L’état des lieux

Aujourd’hui, grand moment dans ma nouvelle vie béninoise : avec Hilarion, chargé de la logistique au bureau d’Oxfam, nous avons procédé à l’«état des lieux» du logis que j’habiterai avec MonChéri (qui arrive vendredi, YAYYY!).

Cela consiste essentiellement, en compagnie du propriétaire ou de son représentant, à examiner minutieusement l’appartement et tout ce qui s’y trouve, de sorte que, si quelque chose manque ou est brisé à mon départ, on retiendra sur la caution de deux mois de loyer que j’ai versée (l’équivalent de 1200$) ce qu’il faudra pour payer le remplacement ou la réparation nécessaires.

Mais quand je dis minutieusement : on a compté les fourchettes, les petites cuillers, les contenants de plastique et leurs couvercles (OUI!); inventorié TOUS les interrupteurs de la maison (comme si j’allais m’enfuir avec les interrupteurs) ainsi que les prises de courant, de téléphone et de câble; essayé TOUTES les clés de TOUTES les armoires et de TOUTES les portes (trois clés par serrure, et même le frigo a une serrure, sans blague); noté jusqu’au nombre de brosses à cuvettes (trois, pour le même nombre de cuvettes, dont nous n’avons pas manqué d’essayer la chasse), sans oublier les dévidoirs à papier-cul en plastique jauni et même l’éponge qui achevait de moisir près de l’évier, dans la cuisine.

Il m’a fallu un certain temps pour admettre l’absurdité du processus. Comme cela a duré trois bonnes heures, j’ai pu le faire tout à loisir.

Hilarion est très gentil mais, à la fin, je me mordais les joues pour ne pas éclater. Je crois vraiment qu’il fait exprès. Tsé, compter quatre fois les trois mêmes prises de courant? Devoir refaire le tour de l’appartement pour tester les interrupteurs et noter les ampoules grillées (quatre), parce qu’il y avait une coupure de courant quand nous avons commencé? Sans parler de monsieur Édouard, qui s’occupe des affaires de la proprio (laquelle habite en Californie), et qui craignait qu’on oublie quelque chose… Oh, qu’il m’a observée quand je comptais les ustensiles de plastique noir destinées à préserver le téflon des poêles à frire!

Rien ne m’aura été épargné.

J’avais chaud, j’avais encore pas mal de travail au bureau, il était 15h et on était encore là à ergoter sur une paire de taies d’oreiller jaunies laissées là par l’ancien locataire.

Enfin. On a fini par finir. En principe (hé, nous sommes en Afrique : ne JAMAIS présumer de rien), j’emménage demain en fin d’après-midi, juste à temps pour pouvoir accueillir MonChéri dans notre nouveau logis.

Je ne sais pas pourquoi, depuis, j’ai une chanson en tête :

« Une cuisinière, avec un four en verre
Des tas de couverts et des pelles à gâteau!
Une tourniquette pour faire la vinaigrette
Un bel aérateur pour bouffer les odeurs
Des draps qui chauffent
Un pistolet à gaufres…»

Moi, Fabienne C., mécréante et apostate

Je ne sais pas pour vous mais, personnellement, je ne prends jamais l’assurance-voyage offerte par les compagnies aériennes. Je n’ai jamais non plus pris l’assurance hypothécaire de ma banque.
J’ai pour ça, respectivement, une carte de crédit MasterCard Or (publicité gratuite) et une assurance-salaire. Ça me coûte déjà assez cher, me semble que ça suffit.
Dans le même esprit, j’ai demandé à l’Église catholique, il y a peut-être deux ans, de rayer mon nom de ses registres, c’est-à-dire d’annuler mon baptême. En d’autres mots: j’ai mis fin à mon assurance-paradis.
Non que mon statut de catholique me coûtât quoi que ce soit (admirez l’imparfait du subjonctif et les deux accents circonflexes), mais je pense que, si vraiment le bon Dieu existe et qu’il nous aime autant qu’on le dit, il va m’aimer pareil, que mon nom soit ou non dans les registres de la paroisse du Sacré-Cœur de Chicoutimi, où un quelconque curé m’a versé un peu d’eau sur le front et ointe d’une huile suspecte en faisant quelques simagrées de circonstance. (Je viens de faire une phrase de cinq ou six lignes, chose que je reproche régulièrement à mes jeunes journalistes et parfois même aux vieux. Mais comme je dis toujours: une phrase longue, si elle est bien structurée, n’est pas un problème. Après tout, c’est là-dessus que Proust – que je trouve par ailleurs insupportable – a bâti sa carrière. Ce qui s’appelle une digression.)
Bref, j’ai fait ça (l’apostasie) parce que je refuse que monsieur le pape, quand il excommunie une petite fille au motif qu’elle s’est fait avorter d’un enfant conçu lors d’un viol, lorsqu’il condamne l’homosexualité et la contraception, lorsqu’il refuse l’ordination des femmes, protège des prêtres pédophiles et persiste à obliger tous ses ministres à un absurde célibat, je refuse qu’il parle en mon nom. Je ne fais donc plus partie des X millions de catholiques dont il se réclame.

