
Déjà quatre jours que je n’ai rien écrit, j’ai l’impression que ça fait quatre semaines.
Il faut dire que, entre-temps, je n’ai pas seulement changé de continent, mais bien de planète.
Que je récapitule un peu.
Vendredi soir dernier à Valence, nous sommes allés voir une pièce de théâtre très confidentielle dans un théâtre minuscule. Je n’ai évidemment pas tout compris, c’était un huis-clos, un couple qui se chicane, bref, ça m’a paru assez long, surtout avec ma vieille épaule qui me fait mal quand je reste assise trop longtemps sans bouger.
Nous sommes ensuite allés manger dans le seul resto qui ne débordait pas de monde. Tout était plein, archi-plein – les terrasses, les rues, les places… En plein mois de novembre! Je n’ose imaginer ce que ça doit être par les belles nuits d’été. Mais que c’était charmant et bouillant et juste assez fou pour moi!
Quand je pense à ce que ce doit être à Barcelone… Courez donc vite à Valence avant que ça ne devienne Barcelone.
En tout cas. Samedi, Salvador (le beau-frère d’Antonio, chez qui nous logions) a fait sa traditionnelle paella, puis son autre beau-frère a fait la sienne dimanche, autre immuable tradition.
Je peux vous dire qu’il n’y a pas grand différence entre les familles italiennes et espagnoles. T’as intérêt à être là (c’est du moins ce que m’a expliqué Antonio).
Quoi qu’il en soit, tout le monde a été d’une exquise amabilité avec moi, vraiment.
Paella et famille! La paella après la ruée Une bouteille vieille de 45 ans qu’on ouvre en mon honneur! l’une des nièces d’Antonio, qui m’a traitée avec tant de chaleur et d’amitié que je n’en suis pas revenue
Cependant, tout bien considéré, je pense qu’Antonio s’est trouvé plus dérangé qu’autre chose par ma visite. De fait, il avait prévu tout un tas d’activités pour m’«occuper», et il m’a quelquefois fait sentir qu’il me recevait par obligation.
Je n’en demandais pas tant.
Il se faisait plus de souci que moi quant à savoir où j’irais après, et comment, et jusqu’à quand. Il voulait aussi m’expliquer le Maroc, alors qu’il y est allé une fois il y a 45 ans. Il a comme ça un petit côté paternaliste dont je me suis gentiment moquée une fois ou deux, mais il se trouve que ça ne l’a pas fait rire. Un Espagnol a sa fierté, bien qu’il soit le premier à déplorer la culture machiste de son pays d’origine… Bref, nos valeurs se sont un peu entrechoquées vers la fin.
Je le lui ai dit et répété: je ne le remercierai jamais assez pour son hospitalité. Il m’a bien fait sentir, en effet, que je ne le remercierais jamais assez.
Bref, il était temps que je parte.
Le trajet en train de Valence à Grenade m’a paru interminable (et de fait, il l’était). J’aurais mieux fait de prendre un avion direct jusqu’à Tanger, ça m’aurait épargné temps et argent. Mais on ne sait jamais ce que la vie nous réserve, n’est-ce pas. Je me disais que le train serait plus sympa que l’avion (j’adore les trains, l’ai-je déjà dit?), je voulais aussi traverser le détroit de Gibraltar en bateau, j’espérais rencontrer des gens intéressants, et puis j’avais réservé à Grenade un hébergement qui m’avait paru sympa mais qui s’est révélé complètement déprimant.
Parfois, on se trompe, que voulez-vous.
Ici, quelques images de Valence
Bref, je suis arrivée à Tanger hier.
En descendant du traversier, il m’a fallu négocier avec les chauffeurs de «petits taxis» (qui font les courses locales, par opposition aux grands taxis, collectifs ceux-là, qui couvrent les plus longues distances). J’avais d’autant moins d’argument que je ne pouvais payer qu’en euros et qu’il me fallait aller tout près de la casbah (l’ancienne ville fortifiée, où aucun conducteur sain d’esprit ne veut aller).
J’ai fini par en convaincre un de m’emmener là-bas pour 3 euros (il en voulait 5, mais je savais que la course en valait 2). Il a rouspété tout le long parce que la circulation aux abords de la casbah est assez dingue (mais elle l’est partout), puis il a prétendu me laisser dans une rue où ne se trouvait manifestement pas la maison où je voulais aller. J’ai protesté, mais comme je l’avais payé d’avance, (une erreur de débutante!), je n’avais plus aucun moyen de pression. Je suis descendue de la voiture, j’ai pris ma valise dans le coffre et j’ai tenté de m’orienter tandis qu’il s’éloignait.
Je n’étais pas exactement contente.
Puis il a repassé parce qu’il le devait pour sortir de la casbah. Arrivé à ma hauteur, il a ralenti pour me dire qu’il avait fait ce qu’il avait à faire (je suppose qu’il se sentait coupable de m’avoir abandonnée là). Je ne sais plus trop ce que je lui ai répondu, mais il a fini par me dire de monter, et il m’a emmenée là où je voulais, à quelques centaines de mètres à peine.
Le sacripant!
Nous nous sommes quittés bons amis.
Sans rancune, me voici donc à Tanger, émerveillée, étourdie par les sons, les parfums, les couleurs, les gens – leurs habits, leurs sourires, leurs misères, leur gentillesse, leur politesse exquise, leur humour.
Je croyais que l’ancienne médina de Grenade était un genre de répétition de ce qui m’attendait ici, parce que les influences arabes y sont tellement présentes. Je croyais aussi que Tanger, cette ville portuaire par laquelle arrivent depuis toujours tant d’Occidentaux, serait la plus occidentalisée des villes du Maroc.
Je ne pouvais me tromper davantage. Aujourd’hui, je me suis joyeusement perdue dans les venelles colorées de la médina, je me suis assise sans gêne aux terrasses des cafés (où je suis invariablement la seule femme) pour m’imbiber de thé à la menthe et de culture locale.
Tout à l’heure, alors que j’étais au café Colón pour écrire et traiter mes photos (il y a du wifi gratuit et le thé est bon), quelques messieurs, tous en djellaba et coiffés du chèche, sont venus s’asseoir à la table voisine de la mienne. L’un d’eux m’a fort aimablement proposé l’une des pâtisseries salées qu’il avait apportées, et j’ai dû accepter pour ne pas le froisser (c’était par ailleurs délicieux). Nous avons conversé quelque peu, et quand ils ont su que j’étais de Montréal, évidemment, un autre s’est exclamé: «J’ai une amie là-bas, elle est pédiatre, son nom est X, la voici (il montre une photo), la connaissez-vous?»
Ça me fait toujours sourire.
Je pars demain pour Chefchaouen, à trois heures et quelque de bus. En attendant, je bois du vin blanc (à femme déterminée, rien d’impossible) et je vous laisse sur ces images.