À Caraz, la gare routière de Móbil (ici, chaque entreprise de transport a son propre terminus) se trouve dans un coin perdu, au fond d’une ruelle caillouteuse où le moindre souffle de vent soulève une poussière jaune qui vous entre dans les narines et vous colle à la peau. Le bâtiment lui-même a l’air de n’avoir jamais été terminé. De son plafond de tôle ondulée pendent des néons impitoyables qui jettent une lumière crue sur la salle d’attente aux sièges évidemment bruns. Une petite vieille tout emmitouflée dans ses châles, avec à ses pieds un carton où sont disposés des paquets de biscuits à 50 centavos (20 cents), des tablettes de chocolat, des bonbons, des bouteilles d’eau, somnole, la tête penchée sur l’épaule, en attendant les clients.
J’avais hâte de m’installer dans mon siège Ejecutivo VIP, où Móvil te promet «ton propre salon VIP sur roues», avec une comida deliciosa, le wifi pour garder le contact avec tes amis, un système de divertissement à la fine pointe de toute, bref, la félicité.
Ce sont des cars à deux étages, ma place était au primer piso. J’aime mieux ça, je me dis que si le bus capote (ce qui arrive presque chaque semaine sur les routes du Pérou), je vais tomber de moins haut. J’avais pris soin de réserver le premier siège de la rangée en me disant que ce serait plus confo, plus «privé», je sais pas quoi.
Mais je n’avais pas prévu que j’aurais dans la face la porte que le jeune agent de bord (on essaie vraiment de nous faire croire qu’on est en avion) passe son temps à ouvrir et à fermer pour les besoins de son service. Et que je te passe des écouteurs, et que je reviens pour distribuer la comida deliciosa (en l’occurrence, un genre de mini-brioche vaguement teintée de confiture et un petit gâteau, nettement suremballés, ce qui ne les a pas empêchés de se désintégrer après une nuit passée dans mon sac à main), et on repasse pour les boissons, et on revient encore pour ramasser les gobelets vides, bref, ouvre la porte, ferme la porte, ouvre la porte, ferme la porte…
De l’autre côté de cette porte, je vous le donne en mille? Celle des toilettes, dont on prend soin de te préciser, deux fois plutôt qu’une, qu’elles ne doivent servir qu’à URINER (on le dit vraiment en majuscules). Fait que chaque fois que notre jeune préposé ouvrait la porte de notre compartiment, j’avais en même temps une bouffée des effluves du produit chimique dans lequel on n’est pas censé faire caca. (Je me demande d’ailleurs comment ils font pour savoir si on obéit aux consignes ou si on profite hypocritement du fait que la porte est verrouillée pour faire un infâme numéro deux. Ont-ils des détecteurs? Des caméras cachées?)
En tout cas, bref et pour résumer, je n’avais pas choisi le meilleur siège. Une vague nausée s’est emparée de moi, au point où je me suis demandé si on avait le droit de vomir dans les toilettes ou s’il fallait pour ça aussi demander l’assistance du personnel (comme on le conseille pour le fameux numéro deux, auquel cas, m’a-t-on dit, on arrête le bus quelque part pour te permettre de te soulager, en toute discrétion). Mais bon, quand le jeune homme a fini par se calmer, ma nausée en a fait autant, que saint Christophe, patron des voyageurs, en soit remercié.
J’ai essayé de sélectionner un film sur mon système de divertissement personnel dernier cri, mais ce dernier cri devait être celui de la mort parce que je n’ai jamais réussi à en tirer quoi que ce soit. Quant au wifi à bord, ai-je été naïve! C’est pourtant écrit en toutes lettres sur le site de Móvil: «Selon disponibilité» (ou quelque chose du genre). Fait que j’ai pris une petite bleue (merci, Imovane), gonflé mon oreiller Air France, mis mon masque et mes bouchons d’oreilles, je me suis drapée dans la couverture orange fluo que nous fournit gracieusement Móvil, et je me suis endormie comme l’enfant qui vient de naître.
Comme l’enfant qui vient de naître, je me suis réveillée au bout de trois ou quatre heures, mais pas parce que j’avais faim. C’est qu’on était dans les montagnes, sur une route non asphaltée (ou qui l’a été il y a très, très, très longtemps) avec des virages à 180 degrés, si bien qu’on avait l’impression de se trouver dans une laveuse dont la charge est mal répartie au début du cycle d’essorage.
À cause des changements d’altitude, j’avais les tympans qui me jouaient un solo de drum en stéréo. J’ai eu beau déglutir, ouvrir la bouche à m’en décrocher la mandibule, rien à faire.
Je me suis heureusement rendormie, pour me réveiller vers 5h30 alors qu’on entrait dans Lima. Autour de nous, des bus bondés de travailleurs (bondés! À 5h du mat!), des camions lourds, des VUS, des klaxons, des vendeurs de journaux debout au milieu de la chaussée et du smog… bienvenue en ville.
Notre car est arrivé au terminus à 6h30, avec près d’une heure d’avance sur l’horaire prévu, chose immensément improbable, si bien que j’ai réveillé les aimables propriétaires du petit B&B où je loge pour deux nuits: ils ne m’attendaient que pour 8h. Ils m’on fait du café (j’en suis à mon troisième), j’ai pris mon petit-dèje (avec des confitures maison), une chambre vient de se libérer et on est en train de la préparer pour moi, je vais m’y allonger avec délices, solo de drum ou pas.
J’ai apporté mon masque Hydratation intense Sève végétale hydrocaptrice Yves Rocher, vous allez voir ce que vous allez voir: je serai fraîche comme une fleur au coquetel de l’ambassade. Ou en tout cas pas plus fripée que ma robe.
Et vous étiez en classe VIP! Heureusement votre sens de l’humour rend la chose très agréable… pour les lecteurs! Je me suis bien amusé à vous lire. Les standards de qualités varient d’un pays à un autre, d’un monde à un autre.
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Oh, mais dans les faits, c’est effectivement très confortable!
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