On trouvera donc étrange que je m’en aille en reportage chez les moines cisterciens, ceux d’Oka, qui ont déménagé à Saint-Jean-de-Matha, pour une retraite de trois jours.
Comprenez ça comme vous voudrez, j’ai de l’admiration pour ces gens-là, qui choisissent de consacrer leur vie à une chose complètement intangible et irrationnelle, et qui sont pour la plupart fondamentalement bons.
C’est aussi vrai pour les bouddhistes que j’ai rencontrés en Thaïlande, et pour les musulmans que j’ai connus au Maroc ou en Égypte. Ça n’a donc rien à voir avec le dieu auquel on s’adresse. C’est une question d’éthique personnelle.
Quand ma tante Cécilia, qui est sœur du Bon Pasteur et bonne comme du bon pain, m’écrit pour me dire qu’elle prie pour moi, je suis touchée. Quand ma marraine Gaétane, tout aussi bonne et d’autant plus qu’elle est ma seconde mère, me dit qu’elle prie sainte Anne pour sa fille Lucie, atteinte d’un cancer (Lucie, je ne prie pas mais je pense à toi, je crois que ça revient au même), ou pour moi, ou pour quiconque a besoin de ses prières, ça m’émeut. Quand Charlotte, mon autre seconde mère (il ne peut pas y avoir de troisième), me dit que son Léo vient lui parler dans ses rêves, je l’envie un peu.
Le chant grégorien me touche profondément, et j’ai un grand attachement à  cet héritage qui me permet de comprendre les plus belles œuvres d’art au monde. Pensez à Michel-Ange, au Tintoret, à Raphaël, aux icônes russes, pensez à tout ce qu’on aime de l’Italie, au charme des églises de campagne du Québec ou d’ailleurs… C’est au point où je regrette de ne pas avoir transmis ce savoir à mon fils, élevé dans la plus pure laïcité.
Le pape ne parle plus en mon nom, j’en suis fort aise. Mais demain, je m’en vais dans un univers de silence, de paix et d’accueil de l’autre. Les moines ne sauront pas que je ne suis ni croyante, ni aucunement catholique.
Mais je crois savoir qu’ils m’accueilleront comme le veut leur règle de vie: sans jugement, avec simplicité et ouverture. On verra bien.
Hé. Allez savoir: je me ferai peut-être nonne? Après tout, c’est un bon moyen de finir ses jours en Italie à peu de frais…

Des hommes et des bêtes

Je ne vous l’ai pas dit mais, la semaine dernière, avec mon ami Jean et sa douce, qui sont venus me rejoindre à Nîmes, nous sommes allés voir des courses camarguaises.
La course de taureau camarguaise n’est pas à proprement parler une course, encore moins une corrida, quoiqu’elle tienne un peu des deux. Hommes et taureaux y courent beaucoup, c’est vrai. Mais le taureau n’est jamais mis à mort. Ce serait plutôt un jeu dans lequel les hommes – les «raseteurs» – tentent de s’emparer de la cocarde, des glands et des ficelles attachés aux cornes de la bête. Chaque attribut a sa valeur, et plus la joute est longue, plus cette valeur augmente en fonction des enchères qu’y mettent divers commanditaires.
«En mémoire de la petite Manon, un euro de plus – les quincailleries du Sud, un euro de plus – Marcel Pignon, grand chasseur devant l’éternel, porte le premier gland à 20 euros», débite l’annonceur avec son bel accent de soleil. Dans les gradins, ça rigole, ça prend des notes, ça s’interpelle…
Le raseteur qui décroche l’attribut remporte la mise. Au bout d’un quart d’heure, le taureau est retiré de l’arène et, si personne n’a réussi à prendre les ficelles (les plus difficiles à décrocher), la somme en jeu va dans la caisse du club taurin.

