Une obsession

Ça m’arrive tout le temps quand je rentre de voyage: je ne pense qu’à reproduire ce que j’ai mangé, une manière comme une autre de prolonger le bonheur d’avoir été ailleurs, de ralentir l’atterrissage, de continuer de rêver.

Mais on dirait que c’est plus grave et incurable dans le cas de l’Italie.

Je suis donc allée vendredi à la Baia dei formaggi, puis à la boucherie Capitol (au marché Jean-Talon). J’ai acheté de la guanciale aux deux endroits (pour comparer, tsé), à un prix qui me fait presque pleurer quand je pense à ce qu’on m’a confisqué à la douane.

Et je pleure carrément quand je pense que ça a fini aux poubelles.

Parce que non, les douaniers canadiens ne gardent pas ça peur eux, hein, franchement. On n’est pas dans une république de bananes.

Ils doivent avoir souvent envie de pleurer eux aussi.

J’ai au moins réussi à faire rire celui qui m’a confisqué ma guanciale et mon prosciutto quand je lui ai dit que je reviendrais fouiller dans les poubelles pendant la nuit.

Il était presque aussi beau, gentil et poli que mon propre fils. Ça console.

Bref, je vous le dis et vous le répète, ne rapportez au Canada aucune sorte de viande, fût-elle salée, séchée et emballée sous vide, en pensant que c’est légal: ça ne l’est pas. Après, si vous avez une âme de gambler, vous pouvez toujours essayer de passer ça en douce, en espérant de ne pas faire l’objet d’un contrôle aléatoire. Si vous vous faites prendre, vous risquez une grosse amende, mais pire: vous serez fiché à la douane comme un trafiquant de cocaïne (j’exagère, mais pas tant que ça).

Vous ferez bien ce que vous voudrez, mais vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

Je peux en tout cas vous affirmer que nos tomates en conserve Aylmer ou autres n’arriveront jamais à égaler le goût et la qualité des tomates italiennes, c’est comme ça. La passata, pareil,

Et les pâtes, aaahhh, mon doux, les pâtes! Sont pas toutes égales devant Dieu et les Hommes, oh que non! J’ai acheté hier chez Milano un paquet de spaghettone qui m’a coûté trois fois un paquet de Barilla, mais qui m’a procuré au moins six fois plus de bonheur.

J’avais fait un ragù alla bolognese du feu de Dieu, un truc tout simple qu’on ne peut absolument pas rater.

J’ai dû être italienne dans une vie antérieure. Il me manque juste une famille nombreuse.

Buona notte a tutti.

Décalage

Je pense que je n’ai jamais eu autant de mal à me réadapter après un voyage en Europe.

Bon, c’est vrai, je ne suis rentrée que depuis trois jours. Mais quand même. Il fut un temps où je passais à travers ça comme l’eau des spaghettis à travers une passoire. Mais on ne rajeunit pas, hein?

Je me surprends à me lever dès 7h30 le matin avec une faim d’ogresse, j’ai envie de faire une sieste à 10h et de manger des pâtes à 5h de l’après-midi, je me retiens à deux mains pour ne pas me coucher à 7h du soir.

Il est vrai que la Sissi me réveille au beau milieu de la nuit en me léchant le visage, les mains, les épaules (tout ce qui dépasse de la couette, en fait) jusqu’à ce que je finisse par acheter la paix en lui donnant une avance sur ses croquettes du jour. Quand je vous dis que j’ai créé un monstre…

Mais qui suis-je pour la juger? Moi aussi, je ne pense qu’à manger. Des rigatoni all’amatriciana, des spaghetti alla bolognese, alla puttanesca, all’arrabiata ou alla carbonara…

J’ai trouvé un site italien où on donne les recettes de base de ces grands classiques. Allez voir ça. Même si c’est en italien, vous allez comprendre qu’on n’a rien compris quand on entasse une montagne de spaghettis dans une assiette et qu’on la couronne ensuite de sauce.

En tout cas.

Là, il est 20h, je m’accorde le droit de me coucher.

Buona notte a tutti!

Pot-pourri

Pot-pourri, c’est le nom du resto où j’ai mangé hier soir. Je suis arrivée là bien trop tôt, le propriétaire m’a priée de revenir vers 19h et m’a conseillé un endroit où aller prendre l’apéro en attendant, le Bar dei Cesaroni. J’avais vu passer ce nom sur Google Map (devenu mon meilleur ami), ça semblait sympa selon les avis des clients.

