Ça fait que j’ai décidé de ne pas repartir. Du moins pas tout de suite. Anne-Marie et Sylvain, eux, reprendront la route demain matin. Moi, je plierai bagage, mais seulement pour aller m’installer chez Raymonde et Jean-Louis, qui louent des chambres dans leur maison sans que ce soit un gîte officiel. D’après ce que j’ai cru comprendre, ça marche par ouï-dire et un peu à la tête du client.
J’ai rencontré Jean-Louis à la quincaillerie du village, où je cherchais en vain un chargeur solaire pour mon téléphone, dont la pile se vide plus vite qu’il ne faut de temps pour le dire. J’en ai profité pour demander à la caissière si elle ne connaîtrait pas quelqu’un qui accepterait de m’héberger pour une semaine ou deux. Ou trois, pourquoi pas. Jean-Louis, qui attendait de payer ses achats, m’a proposé sa maison.

Raymonde joue au bingo animé par la radio innue. Elle a encore gagné 200$ hier soir!
Raymonde, 70 ans, toute petite, pleine de gouaille et d’énergie, est une Landry apparentée d’une manière ou d’une autre à Gilles Vigneault (je crois qu’ils sont petits cousins). Son mari vient de Timmins, en Ontario. C’est un beau grand monsieur qui ne fait pas ses 75 ans, pourvu d’un bon regard un peu moqueur. Tous les deux sont d’une simplicité et d’une amabilité qui semblent universels dans ce petit village de rien du tout.
Bien sûr, c’est ce qu’on perçoit quand on arrive à Natashquan: imaginez, les gens nous sourient! Spontanément, comme ça! Pas à Montréal qu’on voit ça, où chaque personne qu’on croise sur le trottoir détourne soigneusement le regard pour être bien sûre de ne pas rencontrer le nôtre…
Remarquez, une jeune préposée du bureau du tourisme chargée de nous faire visiter la vieille école nous a gratifiées, Anne-Marie et moi, de quelques confidences qui laissent entendre que tout n’est pas aussi lisse qu’il y paraît. Quoi d’étonnant, au fond?
J’imagine les rivalités, les querelles sourdes, les rancunes anciennes qui couvent sans doute ici comme dans tous les petits villages, malgré le portrait bon-enfant qui émerge de l’oeuvre de Vigneault et du mythe qu’on a construit autour.
Bref, j’espère pouvoir me cantonner ici quelque temps, donner un coup de main aux jeunes de L’Échouerie, l’unique café-bar du village où on est en perpétuel manque de main-d’oeuvre, et puis faire un peu mieux connaissance avec une homonyme, Fabienne Landry, nièce de Gilles Vigneault et elle aussi poète, et enfin me rendre utile auprès de Raymonde et de Jean-Louis, qui ont toujours mille choses à faire.
Et je compte aussi me baigner dans cette mer incroyablement bonne, profiter de la beauté du pays, rencontrer des gens, raconter des histoires.