Un bon cocardier meurt de sa belle mort dans sa manade (l’élevage). Si son propriétaire l’avait en grande affection, il sera enterré, DEBOUT, au lieu d’être lamentablement envoyé à l’équarrissage comme les taureaux de corrida, qui finissent bouffés en ragoût.

Pour tout dire, j’ai trouvé cela pas mal plus passionnant qu’un match de hockey: il faut de l’adresse, de la ruse et de l’endurance, mais il n’y a jamais de bagarre ni de gestes disgracieux.

Les chevaux
Avec l’élevage des taureaux, celui des chevaux est l’autre pôle de la vie rurale camarguaise. La race camargue est d’ailleurs l’une des plus anciennes du monde. Je pars tout à l’heure pour une manade, justement, à une petite quinzaine de kilomètres d’Arles, pour un stage d’une semaine où alterneront les activités de randonnée à cheval et de travail plus technique (maniabilité, dressage, parcours de pays…).Évidemment, je vous en reparlerai…

Arles (bis)

Ce matin, tournée du marché d’Arles, le plus grand de la région. Il prend possession des boulevards qui ceignent la vieille ville, des deux côtés des deux trottoirs, dans une orgie de couleurs, d’odeurs et de sons dont je ne me lasse pas. Sur quelques kilomètres donc, quatre rangées d’étals où l’on trouve de tout, du jambon artisanal «de cochonne» (!) aux fromages fermiers en passant par les olives, les poissons, le nougat et les épices, mais aussi vêtements, vaisselle, brocante et autres colifichets.

Il y a là notamment, parmi les éventaires de produits biologiques, celui de monsieur Bon, producteur de riz à la retraite mais toujours ardent ambassadeur de cette culture somme toute relativement récente en Camargue. Je l’avais vu la veille dans son petit «musée du riz», sur la route de Sambuc, où il recevait toute une basse-cour de sexagénaires fort peu attentifs, mais je n’avais pas voulu le déranger puisque je savais qu’il serait au marché.
Son étal se trouve juste devant le bureau de l’Office du tourisme.
Là, M. Bon le bien nommé distribue à qui en veut, gratuitement, juste pour le plaisir de faire plaisir, de jolies barquettes en bambou remplies de riz complet (le seul qui vaille la peine d’être consommé, comme il dit), sur lequel il dépose, avec votre assentiment, deux beaux filets d’anchois au vinaigre. Il vous offrira aussi une «banderille» d’olives et de jambon cru, et même un verre de vin, et lèvera les yeux au ciel si vous le refusez: «Oh, il est midi!»

Monsieur Bon au marché d’Arles.

Il rigole derrière ses moustaches à la gauloise, explique, interpelle, donne des bisous à ses petits-enfants, fait des blagues à double sens, on ne se lasse pas de l’observer!

J’ai bien sûr été incapable de ne rien acheter, si bien que mon bagage s’alourdira de 1 kg de riz rouge, mais aussi de 165 g de nougat blanc, de 100 g d’épices qu’on m’a vendues à prix d’or (j’en ai vu deux fois moins cher 1 km plus loin, mais bon…) et de deux paires de lunettes trop mignonnes, à ajouter à ma collection.

Après, je suis allée faire un tour au musée de l’Arles antique, où l’on expose les plus belles pièces découvertes lors des fouilles archéologiques réalisées dans la région. Pas difficile de trouver: chaque fois qu’on donne un coup de pelle, ici, on tombe sur des vestiges vieux de 2000 ans… Encore l’an dernier, on a découvert un chaland au fond du Rhône, qu’on s’affaire à sortir de l’eau pour l’exposer au musée. Il était recouvert d’amphores, d’urnes et de toutes sortes de machins pratiquement intacts. Fou, non?

