaucoup trop gros, et j’ai vaguement grignoté sur la terrasse de la maison en regardant le coucher du soleil.

Là, je m’en vais faire comme lui, je suis mourute.

Buenas noches!