Le bar doit sans doute sa popularité au fait qu’il a servi de lieu de tournage dans une télésérie éponyme qui a eu énormément de succès, je ne vois pas autre chose: le patron a une mine parfaitement patibulaire, et les deux femmes qui travaillent avec lui (sa mère et sa soeur? ou sa femme et sa belle-mère?), édentées, boiteuses, bilieuses, pas ragoûtantes, ressemblent à deux maquerelles de fond de bidonville. On aurait dit une scène d’Affreux, sales et méchants! Je me suis bien amusée à observer cette faune qu’on ne verrait jamais dans le Trastevere, devenu un quartier bien trop chic et de bon goût.

En tout cas. Je suis retournée au Pot-Pourri à 19h pile. Il était bien sûr encore trop tôt (les Italiens ne se mettent jamais à table avant 20h, 20h30). Mais j’avais faim, j’avais froid, je voulais un bon gros plat de pâtes bien chaudes. J’étais la seule cliente dans cette grande salle aux tables nappées de vichy rouge et blanc où un jeune homme d’origine sri-lankaise lavait nonchalamment le sol de terrazzo. (Les Sri-Lankais comptent pour le tiers de toute l’immigration en Italie, on les voit partout dans les petits emplois modestes dont personne ne veut.)

Le chef et son comparse portaient des polos qui avaient dû être blancs un jour, maculés de taches de graisse et de sauce tomate à croire qu’ils n’en changent jamais. J’ai eu une pensée pour nos inspecteurs de la salubrité, qui auraient sans doute fait une commotion cérébrale en voyant ça. Et je vous passe les détails sur l’état des toilettes.

Mais ooohhh! Ces rigatoni all’amatriciana tout fumants, qu’ils étaient bons! Que j’ai bien mangé! Et que le patron était gentil! Ça compte plus que tout le reste, non?

Je suis sortie de là repue et contente, j’ai très bien dormi, merci la vie.

Je pars demain, j’avoue que j’ai un peu hâte parce que cette poussée de variant omicron me donne l’impression de courir sur un pont en flammes. En attendant, Paola m’a fort gentiment conviée à souper avec elle, ça me fait grand plaisir et ça me gêne tout à la fois, parce qu’elle va devoir subir ma pauvre conversation de bègue analphabète et sourde. Peut-être qu’un verre de vin ou deux vont m’aider?

Fin de saison au jardin

L’huile d’olive et les confitures sont faites, les patates sont rentrées, le vin est en cuve (mais on le boit déjà, il est violet, sucré et bleuit les lèvres). Seuls restent les fruits grenus des arbousiers (à ne pas confondre avec ceux de l’argousier), quelques coings et, bien sûr, les nèfles (qu’on appelle aussi kakis), accrochées aux arbres nus comme autant d’ornements de Noël.

On brûle au jardin les ramilles des oliviers, ça crépite et ça sent bon.

L’été a été chaud et sec: on a perdu la moitié des olives; les tomates n’ont donné qu’une fraction de la passata nécessaire pour passer l’hiver; plusieurs ceps de vigne ont séché sur pied. Les petits raisins noircis et secs comme des olives qui pendent encore à leurs branches nous rappellent douloureusement que cet été est à oublier, en somme.

Il fait froid dans la maison, comme dans tous les pays où l’électricité et le gaz coûtent une fortune.
Je m’habille donc de couches superposées: t-shirt, cardigan de mérinos, laine polaire, manteau de duvet, écharpe. Je mets aussi sur mes genoux une couverture, et j’ajouterai bientôt un caleçon sous mon jean. Je garde pour Venise mes dernières armes: un chandail de cachemire et un parka imperméable.

Le bois est pourtant déjà dressé dans l’âtre dès le matin, prêt pour le feu du soir, mais Tommaso ne l’allumera qu’à 17h30. Non pas par économie, mais par habitude, comme pour atteindre la quintessence du réconfort.

Nous, les supposés «Nordiques», sommes des mauviettes.

Viterbo

J’ai du retard dans mes histoires!

Je récapitule un peu: j’ai passé la journée de vendredi à baguenauder dans les vieux quartiers du Trastevere et de l’ancien ghetto (je vous invite fortement à cliquer sur ce lien pour comprendre l’origine du mot et du concept).

