Je n’aurais peut-être pas dû rentrer si vite. Il faisait beau à Portneuf-sur-Mer, rien ne me pressait. Mais on annonçait de la pluie aux Escoumins, où je voulais camper ce soir. J’avais aussi songé à un joli petit gîte au Cap-aux-Oies, dans Charlevoix, mais il n’existe plus. J’ai donc fait la route d’une traite jusqu’à l’Anse-au-Sac, près de Saint-Irénée, où m’attendaient une centaine de capelans congelés par les soins de la belle Julie Gauthier, qui a repris la petite affaire familiale de pêche à la fascine.
Vous dire la beauté de cet endroit! Le fleuve turquoise et moiré de l’ombre des nuages, les vallons tout brodés de fleurs sauvages, l’air doux comme un velours, le ciel de cristal… J’ai failli demander à Julie de m’adopter, mais j’ai l’âge d’être sa mère, et elle a déjà une maman.
En tout cas. Paraît qu’elle aura besoin de main-d’oeuvre au printemps prochain. J’dis ça, j’dis rien.
Bref, j’ai parcouru les kilomètres qui me séparaient de Montréal en me remplissant de beauté tant que j’ai pu, c’est-à-dire jusqu’à Baie-Saint-Paul. Après, je les ai avalés comme une médecine amère, en sacrant contre les conducteurs arrogants, les justiciers autoproclamés de la route, les @@#$&$** d’autocaravanes débilement énormes, ces plaies de nos routes.
Me voici donc à la maison, où il fait chaud, mais pas trop. Il pleut un peu, mes fines herbes ne sont pas mortes, j’ai du vin blanc et, pour souper, une portion de tourtière de Charlevoix (ou du Lac-Saint-Jean, c’est pareil) achetée à l’épicerie Dufour de La Malbaie avec du boudin salé.
J’ai aussi du fromage en grains de Saint-Fidèle et une demi-bouteille de gin Betchouan, le meilleur que j’aie jamais goûté.
J’ai surtout le coeur et les yeux remplis de bonheur et de beauté, le cerveau aéré… et l’auto encore chargée de mon équipement de camping, prête à repartir!
Elle file et tisse cette plume
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