Huallanca

Nous avons quitté Caraz vers 6h30 vendredi matin, Maria-Isabel, Pedro, Vanessa (jeune vétérinaire stagiaire) et moi, direction Huaraz, où habite le collègue Andrés, que nous allions cueillir pour nous rendre tous ensemble à Huallanca, une petite ville nichée dans une vallée à 3540 m d’altitude, sur l’autre versant de la Cordillère. Ce n’est qu’à 190 km de Caraz, mais il faut quatre heures bien comptées pour s’y rendre. Ce n’est pas parce que la route n’est pas bonne, au contraire — c’est l’une des meilleures que j’aie vues jusqu’ici. Elle a été construite par Altamina, une société minière, qui a accepté de ne pas couper par le parc du Huascaran pour son tracé, si bien qu’on doit faire un assez long détour pour éviter de perturber ce milieu fragile.

Et on ne perd rien au change, je pense… Visibles de partout, les hauteurs des glaciers servent de toile de fond à des plaines herbues où paissent vaches et moutons en liberté. Plus loin, des pâturages émeraude ceinturés de murets de pierre probablement millénaires drapent le flanc des montagnes comme des courtepointes brodées, et des torrents diamantés creusent leur chemin en rugissant au creux des vallées ombreuses. Que voulez-vous que je vous dise? Ça pourrait prendre dix heures, je dormirais par bouts et, quand je me réveillerais, j’aurais ça dans les rétines. Si tu veux te plaindre, je sais pas, va-t-en à Chibougameau. Et non, même là. Si tu veux te plaindre, reste chez vous.

Nous sommes donc arrivés vers l’heure de l’almuerzo à Huallanca, où notre collègue Elmer nous attendait avec son bon sourire. Je ne le connais pas beaucoup, mais je lui voue une reconnaissance éternelle depuis que Yony l’a réquisitionné un jour de pluie apocalyptique pour déménager ma cuisinière et mon frigo, il y a de ça cent ans. Bref. Elmer nous a fait les honneurs du petit bureau d’Allpa, puis nous sommes allés manger, puis nous avons pris la route pour monter voir des queseros (fromagers) soutenus par le projet Formagro.

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Ici, les gens vivent loin de tout… mais proches de la nature, disons.

À 3500, 4000 m d’altitude, sans eau, sans électricité, sans un signal de cellulaire, ils vivent là, avec leurs bêtes, au milieu d’un paysage sans fin, dans un silence à rendre sourd, sous un ciel que rien ne vient troubler… sauf la pluie, qui tombe six mois par an, obstinée et féroce, qui transforme en boue épaisse tout ce qui n’est pas couvert d’herbe. Pour aller à l’école, les enfants sautent sur le petit cheval de la maisonnée, et hop! À six, sept ans, les voilà partis sur une trotte de je ne sais combien de kilomètres. Ça me rappelle les tout-petits de Sô-Ava, qui partaient tout seuls pour l’école en pirogue à l’âge de cinq ans.

Ça me rappelle Pieds nus dans l’Aube, ça me rappelle Ces enfants de ma vie. Googlez. Googlez!

Toujours est-il que, une fois montés jusque-là, à travers des pacages qui semblent déserts, nous sommes arrivés à un petit groupement de cahutes de brique crue. Trois, pour être exact: l’une, manifestement neuve, qui est la future fromagerie (et qui, celle-là, a un toit de tôle galvanisée). Une autre, nettement plus délabrée, à la porte de tôle ondulée et au toit de chaume, dans lequel sont piquées brosses à dents et tube de dentifrice. À l’intérieur, du désordre, quelques châlits, des paillasses, des vêtements un peu partout. Et surtout, dans un coin, un âtre. C’est là que tout se passe. Quand ce n’est pas dehors.

En tout cas.

Là, nous avons rencontré une dame qui est venue vers nous tranquillement, quand elle a entendu japper ses chiens, je pense. Elle avait à la main un tricot. Un tricot! Je lui ai demandé si c’était la laine de ses moutons. Oui. Si elle la filait elle-même. Re-oui. Si elle en avait à me vendre, moi qui en ai cherché partout. Re-re-oui. Elle est entrée dans sa hutte et en est ressortie avec une pelote de la grosseur d’un gros cantaloup, en s’excusant parce qu’il y avait un peu de terre dessus (le sol de la maison est en terre battue).