Au hasard de ma promenade, je suis tombée sur une trattoria, Da Enzo, qui sert notamment l’un des plats emblématiques de la cuisine judéo-romaine, l’artichaut frit, que je voulais absolument goûter.

Ça ouvrait à peine, il était midi et quart, il y avait déjà un peu de monde mais encore assez de place pour tous et donc pour moi. J’ai demandé une table sans tergiverser, j’ai commandé, boum: carciofo alla giudia, avec des croquettes de morue farcies à la mozzarella et un verre de vin blanc.

J’ai mangé ça avec délectation (l’artichaut frit, wow, quelle formidable et délicieuse invention!) en prenant tout mon temps, tandis que la file des amateurs s’allongeait dans la rue. Quand je suis sortie, ils étaient bien 30 ou 40 à attendre une table.

Au mois de novembre.

En pleine pandémie.

Imaginez en temps dit «normal».

En tout cas.

J’ai donc quitté Rome hier matin, et je n’en étais pas fâchée. J’en ai bien profité, mais disons que ce n’est pas une ville reposante.

Et puis ma logeuse est un animal rare. Elle se présente comme une chanteuse classique. C’est sans doute nouveau (aussi nouveau que sa photo sur Airbnb est ancienne). Le soir, dans son salon (je dors dans ce qui est normalement sa chambre), elle répétait des chants de Noël en faussant horriblement (Minuit, chrétiens, Mon beau sapin, etc.) tout en piochant sur un piano dont elle essayait de tirer à tâtons les bonnes notes. Je me suis empêchée de lui venir en aide, moi qui suis une cancre finie en musique.

J’ai eu souvent l’impression de la déranger, même si elle se prêtait volontiers à la conversation, comme on se prête à une obligation.

Enfin, j’avais bien hâte de voir Grazia et Tommaso, de vieux amis que j’ai connus grâce à Pierre il y a plus de 20 ans. Ils m’attendaient à midi avec une carbonara de la mort et leur inextinguible gentillesse, dans leur maison où règne un bordel aussi invraisemblable que permanent.

Il y a ici un vieux labrador dépendant affectif qui a peur de l’eau et treize chats de toutes les couleurs, des livres et des disques sur tous les murs; des bidons, des cuves, des cruches, des bouteilles et des bocaux vides dans tous les coins (pour l’huile d’olive, le vin ou les confitures); des vêtements sur chaque fauteuil, des trucs et des machins partout. Les interrupteurs sont systématiquement posés du mauvais côté des portes (ou alors toutes les portes s’ouvrent à l’envers), l’évier est toujours plein de vaisselle, et Grazia règne là-dessus, imperturbable, pendant que Tommaso regarde le foot à la télé ou s’occupe du jardin.

Grazia est intarissable, je dois parfois lui demander de ralentir le débit quand elle me parle en italien, ce qu’elle fait volontiers, quand elle ne passe pas au français, avec son accent tout roucoulant.

De mon côté, je commence à pouvoir formuler quelques phrases à peu près cohérentes – je vais finir par y arriver et par trouver les interrupteurs sans tâtonner.

Grazia et moi partons jeudi pour Venise.

Ce sera tout pour ce soir.

Je vous mets des photos en vrac: la cour intérieure d’une maison du Trastevere avec, sur le seuil, les noms des personnes qui y habitaient avant d’être emportés par la Shoah:

Le forum et des amoureux devant la fontaine de Trevi:

Buona notte a tutti!

Elle m’abandonne

Après tout ce qu’on a vécu ensemble.

Elle s’en va. J’ai compris qu’elle s’en va en Italie. J’sais pas où c’est, mais elle a pas le droit de me faire ça.

Elle me dit que quelqu’une va venir vivre ici à sa place, dans MON château, pour s’occuper de moi.

Je veux bien, mais qui? Est-ce que je vais pouvoir la réveiller au milieu de la nuit pour avoir des croquettes?

Ben oui, c’est clair que je vais la réveiller. Mais est-ce qu’elle VA SE LEVER pour me donner des croquettes? Est-ce qu’elle va m’ouvrir la porte pour me laisser sortir, et m’appeler ensuite comme une perdue pour que je consente enfin à rentrer?

Rien n’est moins sûr.

