Chez ma sœur

Une semaine que je suis chez ma sœur, je suis à moitié morte.

Tous ses amis skieurs émérites me disent la même chose: aucun ne peut  suivre Paula. C’est comme dans tout: elle nous fatigue! Elle se lève à 7h chaque matin (8h les jours fastes), descend au sous-sol allumer le feu dans le poêle à bois (et pour cela fend quelques bûches, TCHAC!, comme si de rien n’était), prépare le déjeuner pour sa tribu et les sandwiches du midi, houspille son distrait de mari, lave la vaisselle, s’habille, démarre le camion et file à la montagne pour skier des pentes dont vous n’avez pas idée. Elle m’a emmenée aujourd’hui faire un tour même pas jusqu’au sommet, en téléphérique. Elle est gentille, elle devait avoir les skis qui la démangeaient, mais non: juste un tour de téléphérique avec sa sœur, comme une touriste.

Suis-je heureuse de connaître mes limites! Eussé-je écouté mon Pierre, je me serais peut-être aventurée dans cette montagne à la dénivelée invraisemblable. Au lieu de quoi, pendant que tous ils risquent leur vie au mépris des dangers d’avalanche (encore un mort hier), je sors marcher un peu au centre-ville, je fais des gâteaux ou du pain aux bananes et je cuisine des petits plats pour le plaisir de voir mes deux neveux bâfrer comme des ogres, ma sœur se réjouir d’avoir une housewife à la fin de sa journée de ski et mon beau-frère se rendre compte que, au fond, il aurait mieux fait d’épouser une femme qui n’aime pas le sport (on rigole, hein, ma sœur cuisine divinement, mais elle aime mieux le ski, alors que je skie très médiocrement et que j’aime mieux cuisiner – chacune ses plaisirs.)

Hier soir, veille du jour de l’An, il y avait une partie de broomball, ou ballon-balai, à laquelle voisins et amis sont convoqués depuis quelques années par un jeune couple.
La chose se passe dans le grand dehors, chacun étant invité à apporter un authentique balai de bois (le plastique est interdit, on sait vivre!), sa tasse pour le cidre chaud à la cannelle, des bouchées ou des sucreries pour la joie de l’estomac. Jeunes et vieux se mêlent à une partie anarchique de ballon-balai dans la rue, il y a un grand feu où se réchauffer, les chiens et les enfants couraillent entre les jambes des grandes personnes qui placotent en anglais, en français, en franglais (parfois dans la même phrase) sur fond de musique à tue-tête.
À minuit, des feux d’artifice fusent d’un peu partout dans le voisinage, on se souhaite la bonne année, c’est absolument, complètement et tout à fait sympathique.
J’adore le côté boomtown de Revelstoke, ses jolies maisons centenaires au toit pentu couvert de tôle pour faciliter le glissement de la neige, ses deux petites rue commerçantes où il y a plus de magasins de vêtements de sport que dans n’importe quel quartier de Montréal, les montagnes qui l’entourent comme des gardes du corps (d’un côté, la chaîne des Selkirks, de l’autre les Monashees), la gentillesse toute simple de ses habitants… Je n’y vivrais pas, mais je comprends ma sœur de s’y être établie.

Voilà, je vous souhaite à tous une très belle et bonne année 2012, remplie de tout ce que vous aimez. Comme, jusqu’à un certain point, il n’en tient qu’à nous que ce soit le cas, je vous (et me) souhaite surtout l’énergie joyeuse que j’admire chez ma sœur. Ça devrait réussir.

Passage à l’acte

Ça y est: tout est prêt pour ma disparition durant le temps des Fêtes. Ce sera dans un mois presque jour pour jour, le 25 décembre exactement.

Mais non, je n’ai pas planifié mon suicide à l’eggnog. Je n’ai pas non plus l’intention de me jeter du haut du sapin de la place Ville-Marie, ni de m’immoler par électrocution en me branchant sur le jeu de lumières DEL qui transforme la façade de mes voisins en succursale de Las Vegas.

Non, simplement, je me sauve chez ma sœur à Revelstoke, en Colombie-Britannique, où elle habite depuis une bonne quinzaine d’années avec son Américain de mari et ses deux adorables fils. Je ne l’ai pas vue depuis quatre ans, il est plus que temps.

Revelstoke est une petite ville aux allures de boomtown, pleine de baba-cool écolo-grano, de ski bums et de fanas du plein air. Ma sœur fait partie de la dernière catégorie: escalade, vélo de montagne, ski hors piste, ski tout court, rien ne l’arrête. À se demander si on a vraiment eu les mêmes parents, mais bon. J’ai d’autres qualités.

Je jubile en songeant à tout ce à quoi j’échapperai – les échanges de cadeaux inutiles, les soldes d’après-Noël, la gadoue montréalaise, les rigodons en boucle à la radio et peut-être même la prison pour méfait après avoir pété toutes les décorations gonflables du quartier avec une aiguille à tricoter (un autre vieux fantasme).

Il se pourrait que, en contrepartie, je consente à aller skier. C’est mon amoureux qui serait content: je fais la grève depuis des années parce qu’il m’a emmenée une fois de trop dans une pente cotée deux losanges, et aussi parce que je gèle tellement des pieds que les orteils m’en tombent. Mais il y a à Revelstoke un centre de ski franchement amazing, je serais bien bête de ne pas au moins aller voir ça de plus près (ou de plus haut). Et puis il paraît que, avec les skis paraboliques, on n’a même plus besoin de skier, ils font ça tout seuls. C’est fait pour moi.

En attendant, il me reste quand même quelques reportages «spécial Noël» à faire pour le cahier Voyage. Vous ne pourrez pas dire que je n’aurai pas payé ma dette à la société: train de Noël Orford Express (oui, le train de Josélitoasté), «Féerie de Noël» à Saint-Élie-de-Caxton, marché de Noël à Compton… Je me sens comme une végétalienne à qui on demanderait de faire un reportage sur les abattoirs halal.

Que ne ferais-je pas pour le droit du public à l’information?