C’est comme ça que les Vénitiens appelaient Nauplie – notez la similitude des deux noms – en grec, Napflion ou Ναύπλιο. (Je commence à pouvoir déchiffrer les lettres, mais après il faut encore traduire ce qu’on a réussi à lire, et souvent on n’est guère plus avancé. Mais on s’amuse et on fait rigoler les gens. Hier soir au resto, nous essayions de nous rappeler comment demander l’addition. Ça se dit «logariasmos», d’où nous avons déduit qu’il y avait un rapport avec logarithme. Nous n’avions pas tout à fait tort, mais pas complètement raison non plus. À Poros, un garçon nous avait fait éclater de rire avec ce truc mnémotechnique: «Comme l’orgasmos!»)
En tout cas.
Nauplie, donc. La vieille ville – magnifique – est couronnée d’une immense et austère forteresse, mélange d’architectures franque, vénitienne et byzantine, qu’on peut atteindre par un escalier de près de 1000 marches. Heureusement, on peut aussi s’y rendre en taxi, en bus, et je crois même en ascenseur. Ça me suffira! Il est près de 10h, Pierre s’est précipité à la gare routière pour attraper un bus qui le mènera à Mycène, à une vingtaine de kilomètres d’ici. Pour ma part, traitez-moi de ce que vous voudrez, l’Acropole et Delphes m’ont fourni ma ration de ruines. J’irai plutôt au musée des arts populaires et à celui du komboloi, qu’on appelle en anglais worry beads. Il paraît que la tradition est née ici.
On dit que le Péloponnèse est le coeur de la Grèce authentique et que Nauplie en est le joyau. Au vu des paysages que nous avons traversés depuis Poros, je n’ai pas de mal à le croire. La route monte à l’assaut de caps vertigineux qui plongent à pic dans l’eau turquoise, à des centaines de mètres plus bas. Côté terre, des milliers d’oliviers, d’orangers et de citronniers, parfois de très vieilles vignes aux ceps gros comme des arbres, ponctuent ce paysage domestiqué depuis des millénaires. De temps à autre, des cyprès en petits groupes semblent monter la garde.
À Nauplie, une longue promenade dallée de marbre longe la mer. Au détour d’un cap, des marches chaulées conduisent à une crypte tout ornée d’icônes et où des bougies éclairent faiblement un petit autel. Un peu plus loin, une chapelle elle aussi ouverte aux quatre vents expose ses icônes dorées, ses instruments de culte, ses broderies… des chants polyphoniques émanent des fenêtres de ce qui semble un tout petit monastère, c’est si parfait que, pour un peu, on se convertirait.
Les Grecs sont très pieux (ou superstitieux, ce qui, à mon avis, revient au même, mais bon). À tout moment, ils se signent en passant devant un cimetière, une église ou une de ces innombrables chapelles qui poussent dans les endroits les plus improbables.
En rentrant du resto, hier soir, nous nous sommes arrêtés devant la vitrine d’une boutique d’art africain, chose insolite ici. Le jeune homme qui la tient s’appelle George, les objets de la boutique sont rapportés par son père, tombé amoureux de l’Afrique alors qu’il enseignait dans une école grecque de Johannesbourg, et qui, à 71 ans, continue d’y voyager au moins trois fais l’an. Il en rapporte des trésors de tous les coins du continent, notamment de petits retables d’Éthiopie, peints à la manière byzantine – la majeure partie de la population d’Éthiopie est chrétienne, saviez-vous ça? George, qui n’est jamais allé en Afrique et rêve du Kenya, nous a appris ça et bien d’autres choses, avec une douceur et une intelligence pénétrantes. Belle rencontre.