La tatie arrête pas de dire que c’est fini, tout ça. Que l’hiver s’en vient et que ça va devenir ingérable, et que je ferais mieux de m’habituer à rester en dedans. Elle me rationne, me raisonne, me sermonne.

Ah ouais? Et ma nature profonde, alors? J’vais devoir rester devant la fenêtre à faire ekekekekeke comme une débutante?

VOYONS!

En tout cas, la tatie prend ça au sérieux. Je l’ai jamais vue s’activer autant. Elle arrête pas de s’agiter. Lave ci, lave ça, tous les tiroirs et toutes les armoires, c’est le bordel dans cabane.

Et c’est sans parler du cagibi. Aaaaahhh, le cagibi! J’ai mis les pattes là-dedans peut-être deux fois dans ma vie, pour inspecter, tsé ben, et j’en suis ressortie chaque fois à toute épouvante parce qu’il régnait là un estie de plus-que-bordel que tu peux même pas imaginer.

V’là-t-y pas qu’elle a vidé la chose de tout son contenu, pour ensuite l’aspirater de fond en comble et y remettre, d’après ce que j’ai observé, à peu près le tiers de ce qu’il y avait avant.

Demande-moi pas ce qu’elle a fait avec le reste. Ça m’intéresse pas.

Ce qui me révolte, c’est le coup de cochon qu’elle m’a fait après tout ça.

Elle y a installé ma litière.

MA LITIÈRE! Crisse! T’as pas le droit de changer ma litière de place, même si j’y vais jamais, OK?

Mais bon, apparence que, tout impératrice que je sois, j’ai pas voix au chapitre.

Attends ben la nuit qu’elle va passer, la tatie.

Une reddition

C’est comme ça que ça s’appelle.

Bien obligée: c’était ça ou je ne sortais plus.

Je suis terriblement mortifiée. MOI! Impératrice de Rosemont et de tous les coeurs! Sortir avec cette collerette absurde, infamante, ridicule, mais POURQUOI?

Elle m’a mis ça après que je lui ai rapporté le fameux bruant à gorge blanche, qu’elle avait baptisé Aristide. Demande-moi pas pourquoi 1) elle me l’a confisqué et 2) elle lui a donné un nom, et celui-là en particulier, je comprends pas pantoute.

En tout cas.

Elle pense que j’ai rien vu, mais je sais très bien qu’elle l’a mis à l’abri dans une chambre à laquelle j’ai pratiquement jamais accès parce qu’elle-même n’y va que trèèès rarement.

Elle me prend vraiment pour une imbécile.

Un bon jour, pas longtemps après ce que je considérais comme une glorieuse capture, elle est sortie de la chambre avec le p’tit oiseau enfermé dans le machin qu’elle m’inflige pour m’emmener chez le vétérinaire.

HAHAHA! J’ai trop ri! Le p’tit oiseau était dans ma propre cage! Bien fait pour lui!

Parce que moi, pour vrai, j’m’en foutais: la veille encore, j’avais ramené à la maison un autre beau p’tit oiseau. Comme il était déjà très mort, j’pensais qu’elle serait contente, mais non. Elle est jamais contente.

Elle a dit que c’était un «junco ardoisé», mais pour vrai, elle dit souvent n’importe quoi juste pour que je me sente coupable. Donc, encore une fois, elle m’a fait une scène et me l’a confisqué, mais ça m’a pas fait grand-chose parce que je savais que je pourrais en attraper plein d’autres.

Je suis redoutable, tsé.

Sauf que quand elle est rentrée à la maison avec ma petite cage rose vif vide, elle avait un autre plan pour moi.

C’était cette absurde, infamante, ridicule collerette de clown qu’elle m’inflige désormais chaque fois que j’exige de sortir.

Parce que la tatie a apparemment emmené Monsieur Aristide dans un refuge où, peut-être, on pourrait lui sauver la vie. Et c’est là qu’elle a trouvé cet instrument du diable.

Comme ça, selon elle, les oiseaux, qui paraît-il ont des super pouvoirs visuels, pourront détecter ma présence malgré toutes mes terribles astuces de camouflage et s’échapper avant que je les pogne.

BEN VOYONS!

Qu’est-ce qu’elle a pas compris dans l’idée de CHASSER?

Je suis outrée. Outrefâchée. Outrefâchumiliée.