Arles

Il me semble que je suis arrivée à Arles comme dans un rêve. Je filais un mauvais coton, que je croyais dû à mes excès nîmois. Une bonne nuit de sommeil, me suis-je dit, et il n’y paraîtra plus.

Pantoute.

Le lendemain, j’ai dormi presque toute la journée. Je loge dans un hôtel splendide, pratiquement sur le toit d’une maison du XVIIe siècle. Ma chambre est pourvue de neuf fenêtres (NEUF!), j’ai une vue panoramique sur les toits de la ville, notamment sur le clocher du cloître Saint-Trophime, qui sonne matines, angélus et vêpres de sa cloche au timbre un peu fêlé…

Les toits d’Arles

Toits d’Arles, bis

Détail d’une colonne du théâtre romain

Je ne pouvais quand même pas me laisser mourir comme ça! Je me suis donc forcée à sortir vers 16h – au moins mettre le nez dehors, voir les arènes, quelque chose!

Rentrée tôt et épuisée, je me suis mise au lit à 21 h et j’ai dormi toute la matinée du lendemain. J’avais rendez-vous à 11h avec la dame de l’office de tourisme d’Arles, je me sentais comme un débris de déchet.

J’ai fini par aller voir un médecin hier.
Il suffit d’arriver à son cabinet et de s’asseoir. Pas de secrétaire revêche qui vous demande si vous avez un dossier ici, pas de chemises entassées dans des classeurs ouverts, pas de pauvres demi-humains exténués par cinq heures d’attente. Quand il a fini avec un patient, le médecin appelle simplement le suivant. Il serre la main de chacun avant et après la consultation, sans se désinfecter compulsivement au gel antibactérien entre les deux. Il a une moustache en guidon de bicyclette, son bureau sent la fumée de cigarette, il a un bon regard de saint-bernard.
Il m’a écoutée gentiment. «Oui, oui, sans vous connaître, je vois bien que vous avez l’air fatiguée.» Il m’a posé plein de questions, m’a auscultée comme plus aucun médecin ne fait chez nous, a trouvé que je faisais un peu d’hypertension et m’a prescrit un petit machin pour faire diminuer ça. Calme, attentif. «Il faudra quand même consulter quand vous rentrerez, pour vérifier tout ça.
– Merci beaucoup docteur, je vous dois combien?
– 23 euros.»

Y a des jours où j’aimerais mieux payer, tiens.

Bon, Arles, maintenant. J’ai fini, à force de coups de pied au cul (s’cusez) par explorer la vieille ville de fond en comble, notamment avec une guide très intéressante qui m’a montré plein de trucs qu’on ne voit pas au premier regard. (Le défi, maintenant, c’est de marcher le nez en l’air pour ne rien rater sans me casser la margoulette.)
Nous sommes même entrées chez un monsieur qui habite un hôtel particulier du XVIIe siècle, qui était sur le pas de sa porte pour appeler sa chatte, Merveille. Il nous a montré le plafond de bois peint à la mode florentine, à l’étage dit «noble».  Merveille aussi, en vérité.

J’ai recommencé à bouffer, ce qui est bon signe, mais je pense que même à l’article de la mort je finirais par avaler un petit quelque chose. J’ai notamment mangé hier une cervelle d’agneau en persillade, oh, mes amis! Fondante, crémeuse, onctueuse… Quoi? Beurk? Allons, vous ne savez pas ce qui est bon. Et un peu de cervelle ne saurait me nuire.

Aujourd’hui, je me suis encore botté le derrière, j’ai pris mon courage à deux mains et, de l’autre, le volant d’une Renaud Mégane (y avait pas plus petit), et je suis allée explorer l’arrière-pays. J’ai vu des flamants roses, des rizières, des montagnes de sel et des paysages de Van Gogh en trois dimensions. Et je ne prends même pas de drogue.

Près des marais salants

Montagne de sel

Montagne de sel (bis)
Van Gogh en 3D
Flamants roses à la Digue-à-la-Mer

Sur la route de Salin-de-Géraud

Je ne veux pas de Renaud Mégane (ça n’est absolument pas économique), mais je veux un GPS pour Noël. Avec une voix d’homme.

Bon, je vous laisse, j’ai un petit creux.

