Mon collègue José vit et travaille à Caraz, mais sa femme et ses deux enfants habitent à Casma, à quelque quatre heures et demie de route d’ici. Il se rend là-bas deux fois par mois, pour passer trois ou quatre jours en famille. Le reste du temps, il travaille. Nous sommes donc deux à nous ennuyer quelque peu les fins de semaine, ce que nous n’avons réalisé que récemment.
Je l’aime bien, José. Il est drôle, il aime la vie, il est sensible, il est gentil et il n’est pas compliqué.
Un bon camarade.
Bref, aujourd’hui dimanche, après être allés voir «nos» petits producteurs au marché, nous avons pris une moto-taxi pour monter jusqu’au au Paraíso, une des trois ou quatre piscicultures autour de Caraz où les truites frétillent dans des bassins de béton alimentés par l’eau qui descend des montagnes. On te fait là un ceviche à tomber par terre, les proprios sont adorables, la bière est fraîche, ça porte bien son nom.
Je pensais rentrer ensuite sagement chez moi pour plier la montagne de linge que j’ai lavé moi-même de mes blanches mains (croyez-le ou non, les draps, les serviettes, les bobettes, les chemisettes, alouette), qui m’attend depuis des jours sur un fauteuil dans ma chambre. Mais José a reçu un appel de son vieux papa, qui vit sur une ferme à 10 minutes de Caraz et qui espérait sa visite.
Une ferme? Avec des vaches, des cochons, des moutons, des canards? Que pensez-vous que j’ai fait?
J’ai demandé à José si je pouvais l’accompagner, bien sûr. Il a rappelé son papa, qui a dit oui, bien sûr.
Le papa de José a 80 ans. Il a quitté sa femme pour une autre qui, actuellement, en a 36 tout au plus. Quand ils se sont connus, elle avait déjà deux enfants. L’aîné (dont j’oublie le nom, malheureusement) doit avoir 14 ou 15 ans, peut-être un peu plus. La deuxième, Carla, a 9 ou 10 ans. Les deux sont adorablement gentils, brillants, amènes, tout ce que tu voudras. Leur maman est d’une douceur infinie.
Et José a un petit frère de 6 ans, Abraham, qui lui a sauté dans les bras comme un petit ouistiti quand nous sommes arrivés, et qui ne nous a plus quittés.
Vous dire le bonheur qui m’a envahie là, à travers ces gens simples et bons, les enfants libres et beaux, les cochons tout contents d’être heureux, les canetons qui errent dans la cuisine, les inévitables chiens qui courent partout…
On a bu de la chicha de jora, une boisson fermentée à base de maïs. Abraham, magnifique petit garçon aux yeux pétillants d’intelligence, curieux comme tout, ne tarissait pas, il voulait tout savoir, tout me dire, tout me montrer. À un moment, il m’a dit qu’il avait un lion. «Ah, un lion, vraiment? Et où ça?
— Juste là, en bas, avec les moutons.
— Bon, je veux le voir!
— En plus, je le monte.
— OK, je veux voir ça aussi!»
Il se trouve que le lion en question est un mouton (une brebis?) avec, en effet, une grosse tête de laine pareille à une crinière. Ici, on garde tous les animaux attachés par une patte. Abraham a détaché l’extrémité de la corde nouée à un arbre et n’a fait ni une ni deux, hop! Il a enfourché son lion, qui s’est mis à trotter n’importe où. Sous les branches basses, sous les clôtures, mon Abraham se baissait comme un champion de rodéo, tombait, se relevait, se remettait en selle… Quand le mouton s’arrêtait, il lui saisissait la queue et tirait dessus en disant que c’était comme ça qu’on relançait le moteur, et de fait, le pauvre animal se remettait à avancer.
Carla se tordait de rire et moi aussi, ç’a été un fameux moment.
Puis nous sommes allés marcher un peu vers la montagne. Abraham, qui galopait autour de nous comme un jeune chien, a bien dû faire quatre fois le chemin que nous avons parcouru. «Jusqu’où allez-vous monter? Nous a-t-il demandé.
— Jusqu’à ce que nous soyons fatigués», ai-je répondu.
Il n’a pas cessé, ensuite, de nous demander si nous étions fatigués, et de nous affirmer que lui, non, et de nous le prouver par toutes sortes d’acrobaties. «¡Mi batería esta llena!» (Ma batterie est pleine!), disait-il à tout moment.
Quand nous avons rebroussé chemin, le soleil enflammait les montagnes d’en face, l’or des foins brillait en contrebas, le ruisseau bruissait le long de la piste pierreuse, Abraham nous attendait la tête en bas dans un avocatier.

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