Mais y a toujours l’histoire des croquettes, tsé.

Ça fait que à partir de désormais, si je veux sortir, je dois pour ainsi dire poser ma tête sur le billot pour qu’elle me passe la corde au cou.

C’est la somme de toutes les exécutions.

À côté de ça, Marie-Antoinette peut bien aller se rhabiller. Y manque juste Jeanne d’Arc, pis comme c’est là, j’te dirais que c’est juste une question de temps.

AU SECOURS!

J’ai frôlé la dépression mais, heureusement, dans les derniers jours, il s’est produit quelque chose d’absolument extraordinaire: deux humains inconnus sont arrivés et ont occupé la chambre-dans-laquelle-on-ne-va-jamais.

Tout à coup, la tatie s’est mise à parler avec ces gens-là et je comprenais absolument rien de ce qu’ils se disaient tous les trois.

J’ai commencé par capoter, mais j’ai vite compris que les deux inconnus étaient des alliés: ils m’ont rendu les hommages dus à mon rang, et si je ne suis pas allée dormir dans leur lit, c’est bien seulement parce qu’ils fermaient la porte. Pis je sais vivre, tsé.

Mais ils m’ont parlé, m’ont fait des gouzis-gouzis, ont joué avec moi et m’ont trouvée aussi belle et irrésistible que je le suis.

C’était l’fun!

Là, ces deux-là sont partis, je pense, parce que la chambre est vide et que la maison est de nouveau sens dessus dessous: la tatie n’a absolument aucun talent pour l’ordre, sauf quand il s’agit de réglementer mon régime alimentaire ou, d’après ce que je déduis, quand il y a des étrangers à la maison.

Là, elle continue de me parler dans cette langue bizarre que je ne comprends pas, mais quelques mots reviennent souvent: préciossa, beyyessa, immepératriss.

Je finirai bien par savoir ce qu’elle essaie de me dire.

* * *

DERNIÈRE HEURE

Sa collerette maudite marche même pas, lalalère! J’ai attrapé un autre oiseau ce matin, youpi! Elle était fâchée, la tatie, quand je lui ai rapporté la preuve de sa bêtise. Ça lui apprendra.

Au moins, mon honneur est (presque) sauf.

Ça fait longtemps

Cher journal,

Je sais, je t’ai abandonné trop longtemps. Non qu’il ne se soit rien passé depuis la dernière fois, au contraire. Mais on dirait que la tatie avait perdu le feu sacré: tout à coup, à travers tous ses petits soucis d’humaine, mon journal est devenu secondaire.

Me faire ça à moi, seule et unique impératrice de Rosemont… Fallait qu’elle file un vrai mauvais coton, parce qu’elle est quand même toujours folle de moi. C’est normal: j’suis irrésistible!

Mais là, ça fait exactement un an aujourd’hui que je suis entrée dans sa maison. C’est elle qui m’a dit ça. Je t’ai déjà expliqué que j’suis pas bonne pour mesurer le temps. Sans elle, j’m’en serais jamais rendu compte, pis au fond j’m’en fiche, mais elle a eu l’air de trouver que ça valait la peine d’être souligné.

Ça fait que me v’là.

Tu peux pas imaginer à quel point les choses ont changé depuis que je t’ai raconté la fois où je me suis échappée en plein hiver dans le frette.

Astheure, je sors quand je veux. QUAND JE VEUX, hahahaha!

Et aussi longtemps que je veux!

J’ai commencé doucement, sans aller trop loin, juste pour pas énerver la tatie (j’suis toujours aussi petite, mais j’suis encore plus futée qu’avant!). Au début, je descendais seulement quelques marches, pis je remontais aussitôt qu’elle m’appelait, histoire de la mettre en confiance. Ça m’a pris du temps pis ben de la patience, mais j’ai fini par l’habituer, et là, tu croirais pas ça: j’ai tout un territoire presque rien qu’à moi, avec full d’écureuils, de cigales, de papillons et surtout d’oiseaux!

J’ai jamais réussi à attraper un écureuil (pis au fond ça me tente pas tant que ça: sont presque aussi gros que moi!), mais j’ai quand même eu une maudite bonne saison de chasse. J’ai dû bouffer au moins une douzaine de cigales. La tatie trouvait ça dégueulasse, mais elle sait pas ce qu’elle manque: c’est croquant dehors et mou dedans, pis c’est vraiment drôle de jouer avec avant de les croquer, ça fait comme une vibration dans les gencives, ZZZZZZZZTTTTT! Ça chatouille, je ris trop!

