À Chefchaouen (bis)

Je me perds avec délices dans les venelles de cette ville surréaliste où tout est bleu, de tous les tons de bleu. Lapis-lazuli, azur, turquoise, indigo, aqua, c’est un camaïeu infini qui se poursuit même quand on sort des venelles tapissées de boutiques de souvenirs où se cantonnent les touristes.

Le souk, le vrai, celui que fréquentent les habitants, n’est ni moins bleu ni moins labyrinthique. Il se démultiplie en escaliers irréguliers, ponctués de fontaines, d’impasses, de portes presque toujours ouvertes à tous les vents, toujours de tous les bleus possibles.

Il paraît que c’est une idée qu’ont eue les femmes pour donner un caractère particulier à leur village. Si c’est vrai, c’est un coup de marketing absolument génial, digne du talent des Marocains pour le commerce.

Parlant de commerce, malgré toutes mes résolutions, je n’ai pas pu résister: j’ai acheté un foulard hier, et aujourd’hui un collier et une adorable petite boîte à khôl en argent gravé. C’est pas ma faute, c’est Mohammed qui m’a eue. Il m’a offert du thé, et il m’a fait un prix juste parce que c’est moi, pensez donc!

Mohammed me sert le thé dans sa minuscule boutique.

Sans blague, je crois que j’achète juste pour ça, pour ce jeu de négociation qui est pourtant toujours le même. On se regarde dans les yeux, on se jure qu’on ne peut pas aller plus loin, on avance, on recule, on soupire, on lève les yeux au ciel, on fait un pas de plus, on finit par s’entendre, on se serre la main, marché conclu. Si le vendeur a fait une bonne affaire, il sourit. S’il ne sourit pas, c’est qu’il a vraiment sacrifié sa marchandise. Quant à moi, je repars rarement mécontente même si, parfois, je sais que j’ai payé «trop cher». Et d’ailleurs, qu’est-ce que ça veut dire, «trop cher»?

Enfin.

J’ai bien rigolé aussi avec Hassan, qui m’a apostrophée samedi alors que je baguenaudais, le nez en l’air, émerveillée par ce que je découvrais.

Évidemment, il voulait me vendre quelque chose. J’ai refusé poliment, il a immédiatement reconnu mon accent et hop, la conversation a démarré. Quand il a vu que je ne lui achèterais rien, pas un foulard, pas un bijou, il m’a proposé… du haschisch! Sérieusement?
– Mais oui, tout le monde sait ça, 90% des gens qui viennent ici veulent fumer! Regarde, j’en ai toujours sur moi (il me montre la manche de son burnous, qui contient manifestement quelque chose).
– Merci, mais non… je préfère le vin.
– Le vin, c’est pas bon pour toi. Mais si tu en veux, je peux t’en trouver.
– Ah bon? Comment ça? (Le vin, l’alcool, c’est super haram, donc introuvable à Chefchaouen, sauf dans deux restaurants apparemment assez mauvais, dont c’est en fait le fond de commerce.)
– Ah, j’ai mes sources. Pour 200 dirhams, je t’apporte du rouge, du blanc, du rosé, comme tu veux.

Deux cents dirhams, ça fait environ 30$. J’aurais pu dire oui, on paie plus que ça sans sourciller au resto, mais bon, une petite cure sans alcool ne me fait pas de tort non plus, alors j’ai refusé. «Bien, très bien, a dit Hassan. C’est mieux pour toi.
– Pourquoi le vin serait-il moins bon pour moi que le haschisch?
– Parce que le shit, c’est mieux.»

Argument imparable s’il en est.

Le lendemain, je recroise mon Hassan, qui propose de nouveau de me fournir du vin, cette fois pour 160 dirhams. «Non, merci, sincèrement.
– Ah, bien, très bien, ça vaut mieux. Tu ne veux toujours pas fumer?»

Je suis certaine que, si je retourne le voir aujourd’hui, il m’offrira la bouteille de vin à 130 dirhams. Plus une fumette.

Je ne comprendrai jamais sa logique, je pense…

Le frette

Il fait si froid depuis trois jours que je n’ai toujours pas osé prendre ma douche. La simple idée de me déshabiller, fût-ce pour me retrouver sous un jet d’eau chaude (d’ailleurs probablement tout aléatoire), me révulse. Quant à celle d’avoir les cheveux mouillés pendant une heure, je ne veux même pas l’envisager. Pareil pour la lessive: avec ce temps, ça ne séchera jamais, alors je vis sur mes économies, pour ainsi dire.

J’ai un contrat de révision à rendre le 9 décembre (un roman pour une très bonne maison d’édition, je suis au ciel, pour vrai), alors hier, j’ai travaillé une bonne partie de la journée emmitouflée dans une énorme couverture de peluche, ça me rappelait le Pérou. Quand je pense que je voulais fuir la grisaille de novembre… Mais bon, samedi, il faisait beau, c’était magnifique, et puis le mauvais temps peut arriver partout. J’aurais pu filer vers le sud dès aujourd’hui, mais j’ai choisi de «pousser ma luck», comme on dit, et de rester deux jours de plus en espérant que le ciel se répare un peu. Je profite des rares éclaircies pour aller me perdre dans les ruelles et photographier des chats, qui sont les rois de Chefchaouen.

Et puis j’ai changé d’hébergement, j’écris près d’un petit poêle qui répand une bonne chaleur, c’est toujours ça. Je pourrai peut-être me doucher ce soir. Ou demain. Ou pas.