
Aujourd’hui, comme hier et avant-hier et le jour d’avant, j’ai marché sur la plage et je me suis posée chez El Brujo.
Fabian et Ismaél n’ont pas tardé à me repérer et m’ont tout de go proposé une autre partie de dominos.
Bien sûr, j’ai accepté, et bien sûr, j’ai perdu. Leur façon de jouer favorise inévitablement celui ou celle qui a commencé, et je ne commence jamais, et je suis trop contente de féliciter el gañador, qui est toujours Fabian, le plus petit.
On a aussi joué AVEC les dominos, et vous n’avez pas idée de tout ce qu’on peut faire avec ces petits blocs de bois.

Au bout d’un moment, les enfants m’ont signalé la présence de leur abuela (leur grand-mère).
Ils me l’avaient déjà présentée, mais j’avoue que, parmi toutes les personnes qui arpentent la plage pour vendre leurs petites choses, je m’y perds parfois.
Aujourd’hui, donc, elle s’est assise un peu avec ses petits-fils et moi. Je ne l’oublierai plus, désormais. Son sourire tout encadré d’argent, comme ça se fait beaucoup en Amérique latine, son regard fatigué, le sac de plastique dans lequel elle transporte les animaux de feutrine brodés qu’elle offre à vendre — girafes, lions, licornes, oiseaux…
Elle s’appelle Angelina. Elle ne parle pas espagnol, ou alors seulement quelques mots.
Fabian et Ismaél nous servent d’interprètes.
Elle a 56 ans. Elle a eu sept enfants, trois filles et quatre garçons.
J’aurais dû mentir quand elle m’a demandé mon âge.
Elle m’a regardée d’un air incrédule, m’a demandé si je n’avais pas, moi aussi, mal au dos, à la tête, aux os…
Je n’ai rien trouvé d’autre à répondre que oui, bien sûr, un peu. On est restées là sans rien dire, et puis elle est repartie de son air las, parce qu’il fallait bien travailler.
Les enfants avaient envie de se baigner. C’était la première fois que je les voyais aussi joyeux, disponibles. Peut-être parce que c’était vendredi.
« Vous avez la permission de vous baigner?, ai-je demandé.
— Je vais appeler ma mère pour lui demander, a dit Ismaél. On a essayé avec mon téléphone, mais on est tombés dans le buzón (la boîte vocale), dont personne ne semble se servir ici.
Ismaél a donc couru au resto où travaille sa soeur pour demander la permission. Il est revenu tout essoufflé, triomphant, et les deux se sont déshabillés en deux secondes, ne gardant que leur short, pour se jeter à l’eau comme deux petits chiens fous.
C’était beau à voir.