J’ai aussi mangé du moineau, mais j’ai trouvé qu’y avait trop de plumes. J’en ai laissé un petit tas dans un coin du salon, c’est comme ça que la tatie s’en est aperçue. Elle était pas contente. Je sais pas pourquoi, quand j’attrape un oiseau et que je le rapporte à la maison, elle aime pas ça, elle prend un air fâché, elle me traite de vilaine fille, pis elle ME LE CONFISQUE. J’arrive pas à y croire. MON OISEAU! Une fois qu’y est mort, tsé, ça change quoi que je le bouffe ou pas?

Bon, c’est vrai que je le mangerais pas nécessairement vu que, comme je t’ai dit, je trouve qu’y a trop de plumes, mais quand même. Quand je réussis à en pogner un, franchement, elle devrait être fière de moi!

Ça fait que j’ai dû accepter qu’elle me mette un ridicule collier turquoise avec un estie de grelot qui tintinnabule — avoue, t’avais oublié ce mot-là, hein? pis t’avais oublié que j’ai du vocabulaire? — qui tintinnabule, donc, à presque chaque mouvement que je fais, parce qu’elle pense que ça va avertir les oiseaux de ma présence. L’innocente! Elle sait pas que je suis la plus redoutable et silencieuse des chasseresses, grelot ou pas? Pour le lui apprendre une bonne fois pour toutes, je lui ai rapporté une mésange bien vivante il y a quelques jours, pis un chardonneret on ne peut plus mort avant-hier. C’est elle qui m’a dit les noms (moi, je m’en contrefiche) parce qu’elle en a fait tout un plat: les moineaux, apparemment, ça la dérange moins. En tout cas, vivant ou mort, elle aime pas ça, c’est clair.

Mais j’ai-tu le droit de vivre ma vie d’impératrice, estie? C’est là que tu vois que la royauté, c’est full contraintes. Mébon, j’avoue que c’est pas mal mieux que la rue.

Parlant de royauté, je t’ai dit tantôt que j’ai tout un territoire «presque» à moi. Ce «presque», c’est à cause d’un terrible ennemi dont j’avais pas soupçonné l’existence. Il s’appelle Néo, c’est un splendide spécimen, paraît qu’y vient du Bengale. Je sais pas où c’est, mais ça doit être un pays dangereux, parce qu’il est méchant comme la gale. Gale, Bengale! J’pense que j’viens de comprendre quekchose!

En tout cas, il m’a salement attaquée par derrière l’autre jour, le traître, et à cause de lui j’ai dû aller chez le VÉTÉRINAIRE! Astheure, j’ai un petit bout rasé à la base de la queue parce qu’il m’a mordue pis que ça s’est infecté. Ça fait que j’ai le trou de pet à l’air, une vraie honte. Sans parler de l’estie d’entonnoir de plastique que j’ai dû porter autour du cou pendant chépu combien de temps pour m’empêcher de lécher ma plaie. Voyons! Si c’était dangereux, lécher une plaie, ça se saurait! En tout cas.

J’peux même pas espérer me venger, il est trop vicieux. Je dois reconnaître que, tout impératrice de Rosemont que je sois, et de surcroît reine des coeurs de tout l’immeuble, je suis pas de taille. Il m’aura pas deux fois, ce salaud.

Heureusement, la tatie, qui est folle de moi (j’te l’ai-tu dit?), la tatie a négocié un pacte de non-agression avec l’humain de ce grand con de Néo. Quand je sors, elle accroche un foulard vert à la rambarde du balcon, pis Néo est censé rester enfermé. Pis si Néo sort, son humain accroche un truc rouge à son bacon à lui, pis là, c’est moi qui dois rester en dedans.

Sauf que j’suis futée, moi! Je demande (j’EXIGE) la porte dès 5h du matin. Le bonhomme a besoin de se lever de bonne heure pour m’accoter, hahahahaha!

Ça fait que c’est ça qui est ça. Là, j’vais me reposer un peu. J’suis fatiguée, j’ai passé la journée dehors aujourd’hui. Je suis rentrée deux ou trois fois, le temps de manger quelques croquettes et de m’assurer que la tatie est toujours là, parce que mine de rien, au bout d’un an, on s’attache à son humain, tsé…

Pis si je veux la réveiller à 5h demain matin, faut quand même que je dorme un peu.

