Perdus dans la savane africaine

Déjà presque une semaine que nous sommes rentrés de notre excursion dans le Nord. J’avais hâte, j’en ai eu pour mon argent.

Nous avons pris un car de Cotonou à Natitingou, 12 heures bien comptées pour un trajet qui devrait en prendre 8, mais bon, le bus est relativement confortable: une personne par siège, la clim, la musique, même des soaps ivoiriens qui font s’esclaffer tout le monde. On ne va pas commencer à se lamenter! Enfin, voici donc notre itinéraire.

Je vous passe les détails, mais bref, nous sommes entrés, hilares et pleins d’allant, dans le parc de la Pendjari vers 10h le lendemain, parés à affronter tous les fauves de la savane africaine du haut du toit du pick-up de notre guide, Razak.

Nous avons vu des antilopes en quantité, des éléphants, des babouins, un hippopotame, des oiseaux fabuleux, nous avons consciencieusement mitraillé tout ça de nos objectifs (et nous avons tous fait les mêmes photos).

Le soir venu, halte au bord de la mare  pour une nuit de camping. Pendant que nous montions les tentes, on pouvait entendre grogner un hippopotame caché juste là, sous la mangrove qui borde la mare, à 20 pas.

Razak a allumé un feu à l’aide de bouse d’éléphant qu’il est allé chercher juste à côté, dans le bois (ça ne s’invente pas). Nous avons mitonné notre souper, mangé, rangé et hop! au dodo, parce qu’on se lève à 6h demain, départ à 7h au plus tard: les animaux savent vivre, ils font la sieste entre midi et 15h et sont donc invisibles. Il faut se lever de bonne heure si on veut avoir la chance d’en apercevoir.

Chose dite, chose faite. Au matin, nous étions prêts à temps, tentes démontées, petit-déjeuner avalé (oeufs brouillés, petits pains et café, oui madame: nous autres aussi, on sait vivre).
Nous étions prêts, mais Razak, non: le camion refusait de démarrer. Il a tout tenté pendant deux heures avant de se résoudre à partir chercher de l’aide. Furieux contre lui-même ou contre le mauvais sort, il a refusé d’emporter la bouteille d’eau et le sandwich que nous lui proposions, et il est parti comme ça, sans nous dire dans quelle direction il comptait marcher ni quel était son plan.

L’attente a commencé.

Et duré.

Le braconnage est l’un des grands problèmes du parc. Qu’un chasseur blesse une bête, elle deviendra enragée et pourra charger sur tout ce qui bouge. C’est ce que Razak nous a dit quand il nous a demandé de ne pas nous éloigner du campement. Et le voilà, lui, tout seul, à pied, sans eau…

À midi, nous avons commencé à nous inquiéter. À 14 h, Renée et Pierre ont commencé à former le projet de partir à sa recherche (folie, folie!), en essayant de supputer dans quelle direction il avait pu partir. À 15 h, nous avons organisé des tours de garde au bord du chemin, au cas où passerait un véhicule. Puis commencé à rationner l’eau. Et évalué ce qu’il restait à manger: un demi-paquet de pâtes, trois ou quatre tomates cerises, quelques biscuits Lu.

À la fin, nous nous sommes résignés à manger nos pauvres pâtes, carrément installés au milieu du chemin: pas question qu’une voiture passe sans s’arrêter! C’est juste à ce moment qu’un 4X4 blanc s’est profilé loin, loin là-bas, dans la lumière dorée du jour finissant. C’était notre Razak, avec deux types du Burkina Faso qu’il avait rencontrés à l’hôtel. Il avait marché 47 kilomètres pour s’y rendre. QUARANTE-SEPT KILOMÈTRES! Sans eau ni nourriture, sous ce soleil impitoyable. Il boitait, il était à demi-mort, mais il était là.

Nous avons repris la  route de l’hôtel. Il faisait nuit, le conducteur roulait à tombeau ouvert dans ces étroits chemins de terre rouge. Il a failli heurter une antilope, a effrayé toute une tribu de singes avant de consentir à ralentir. Et le miracle s’est produit. Là, sur le chemin, tout près, dans la lumière des phares, ont surgi trois lions: le mâle, la femelle et un lionceau de quelques mois. Le mâle s’est paresseusement étendu sur le bas-côté de la route d’un air dédaigneux, tandis que la femelle s’est éclipsée dans les hautes herbes. Le lionceau, lui, s’est tranquillement assis sur son petit derrière pour nous observer avec curiosité. L’euphorie dans la voiture, je ne vous dis pas.

Non, on n’a pas de photos, il faudra nous croire sur parole.

Quant à Razak, il a été d’un chic absolu, gentleman jusqu’à la fin. Il nous a offert  de reprendre le lendemain la journée que nous avions perdue. Malgré l’épuisement, il est retourné au camping réparer son camion et est venu nous rejoindre à l’hôtel, d’où nous sommes partis à 7h pile le matin suivant. Et nous en avons eu plein les yeux.

La mésaventure…

… et l’aventure