Les seules fois où j’ai vu autant de monde dans la rue, à Montréal, c’était à très une grosse manif ou au spectacle de clôture du Festival de jazz. Deux cent cinquante mille personnes, on peut les compter.
Ici, c’est juste un dimanche ordinaire. Et on ne peut pas les compter.
Le samedi soir à Shanghai, des rivières, des fleuves de monde emplissent la rue piétonne qui mène vers l’ancien quartier des affaires, d’où l’on a vue sur les gratte-ciel extravagants de la nouvelle ville, de l’autre côté de la rivière.
Dimanche, nous sommes allés nous promener dans ce qu’il reste de la vieille ville, un Shanghai supposément traditionnel. Déjà, le Lonely Planet et le Routard de 2014 ne sont plus à jour. Des montagnes de gravats, des maisons abandonnées qui attendent le pic des démolisseurs, des palissades, des grues occupent près de la moitié du périmètre que délimitaient autrefois les murailles, depuis longtemps disparues. On a refait deux rues au goût des touristes chinois, avec des toits en pagodes, un décor d’opérette où se succèdent les habituels magasins de camelote et où se presse une foule compacte, ininterrompue, omniprésente. C’est une folie à laquelle on peut encore échapper dans des ruelles calmes et intactes, à quelques mètres de là. On y trouve des marchands de fruits et légumes, de petites boucheries, des bouibouis de rien du tout, des boutiques qui vendent de menus objets du quotidien, des vieux qui regardent passer la vie, des enfants qui jouent. Les gens sont dehors parce que les habitations sont toutes petites, sombres, sans commodité. Ça crée une vie de quartier qui ne pourra plus exister quand tous ces gens seront relogés dans les tours qui remplacent leurs vieilles maisons.
Dans le train qui nous a menés de Hangzhou à Shanghai à une moyenne de 250km/h, on ne sait pas où commencent les villes, où finit la campagne. Vingt minutes avant d’arriver, ces barres d’immeubles se dressent en série, toutes pareilles, austères, anonymes, et des grues annoncent la construction de dizaines d’autres. La Chine a entrepris une nouvelle Grande Marche, mais vers où?
Je suis constamment partagée entre l’admiration et la perplexité. Un milliard et demi de personnes qui ont besoin de se loger, de se nourrir, de travailler, dans un pays où tout ce qui n’est pas bâti est cultivé ou inhabitable… Ne vous demandez pas pourquoi la Chine est en train d’acheter le monde.