Bye.

Attachiante

Elle m’a dit ça, cette semaine: paraît que j’suis «attachiante».

J’ai pas compris exactement ce que ça voulait dire, mais j’ai l’impression que c’est pas tout à fait un compliment. Elle a pas dit avec sa tendresse habituelle, mettons, comme quand elle fond devant ma belle p’tite face d’impératrice et mon corps parfait de déesse féline.

C’est sûr qu’elle manque de patience. Depuis un p’tit bout de temps, quand elle se lève enfin de son lit, le matin, elle dit qu’elle se sent comme si le gros camion qui ramasse les poubelles chaque semaine lui avait passé sur le corps.

Je le connais, ce camion-là. Dans mon ancienne vie, quand j’étais obligée de fouiller dans les déchets pour manger et que je l’entendais arriver, je déguerpissais à une vitesse supersonique, peu importe ce que j’étais sur le point de découvrir.

Jamais j’aurais pensé que ce gros crisse de camion-là pouvait passer sans faire de bruit, en pleine nuit, sur le corps d’une humaine bien couchée dans son lit de luxe avec des draps roses pis toute. Ce qui m’étonne, en fait, c’est qu’il l’ait pas ramassée avec le reste puisque, selon elle, est pu bonne à rien. J’veux dire, heille, un peu de cohérence, icitte?

Faut dire, ça ferait pas mon affaire pantoute. Elle est p’t’être maganée, la tatie, mais elle me donne quand même des croquettes pis des caresses (j’suis un peu moins friande de ça, par contre).

Quoi qu’il en soit, moi, comme je t’ai déjà dit, quand elle se lève enfin, j’veux juste une chose: qu’elle joue avec moi!

Mais non. Faut que Madâââme prenne son café. Faut qu’elle fasse ses p’tites affaires. Comme si j’étais pu l’impératrice, crisse! Ça fait que je réclame mon titre dans tous les registres dont la nature m’a dotée, pis laisse-moi te dire que des registres, j’en ai, de droit divin par-dessus le marché, vu que j’suis une impératrice.

Pis c’est là qu’elle m’a lancé ça: «AAAAHHH! Ma Sissi, t’es vraiment attachiante!»

Y en aura pas de facile

Je sais que j’ai rien écrit depuis longtemps, pis c’est pas faute de vouloir. J’ai plein de choses à raconter. Sauf que, depuis quelque temps, la tatie me dit souvent qu’a «file un mauvais coton». Je sais pas exactement ce que ça signifie, mais j’peux voir qu’est à boutte.

Dès qu’a lève le bras pour jouer avec moi, a sacre: «AYOYE, CRISSE!» (Dire qu’a me demande d’améliorer mon vocabulaire, estie!)

Y paraît que la madame a mal à l’épaule.

Ça fait qu’on a encore beaucoup de chemin à faire avant de devenir vraiment amies parce que, pendant ce temps-là, moi, j’ai mal à ma Ratatouille.

OK, j’ai du bon manger (mais pas à volonté, contrairement à ce que je t’ai déjà raconté), pis la tatie continue de recueillir religieusement mes cacas et mes pipis (cré-moé ou pas, elle fait ça avant même de prendre son estie de café, alors que moi, j’veux juste jouer! Youhou? Les priorités?)

J’ai des spots de fou pour observer les oiseaux, j’ai des jouets en masse pis toute. En principe, j’ai pas à me plaindre.

Mais j’aime trop Ratatouille.
Pis Ratatouille, sans la tatie, c’est pas pareil.

Ça fait que je harcèle la tatie sans répit dès son lever, et je fuis toutes ses tentatives de caresse jusqu’à la fin du jour, et là, au moment où j’en peux pu moi-même, je deviens la plus câline des minettes. Elle fond, elle me grattouille le menton, je ronronne à mort, elle pense que ça y est, pis BAM! Je la laisse là comme une vieille guenille. Je t’ai déjà expliqué que c’est la méthode des pushers, non?

Ça s’appelle du conditionnement, pis cré-moé, j’sais comment ça marche.
Elle m’aura pas avec ses friandises. I KNOW BETTER, hahahaha!