
Croyez tout ce que vous lirez au sujet de Chefchaouen: c’est probablement la plus jolie ville du Maroc, ce qui n’est pas peu dire. Évidemment, ceci expliquant cela, elle est infestée de touristes et minée par les conséquences que l’on imagine.
Je me sens toujours un peu malvenue de déplorer les effets du tourisme de masse puisque, dans une certaine mesure, on peut dire que je contribue à la chose. Mais le phénomène devient vraiment calamiteux, et, je regrette d’avoir à le dire, c’est en bonne partie à cause des Chinois. Au Maroc en particulier, les autocars les déversent à pleines charretées dans les rues des villes; ils se répandent comme des sauterelles, prennent des zillions de photos n’importe où comme des malotrus, mangent invariablement au seul restaurant chinois du coin et repartent sans avoir dépensé un dirham. Tout ce qu’ils laissent aux «locaux», c’est l’impression d’avoir connu l’une des sept plaies d’Égypte. Une pour chaque jour de la semaine.
Parce que le lendemain, ça recommence.
D’ailleurs, Fatima, la maman du proprio de la maison où je loge, m’a bien fait rigoler quand elle m’a expliqué ça avec ses 10 mots de français. Son expression dégoûtée valait tout le vocabulaire du Petit Larousse.
Fatima est chargée des soins de la maison et de ses locataires. Elle m’a accueillie avec sa gentillesse toute marocaine et l’incontournable thé à la menthe, qu’elle a pris le temps de boire avec moi. C’est comme ça que nous avons pu papoter gentiment entre femmes. Elle a 65 ans, elle a sept enfants (cinq garçons, deux filles) qu’elle a élevés seule parce que son mari est mort d’un cancer du cerveau à 35 ans. Elle était alors enceinte de son dernier, Mehdi, le proprio de la maison, justement, qui vit à Melbourne avec Julie, une Australienne d’origine chinoise. Là encore, sa façon d’expliquer comment la Julie a mis le grappin sur son Mehdi valait de l’or.
Ça fait que Fatima ne s’est jamais remariée. Ça aurait voulu dire avoir d’autres enfants, et, pour elle, c’était hors de question («Non non non! Fini-fini!»).
Je lui ai raconté mon petit bout d’histoire au fil de ses questions («et le papa? Fini-fini? Travail? Fini-fini?»). Nous nous sommes montré des photos de nos enfants, elle a trouvé que Jules me ressemble, bref, nous avons bien rigolé.
Pas mal, comme conversation, pour deux femmes qui ne parlent pas la même langue, non?


Encore une histoire de taxi
Parlant de langue, j’ai eu ce matin un imbroglio digne d’une comédie burlesque avec un chauffeur de taxi. On dirait que c’est mon destin.
Pour me rendre de Tanger à Chefchaouen, j’avais réservé un billet de bus de la compagnie CTM, qui couvre la distance en trois heures et en tout confort pour la modique somme de 50 dirhams (environ 7,50$).
La fille de mes logeurs m’ayant expliqué que les entreprises de transport avaient toutes été regroupées dans la nouvelle gare routière, construite à grands frais complètement en dehors de la ville, j’ai hélé un taxi au hasard pour m’y rendre.
Roule pis roule, à un moment donné, un affreux doute s’est emparé de moi. J’ai consulté de nouveau mon billet de bus, puis Google Maps, pour me rendre compte que l’adresse de la gare de départ se situait dans la direction complètement opposée à celle qu’avait prise mon chauffeur, que j’appellerai Mohammed sans trop risquer de me tromper (mais c’était peut-être aussi Ali).
J’ai demandé à Mohammed (ou Ali) de s’arrêter et je lui ai montré l’adresse sur mon téléphone. Mais je crois qu’il ne savait pas lire. Il répondait à mes questions dans un mélange d’espagnol, de français et d’arabe absolument indéchiffrable. J’ai fini par décider de lui faire confiance – après tout, j’étais partie avec beaucoup d’avance, j’aurais toujours le temps de me rendre ailleurs au besoin. Nous avons fini par arriver à cette invraisemblable gare routière toute neuve construite au milieu de nulle part, qui s’élève comme un ridicule et orgueilleux palais de ciment blanc dans ce qui était la campagne il n’y a encore pas si longtemps.
Mohammed (ou Ali) a accepté de m’attendre, le temps que j’aille vérifier si mon bus partait bien de là.
Pantoute, mes amis.
Quand je suis revenue, la mine dépitée et pas trop contente, il a protesté: «Ti me dis gare ritière, ji t’amène gare ritière!» J’ai fait amende honorable – en effet, j’avais dit «gare routière». J’en ai été quitte pour le double du prix de la course (puisqu’il a fait le double de la course) et pour un tour de conduite sportive dans la lointaine périphérie de Tanger.
Ça m’apprendra à lire mes billets de bus comme du monde.
Je vous laisse sur les premières photos de Chefchaouen la Bleue. Profitez-en, on annonce trois jours de pluie (zut), je ne pense pas pouvoir faire mieux. B’slama!