Nîmes

Trop belle, la ville de Nîmes, et trop gentils les gens! Je logeais au Royal Hôtel (pourquoi pas l’Hôtel Royal? mystère), qui fait aussi bodega le soir, c’est-à-dire qu’on y sert des tapas, que la moitié de la ville s’y retrouve et que, comme le dit la patronne, c’est chaud!
Samedi, j’ai marché au hasard des rues pour trouver un resto où manger un morceau. Le vieux Nîmes se traverse en quelques minutes, c’est assez petit, tout dallé de vieilles pierres polies par les années. Il a la forme d’un triangle avec, à l’un des angles, les arènes (spectaculaires), à un autre la «maison carrée» et au troisième la porte Auguste. Facile!
J’ai donc échoué au Petit Mas, minuscule troquet qui empiète largement sur le trottoir et dont le personnel, plus que débordé, a quand même trouvé le moyen d’être gentil, sympa et rigolo. J’ai mangé une «gardiane de taureau» – en fait une viande en daube, correcte sans plus.
Quand je suis rentrée à l’hôtel, Audrey, la patronne, m’a gentiment offert de m’emmener aux halles le lendemain dimanche. Ce que nous fîmes.
Alors là. Là! Bon, vous connaissez mon goût pour les marchés, ceux de France en particulier… Les Halles de Nîmes sont bien proprettes, animées d’une vie particulière le dimanche matin (tous les magasins sont fermés ce jour-là). On y trouve tous les produits habituels et d’autres encore qu’on ne connaît pas: couenne en terrine (oui, juste de la couenne, et c’est délicieux!), picholines (les olives locales), tellines (minuscules coquillages apprêtés à la crème et à l’ail, qu’on mange avec les doigts sans pouvoir s’arrêter), brandade de morue aussi onctueuse qu’une crème du paradis…
Mais le clou de l’affaire, c’est que, quand on a fini ses courses, on se retrouve au Comptoir des Halles, un café juste en face du marché. Là, les gens déballent qui un paquet de jambon serrano, qui un sachet d’olives, un morceau de bleu, un pot de brandade, du pain acheté au poids au Panissain, on met tout ça sur le comptoir où officie Gérard, le propriétaire, et on partage. Gérard débite les verres de rosé à 1€, les «fœtus limés» (demi-whisky-limonade!), les pastis, prend une bouchée de quelque chose de temps à autre…
À l’heure de fermeture du marché, l’ambiance est à son comble, le bar est si plein qu’on a du mal à y circuler. Ça se salue, ça envoie des piques, ça offre une tournée… N’allez pas vous en tenir au Perrier, on vous regardera de travers: «Avé toutes ces bonnes choses, il faut du vin!»
Il y a Laurent, artiste-peintre, Dominique, qui affirme sans sourciller qu’il est ostéopathe mais que son vrai métier d’homme, c’est d’aimer les femmes. Il y a aussi Geneviève, dite Gene (prononcer «geneu»), patronne de l’un des rares restos nîmois ouverts le dimanche soir, où j’irai manger plus tard. On me présente Jean-Pierre, propriétaire de casino ambulant, on parle corrida, flamenco… bref, l’ambiance est à tuer.
Il a fallu une sieste de plusieurs heures pour me remettre de cette frénésie avant d’aller rejoindre Geneviève au Bistro Maubet, où se trouvaient déjà quelques clients au bar, à qui je me suis jointe comme une vieille connaissance.
Pfiou.
Arrivée à Arles hier, je n’en ai presque encore rien vu, mais je sais que c’est superbe rien qu’en regardant par l’une des 12 fenêtres de ma chambre, tout en haut d’une très vieille maison du XVIIe siècle.
Je vous en reparlerai…

