Demain, Nauplie

Dernière journée à Poros, que nous avons exploré de fond en comble à vélo, à pied et en scooter (moi qui m’étais bien juré que nous ne ferions plus jamais ça après notre accident en Thaïlande, il faut bien admettre que c’est le moyen le plus pratique pour se déplacer en certains endroits). 

Il y a à Galatas (la ville d’en face, qu’on atteint en cinq minutes par bateau) un grand verger planté de milliers de citronniers. C’est en plein la saison, les arbres sont chargés de fruits et de fleurs qui sentent le ciel. Nous avons marché doucement à travers ce paysage magnifique tout piqueté de fleurs sauvages, non sans cueillir quelques citrons pour parfumer le poisson que nous avions acheté le matin au marché en prévision du souper. On a fait rôtir le poisson au four avec des tas de tranches d’oignon et de citron et une bonne quantité d’origan tellement parfumé qu’on n’y croit pas, et on a fait sauter des courgettes grosses comme un doigt, encore pourvues de leur fleur. Régal absolu, simple et vrai.

Aujourd’hui, c’est jour de lessive et d’intendance puisque nous partons demain en bus pour Nauplie, dans le Péloponnèse. On a trouvé le moyen de faire le trajet en bus, tellement plus agréable que de louer une voiture. On va  encore voir de vieilles pierres, la mer turquoise, des montagnes austères, des oliveraies millénaires et des troupeaux de chèvres.

La vie est dure.

Je vous laisse quelques images, juste pour vous montrer à quel point.

Assise sur le pas de la porte…

… j’écoute les rumeurs du village. Un rideau de fer qu’on abaisse, les vaporetti (oui, comme à Venise) qui traversent en crachotant vers Galatas (le village d’en face, à 200m tout au plus), les pétards que les enfants font éclater — les garçons, en fait. Les petites filles, comme les femmes d’un certain âge, ne sont nulle part dans l’espace public, ou à peine visibles.

Jeudi, une bande de gamins a improvisé un match de foot dans la venelle où nous habitons — une toute petite rue qui monte des quais et se termine par une volée de marches blanchies à la chaux. La vieille dame qui habite en face, exaspérée par leurs cris, les a chassés avec son tuyau d’arrosage. Depuis, les chenapans s’amusent à faire éclater des pétards de plus en plus puissants sous ses fenêtres. Hier samedi, ils en étaient presque à la bombe H. J’ai fini par m’adresser à l’un d’eux, un beau garçon de 13 ans aux yeux de velours qui parlait un anglais plein de roulades appris dans la rue. Je lui ai demandé s’il a une grand-mère. «Nèh», il a dit. (Ça veut dite oui, et pour non, on dit «okhi», c’est assez confondant.) «Tu l’aimes bien, ta yaya?» — Nèh! — Tu imagines si des garçons comme toi venaient l’embêter avec des pétards?

Son regard a changé. «I will tranneslate», a-t-il dit en désignant ses copains du menton. Il leur a expliqué ce que je venais de dire, et eux qui rigolaient en douce se sont tus soudain. J’ai ajouté que je les trouvais tous très drôles et très mignons, que les pétards me faisaient rire, mais que la vieille dame là-haut avait peut-être besoin de se reposer. Ils sont partis en s’égaillant comme une volée de moineaux et sont allés faire éclater leurs pétards ailleurs.

Comme nous n’avons pas de balcon ni de terrasse et que notre joli studio en rez-de-chaussée est un peu sombre, nous avons pris l’habitude de sortir une petite table et deux chaises carrément dans la ruelle. Quelquefois des gens passent et nous saluent sans autrement s’étonner de nous voir là.

Ce matin, pendant que nous prenions notre petit-déjeuner, un vieux monsieur s’est arrêté pour nous souhaiter joyeuses Pâques, nous serrer la main et nous tapoter l’épaule, tout gentil et chaleureux, comme attendri de nous voir.

Là, nous squattons la terrasse d’un restaurant fermé pour Pâques, mais dont nous profitons de la connexion internet. Une bouteille de rosé à 2,50€, un sac de chips à l’origan, quelques olives, la vue sur la rade et la promenade où déambulent les familles sous le soleil déclinant…

Mon idée du bonheur.

 

 

Pâques orthodoxes

Nous sommes arrivés hier à Poros, qu’Henry Miller, dans Le Colosse de Maroussia, a décrite comme une splendeur vénitienne inimitable. Peut-être était-il amoureux fou d’on ne sait qui, peut-être a-t-on remblayé jusqu’à le faire disparaître le canal qu’il décrit avec tant de lyrisme. Si nous n’avons pas vécu l’enchantement qu’a ressenti ce vieux brigand, nous trouvons quand même ici quelque chose d’irrésistible. Ces passages si étroits que parfois on n’y circule pas à deux de front, des escaliers aux rebords chaulés, des maisons qui s’étagent dans les moindres recoins, rejoignables seulement par une étroite venelle, les fleurs, les fleurs, les fleurs partout, ce parfum de fleurs d’oranger qui nous saisit de temps en temps…. et la gentillesse des gens! Mon Dieu, comme les gens sont aimables, partout, toujours!

Aujourd’hui, jeudi saint, il y a eu un trèèès long office dans une église près de chez nous. On entendait de loin les chants polyphoniques, c’était splendide. Nous sommes allés voir cette petite foule recueillie dans une église couverte d’icônes et de dorures, où l’autel et le tabernacle ne sont même pas à la vue des fidèles. Un choeur d’hommes et de femmes réunis en rond chantait pendant que le pope, tout vêtu de violet, officiait dans le saint des saints, un peu caché derrière des rideaux qui laissent à peine entrevoir ses simagrées. On a gardé ici un sens de la liturgie et des mystères qui est plus touchant que dans nos églises, ne serait-ce que parce qu’on y reconnaît des traditions millénaires qui excusent un peu l’absurdité de tout ça. On peut croire que les choses se passaient comme ça même dans les temples dédiés aux dieux grecs de l’Antiquité. 

Demain, vendredi saint, ce sera encore plus solennel. Moi l’apostate athée, je vais regarder ça avec l’intérêt ému d’un entomologiste.

Demain, on part en scooter faire le tour de la grande île de Poros, ses plages et ses villages. Mon appareil photo est malade, les cafés internet où l’on pouvait disposer d’un ordinateur ne sont plus que chose du passé, alors les photos et les bouts de vidéo sur ce blogue ne viendront pas, ou alors bien plus tard. J’ai les yeux et les oreilles remplis de beauté mais je ne pourrai partager cela en images que sur Facebook, j’en suis désolée.