Nous sommes arrivés hier à Areopoli, après une journée grise et froide passée à explorer les vieilles pierres de Monemvasia, une cité fortifiée que se sont successivement disputée les Ottomans, les Byzantins, les Vénitiens et les Grecs jusqu’à ce que ces derniers obtiennent enfin leur indépendance, en 1830.
Monemvasia rappelle Carcassonne ou le Mont-Saint-Michel, en moins léché. Fort peu de personnes vivent encore dans la basse-ville, où la «rue» principale, praticable seulement à pied, est bordée comme il se doit de restaurants, de boutiques de souvenirs et d’hôtels. Le reste est un enchevêtrement de ruelles et d’escaliers parfois à peine assez larges pour qu’on y passe à deux de front, pavés de pierres devenues glissantes à force d’usure. De petites églises apparaissent parfois au détour d’une ruelle que traverse un chat furtif. Des fleurs sauvages (il y en aurait quelque 200 espèces dans l’île) poussent partout, en massifs, en cascades, en bouillons, en gerbes, en plaques. Elles s’accrochent aux murailles, squattent les courettes abandonnées, escaladent les falaises. Et en bas, la Méditerranée, bleu acier en cette journée de temps gris, déploie ses plis moirés.
Si on monte dans la haute ville, complètement abandonnée, en ruine et immense, on parvient à une église toujours en usage dédiée à sainte Sophie. De pierre blonde, ornée de fresques byzantines à demi effacées, elle est magnifique dans sa simplicité. Tandis que Pierre montait explorer les ruines un peu plus haut, je me suis assise sur l’une des quelques chaises de paille disposées de chaque côté de la nef. Une quinzaine de jeunes gens sont entrés dans l’église à la suite du pope. Je commençais à me demander si je ne devrais pas sortir puisque j’étais la seule femme et la seule étrangère. Puis ils se sont mis à chanter, un de ces hymnes polyphoniques d’une beauté prenante, dont les échos se répercutaient sur les voûtes dorées.
Qu’on soit croyant ou athée, c’est le genre de moment parfait qui rassure un peu sur l’être humain, capable du pire, mais aussi du meilleur.
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Aujourd’hui, donc, Areopoli, autre adorable village de pierre niché dans un paysage montagneux, rocailleux, planté d’oliviers, d’orangers et de citronniers.
J’écris du café en face de notre petit hôtel. Comme d’habitude, les bonshommes du village y boivent leur café grec, agitent leur komboloy et fument en observant les passants. On gèle, il fait 13 degrés, le ciel a des airs de fin du monde. On s’en va visiter une grotte qui est, paraît-il, l’une des plus belles au monde, dont on ne connaît pas la longueur exacte (à ce jour, on l’a explorée sur 6,5 km et certains disent qu’elle pourrait se rendre jusqu’à Spartes). Paraît aussi qu’on y a trouvé des traces d’occupation humaine datant de 6000 ans.
On n’en a pas fini avec les vieilles pierres!