Savoir-vivre

Arrivée vers 15h à Munich, hier, après un dîner avec deux responsables de l’aéroport, lequel est, en vérité, certainement le seul au monde où l’idée de tuer quatre heures n’est pas désagréable: boutiques de toutes sortes aux prix du centre-ville, authentique brasserie artisanale avec biergarten arboré dans un immense atrium, resto bavarois pas mal du tout…
Quoi qu’il en soit, avec tout ça, je ne suis arrivée à Munich qu’assez tard en après-midi – trop tard, en tout cas, pour aller voir la pinacothèque, où se trouve la collection de Rubens la plus importante au monde. Au MONDE! Je n’ai pas osé y entrer, je craignais de n’en jamais ressortir.
Je me suis donc contentée d’écumer quelques grands magasins – deux, en fait. Et partiellement. Le premier, Karstadt, doit faire au moins 15 pâtés de maisons. Bon, j’exagère, mais c’est si immense que même moi, championne magasineuse toutes catégories, je me suis découragée. Il faut dire qu’il n’y avait pas de soldes. J’ai ma fierté, quand même.
Après, j’ai échoué aux Galeries Kaufhof, où j’ai éprouvé le même vertige, d’autant plus que là, il y avait quelques soldes, notamment sur les pulls de cachemire. Mais avec mes hormones en grève, que voulez-vous que j’en fasse?
J’ai bien failli craquer pour une paire de chaussures (encore!), mais je me suis retenue – ma valise ne peut plus prendre ne fût-ce qu’un lacet. Je songe d’ailleurs à me renvoyer par la poste quelques trucs dont, dans ce merveilleux climat provençal, je n’aurai plus besoin, histoire de faire de la place.

Enfin.

J’ai donc arpenté la grande rue piétonne qui va de la gare centrale à la Marienplatz, qui grouillait de monde et de vie. Les villes européennes me séduiront toujours pour cela, ce mode de vie si convivial, où les gens se retrouvent à l’heure de l’apéro pour une bière, un café, une glace, emplissent les rues et les terrasses de conversations et de joyeuses interpellations…
Devant un grand magasin, un orchestre de chambre jouait. Avec un piano à queue! Dehors à l’extérieur au grand air sur le trottoir!

Une petite foule s’était massée, attentive, et de temps en temps quelqu’un allait jeter une pièce dans l’étui à violon posé par terre. Un piano à queue, faut le faire, non?
Il y a même des terrasses où l’on met des couvertures de laine polaire à la disposition des clients pour les protéger du froid. J’appelle ça savoir vivre.

Joies du train de nuit
Je dois le confesser, j’avais une hâte terrible de gagner mon compartiment couchette, dans le train de nuit pour Paris. La chef du wagon, une bonne grosse matrone à l’anglais approximatif et d’une gentillesse totale, a patiemment répété à chaque passager le fonctionnement des divers boutons des compartiments, a noté l’heure du petit-déjeuner de chacun, gut nacht, danke shön.

J’ai fermé ma porte, j’ai lu un peu et je me suis coulée avec délices dans de beaux draps blancs amidonnés, où j’ai dormi comme rarement dans ma vie.

Je me suis réveillée au matin, fraîche comme une rose, pour recevoir l’infâme petit-déjeuner gracieusement offert par la Deutsche Bahn – un café dégueulasse additionné de simili-lait, un croissant au gras trans sous cello, de la margarine, de l’ersatz de confiture, un petit pain rassis et une sorte de pâté qui sentait la nourriture pour chiens. On se croirait encore en temps de guerre.

Séduction à la française
Je suis maintenant à Nîmes, dans un très vieux et très charmant hôtel dont la salle à manger fait dans les tapas. C’est là que j’ai soupé, bien tranquillement, en lisant le roman allemand que nous avait conseillé une de nos guides à Schongau.
Un monsieur est venu me raconter toute une salade, comme quoi il me «mâtait» (sic) depuis un moment, et que j’étais très séduisante (!?) et qu’il aurait bien aimé passer un moment avec moi mais qu’il devait souper avec des amis, et est-ce que je serais là plus tard?
Pantoute, mon homme. Matante s’en va se coucher. Toute seule.

Mais c’est quand même bon pour l’ego d’une femme. Québécois, prenez des notes.

Demain, visite de la ville avec une chargée des relations de presse de l’office du tourisme. Pas moyen d’être tranquille…

Luxe

Hier, nous avons roulé pendant trois bonnes heures et demie dans le fantastique paysage alpin. Enfin, je dis ça, on n’a rien vu parce que les sommets étaient noyés dans la purée de pois et qu’il tombait un crachin tenace, mais bon, ça ne peut pas être tous les jours fête. D’ailleurs, j’aimais autant ça, j’avais tellement sommeil que j’aurais souffert mille morts pour tâcher de rester éveillée afin de ne rien rater, alors que là, j’ai pu somnoler à loisir sans arrière-pensée, malgré les embardées de notre chauffeur, qui conduit son minibus comme un tracteur.