Avec ma tricoteuse et vendeuse de laine et Maria Isabel. Avez-vous vu la grosseur de la pelote?

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Elle avait aussi une belle paire de chaussettes toutes prêtes, qui montent jusqu’aux genoux, avec des rayures bleues. Elle met deux jours à les faire en gardant ses bêtes. Deux jours! Je me suis esclaffée.

Il me faudra bien trois mois pour en faire une petite paire à peine plus haute que la cheville, mais bon. Je lui ai dit que je viendrais lui montrer l’avancement des travaux.

Après, nous sommes allés voir monsieur Albino, encore plus haut dans la montagne. Un bel homme fier et droit, qui nous a montré ses fromages (oOoooHh! L’odeur de petit-lait qui régnait là!). Essayez un peu d’imaginer ces fromages-là, faits chaque jour du lait (évidemment non pasteurisé) de vaches qui ne mangent que de l’herbe et qui vivent au grand air…

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Elmer, Pedro et Albino, devant sa fromagerie.

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Le fier Albino.

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Les fromages, vendus très frais, ressemblent beaucoup à notre cheddar. Sentez-vous l’odeur de petit-lait?

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Comme vie de vache, y a pire…

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Ici, on laisse le boeuf avec les madames, parce que l’inséminateur, ben, on ne peut même pas lui téléphoner. Alors on se fie à la nature.

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Albino Santillan dans sa fromagerie. Il dit que le projet Formagro l’a aidé à améliorer à a fois la qualité de sa production et ses revenus.

Sur le chemin du retour, on a embarqué une grand-mère et sa petite-fille, qui faisaient du stop au milieu de nulle part. La petite s’appelle Nicol. Elle a, comme tous les enfants que je vois ici, ce petit regard sérieux, soucieux même, qui fait qu’ils ont tous l’air un peu vieux. Pour leur faire de la place, Vanessa, jeune stagiaire d’Allpa, et son camarade JeanPol se sont installés dans la boîte du pick-up. Ils n’avaient pas l’air trop malheureux…

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Le seul moyen de se déplacer, dans la région, si on n’a pas de véhicule, c’est à pied, à cheval ou… grâce aux bons samaritains motorisés.

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Ça fait que Vanessa et Jean-Pol ont pris place dans la boîte du pick-up pour permettre à la grand-maman et à sa petite-fille de monter dans la cabine.

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Nicol était bien timide, j’ai pris la photo en vitesse…

Comme Elmer voulait nous montrer sa terre, nous avons dû déposer Nicol et son abuela bien avant la ville, en leur disant que nous les reprendrions au passage si elles n’avaient trouvé personne pour les emmener. Elles ont repris la route à pied, petites fourmis laborieuses, vers je ne sais quelle destination, tandis que nous montions vers le domaine d’Elmer.

Nous ne les avons pas revues.

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Elles ont repris la route à pied parce que nous n’allions pas plus loin pour l’instant. Nous ne les avons pas revues.

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De retour de la visite à la terre d’Elmer avec Maria Isabel et les autres. Ça descend à pic. Et ça montait aussi!

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Vanessa et Jean-Pol.

À la fin du jour, mes jambes ne m’obéissaient plus, je rêvais (dans l’ordre) d’une bière, de quelque chose de chaud à manger et d’un bon lit. Ça s’est produit à peu près. On a eu de la bière, on a mangé du poulet rôti sans presque dire un mot tellement tout le monde était lavé, puis et on est rentrés à l’hôtel. Il faisait autour de 10 degrés à Huallanca, avec pas de chauffage dans les chambres. J’ai enfilé en vitesse le pull de cachemire qui me protège du monde entier et un pantalon de pyjama en coton cheap (que je vais bientôt remplacer par les collants de laine que portent les femmes, ici, sous leurs innombrables jupes), et je me suis enfouie sous la montagne de couvertures posées sur mon lit, même si j’avais la conviction que les draps n’avaient pas été changés. À un moment donné, faut avoir le sens des priorités.

Voilà, je vous laisse avec quelques photos prises à Huallanca.

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3 réflexions sur “Huallanca

  1. Merci, merci, merci ! Pour les photos, les histoires et pour les rencontres que nous faisons par ton intermédiaire. Que ta route se poursuive longtemps avec nous dans tes bagages… xxxx

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