Medellín (bis)

Portraits
Ce jeune homme, 25 ans peut-être. Peut-être moins, la vie les use tellement!

Il n’a qu’une sandale, boite légèrement de son pied nu sur le pavé humide. Il pleut, il fait relativement froid. Le jeune homme est grand et mince, plutôt beau. Nous sommes à une terrasse qui surplombe le parc Bolivar, couvert de très grands arbres. Il pleut, il pleut, de ces pluies tropicales qui tombent à grosses gouttes lourdes comme des larmes.
Chaque fois qu’un taxi (innombrables, les taxis) s’arrête pour déposer son passager, le jeune homme se précipite pour ouvrir la porte, dans l’espoir de récolter une pièce. Le passager lui tourne le dos, indifférent, comme si l’autre était transparent. Le jeune homme reprend son manège. Dès que son regard croise celui de Pierre, il ne le quittera plus. Avec des gestes, des mimiques, il quémande une pièce. Pierre me le désigne discrètement, mais assez clairement pour que le jeune homme remarque que je l’ai remarqué. Il fait de grands gestes des bras, porte à sa bouche ses doigts joints, dans ce geste universel qui exprime la faim.
Je fouille dans ma poche, il s’approche, grand Pierrot de la rue, il lève son visage vers moi, je laisse tomber une pièce entre ses mains jointes. Il me bénit, retourne de l’autre côté de la rue, ouvrir les portes des taxis sans que personne lui jette un regard.
Il est peut-être un enfant de la rue, peut-être est-il là depuis toujours, n’a-t-il connu d’autre vie que celle-là, petit fantôme encombrant qui crie muettement sa faim à des gens qui ne veulent pas le voir.
 ···
Un couple, peut-être dans la trentaine, chez nous on dirait plus. Lui est très beau, métis, le visage à moitié couvert de blanc; elle plutôt espagnole, grande et mince, elle a aussi mis du blanc. Un théâtre de rue. Leurs costumes sont par terre, de petites piles bien classées de vêtements usés, de perruques couettées, de chapeaux cabossés. Il joue du conga, elle des maracas ou de quelque chose d’approchant, ils annoncent le grand spectacle du théâtre X. Ils sont plutôt bons. Elle se change en un tournemain devant public, passant par-dessus son collant noir un pantalon de satin jaune à volants, ou une robe noire et un fichu pour incarner une vieille. La petite foule est attentive.
Puis l’orage éclate, chacun cherche un abri, le parc se vide. Plus personne pour jeter une pièce dans le chapeau.
Ils en seront quittes pour recommencer.

Medellín

Nous sommes arrivés à Medellín hier soir, après un vol éclair d’une petite heure. Il a ensuite fallu une heure en taxi collectif pour couvrir les 35 km qui séparent l’aéroport du centre-ville. Le chauffeur conduisait à tombeau ouvert, zigzaguant entre les autobus, les motos, les autres taxis, dans une route tout en courbes mouillée par une pluie récente.
Il faut avoir les nerfs solides. Je lui ai dit en rigolant que quelqu’un qui conduirait comme ça au Canada finirait direct en prison. Ça l’a fait rire.
Medellín ne compte que 2,3 millions d’habitants, mais j’ai rarement vu une ville aussi dense, aussi frénétique, aussi bruyante. Même Mexico me paraît bien sage en comparaison.
La ville elle-même est sans charme, privée de tout immeuble historique au profit de l’arquitectura racional. Dans un pays où rien ne semble rationnel, disons que le pari était perdu d’avance.

Une foule normale

Atelier de réparation de vélos en pleine rue

Émules de Botero

Écolières au centre culturel Uribe Uribe

Centre commercial
Marchand de cuivre et de laiton

Bar typique

Medellín est nichée dans une vallée et ceinturée de hautes montagnes que les maisons de brique rouge assiègent peu à peu. Nous avons voulu aujourd’hui prendre ce qu’on appelle le metro cable (en fait, un simple téléphérique) qui mène jusqu’à un faubourg perché là-haut, mais il était fermé pour entretien (ce qui, tout compte fait, est tout de même rassurant). Nous en avons été quittes pour visiter ce qui tient lieu de centre-ville. Une vraie fourmilière. Il y a partout sur les trottoirs des vendeurs ambulants qui offrent des lacets, des cintres, de la soie dentaire… On se demande comment ils peuvent gagner leur vie. Il faut croire qu’ils y parviennent, mais on voit bien que rien n’est facile. Il y a beaucoup de gens très abîmés par la vie, la drogue, l’alcool ou les trois. Ça crève le coeur.
Les gens semblent s’être donné le mot pour rivaliser d’amabilités avec les touristes (étonnamment nombreux), nous sommes sans cesse étonnés de leur courtoisie.