Nous logeons à l’Intercontinental, d’un luxe presque indécent. Rien que pour vous dire, à l’heure de l’apéro (que j’ai passée seule sur mon balcon en buvant du kombucha, je deviens tellement sage que vous n’en reviendriez pas), à l’heure de l’apéro, donc, deux charmants employés (une fille, un garçon) ont sonné à ma porte (sonné, oui, il y a une sonnette) pour le turn down service. Ça se traduit par: «préparation personnalisée pour la nuit». J’ai décliné l’offre sans trop savoir en quoi ça consistait, j’avais peur qu’ils me donnent un bain, me mettent en pyjama et me fourrent au lit (pas de mauvaises pensées ici, bande de malappris!) sans même me raconter une histoire. Sans blague. Il paraît qu’ils ouvrent le lit (comme si je ne pouvais pas le faire moi-même),  tirent les rideaux (mais et le coucher de soleil, alors?), allument les lampes et je ne sais quoi encore.

Je constate que, plus les gens ont du fric, plus ils sont traités comme de grands malades dans les endroits qu’ils fréquentent, ce qui confirme ma théorie: le fric rend débile.

Enfin. De mon balcon, j’ai tout de même pu observer le ciel bleu layette se zébrer peu à peu de nuages pêche au-dessus des pics enneigés. Vraiment spectaculaire.

Là, je rentre à peine, nous avons mangé au resto de l’hôtel (c’était délicieux, surtout le dessert – moi qui n’en mange jamais, j’en bouffe à tous les repas, j’espère que vous me reconnaîtrez à mon retour malgré mes 85kg). Je me sens pleine comme un oeuf, et il faut encore que je fasse ma valise (laquelle sera aussi pleine). Nous quittons demain Berchtesgaden (encore un nom que je n’arrive pas à retenir), où ce vieux salopard d’Hitler avait une résidence d’été et où on avait aussi construit le fameux Nid d’aigle, tout en haut de la plus haute montagne, pour lui qui avait peur des hauteurs et qui n’aimait pas la campagne. C’était un cadeau du parti nazi pour son 50e anniversaire, mais c’était surtout pour montrer ce petit Autrichien déplaisant sous un jour favorable aux Allemands, pour qui la région était un lieu de prédilection.
Toujours est-il que, après des années de tergiversations, on a décidé de construire ici cet hôtel de suuuuper-luuuuuxe, pour redonner au canton sa vocation initiale de villégiature haut de gamme et décourager le tourisme de mauvais aloi, genre pèlerinage néo-nazi. On a aussi créé un «centre de documentation» sur l’histoire du lieu, ce que nous irons voir demain avant de partir.

Je prends le train de nuit pour Paris en fin de soirée, j’aurai un après-midi de plus pour flâner à Munich.

Ben oui, ça pourrait être pire.

Auf wiedersehen.

Garmisch-Partenkirschen

Comment trouvez-vous mon accent allemand?
Personnellement, j’en suis assez fière, même si je n’ai pas encore réussi à dire d’un seul coup Ausgezeichnet (excellent) et Enschuldigung (pardon) avec le naturel et la spontanéité voulus, mais ça viendra. Je manque aussi encore un peu de souplesse pour le plus-que-parfait du subjonctif et quelques autres vétilles, mais j’espère régler ça avant mercredi, jour de mon départ.

Trêve de bêtises; aujourd’hui, je dois dire que j’ai pu profiter de l’une des plus belles randonnées qu’il m’ait été donné de faire depuis un moment (d’autant plus qu’il y a vraiment un sacré bail que je n’en ai pas fait).

Nous avons longé le Partnach, un torrent qui dévale la montagne au fond d’une étroite gorge, au pied des Alpes. Au bout d’une heure et demie de montée, on arrive dans une vallée où l’on ne peut pas s’empêcher de fredonner les grands succès de La Mélodie du bonheur. Les moutons à clochettes, les maisons aux balcons ouvragés tout fleuris, la neige qui coiffe les austères sommets alpins…  que voulez-vous? Me voyez-vous, en dirndl, en train de tournoyer joyeusement dans les alpages comme Julie Andrews?

Fabienne en Dirndl

Riez, riez, n’empêche que, vous saurez, le dirndl et le lederhose (costume traditionnel masculin) se portent encore couramment lors des fêtes populaires et de l’Oktoberfest (lequel, comme on sait, a lieu en septembre).

Bref, au retour de cette randonnée ausgezeichnet, nous avons visité les petites villes de Garmisch et de Partenkirschen, maintenant jumelées et qu’on appelle familièrement Gapa, sans doute pour imiter Homa, le diminutif d’Hochelaga-Maisonneuve (amis étrangers, n’essayez pas de comprendre).
Au passage, j’ai aperçu trois jeunes hommes vêtus bizarrement – pantalon noir à pattes d’éléphant, chapeau melon, veste noire – qui portaient chacun un baluchon. J’ai d’abord pensé à quelque trio de musiciens costumés qui s’en allaient donner un spectacle, mais pas du tout.
Vous souvenez-vous, dans les contes de Grimm, quand un jeune homme se faisait dire par ses parents: «Fils, tu es en âge d’aller courir le monde, va-t’en par les chemins, tu reviendras quand tu seras un homme!»? (Bon, je paraphrase, hein.)
Eh bien cette coutume, en Allemagne, existe toujours. Ces jeunes gens sont des apprentis (menuisiers, cordonniers, boulangers, que sais-je). Vêtus de ce costume traditionnel qui permet de les reconnaître comme tels, ils vont de ville en village, pour se placer chez un maître, qui les fera travailler contre le gîte et le couvert. C’est pourquoi on trouve, à l’entrée des villages, ce qu’on appelle un «arbre de mai», ou mât de cocagne, auquel sont fixées les enseignes de tous les artisans qui tiennent boutique. Ainsi les apprentis peuvent-ils savoir s’ils ont des chances de trouver un patron qui les emploiera.
C’est pas beau, ça?

Bon, je vous mettrais bien des photos, mais nous partons demain matin à 8h pour je ne sais plus très bien où – j’ai la flemme d’aller chercher le programme, et puis la batterie de mon ordi faiblit (la mienne aussi, d’ailleurs).

Bis bald!

Liberté

Aujourd’hui, premier après-midi de liberté. Je suis allée au marché, comme de raison. J’aurais voulu y aller en matinée pendant que les autres allaient au musée BMW, mais il faisait un temps de fin du monde, la pluie fouettait les vitres de ma chambre quand je me suis réveillée. Mettre le nez dehors tenait du suicide. J’ai donc suivi notre petite meute au musée, et bien m’en prit. Le lieu est magnifique, épuré, intelligent, innovateur… Je me fiche pas mal des voitures en général, mais BMW réussit à intéresser le public le plus indifférent.

Après, dîner dans un gril très chic où j’ai mangé… une salade. De légumes grillés, mais quand même, il fallait être dans un gril pour ça! Je suppose que j’ai ma dose de vitamines pour le reste du week-end.

Ensuite, donc, on nous a libérées pour l’après-midi, et je suis allée musarder au marché, très chouette, au coeur de la vieille ville – ou de ce qu’il en reste, puisqu’elle a été détruite à 65% pendant la guerre.
Les étals de schwein (porc) sous toutes ses formes pullulent, évidemment, mais aussi les fruits, les légumes, les fromages… J’en déduis que les Allemands ne mangent pas que de la choucroute, ça me rassure.

J’en ai aussi profité pour faire l’acquisition d’une ravissante paire de chaussures italiennes au look montagnard, en prévision de la randonnée de à Garmisch Partenkirschen (admirez mon accent), là où ont eu lieu les derniers championnats de ski alpin, si je ne m’abuse. Je serai d’un chic tout munichois.
Non, je ne vais pas essayer le tremplin, merci beaucoup.

Ah, et là-bas, pas de wi-fi, alors ne vous inquiétez pas si je ne donne pas de nouvelles. Je n’essaierai pas le tremplin, vous dis-je!

Alors comme nous nous lèverons aux aurores demain matin et que ma valise n’est pas bouclée, je vous laisse là-dessus, non sans tenter de vous mettre quelques photos. J’aurais aimé le faire avant, mais mon fil USB n’a accepté de fonctionner qu’aujourd’hui.
Auf wiedersehn!