Dimanche matin à Cotonou, les églises de toutes confessions (mais surtout pentecôtistes ou évangéliques) tonitruent à qui mieux mieux. Le pasteur postillonne dans un mauvais micro branché à de mauvais haut-parleurs, les fidèles chantent des cantiques qui semblent ne finir jamais, accompagnés souvent par un piano électrique réglé à «autoplay» . Rien que dans notre rue, il y a trois de ces églises à portée d’oreille.
Dimanche dernier, au bout de deux heures de ce régime digne de Guantanamo, nous nous sommes enfuis vers la plage (à 10 minutes de marche).
De lourds nuages noirs menaçaient, mais tout valait mieux que cet assommant délire religieux. Arrivés au bord de la mer, nous avons aperçu au loin des gens arc-boutés les uns derrière les autres le long d’un câble. Nous nous sommes approchés pour voir ce qu’ils faisaient.
Ils étaient en train de ramener un immense filet de pêche, qui devait bien faire en tout deux ou trois kilomètres de longueur. Hommes, femmes, enfants, tous s’y étaient mis. Les hommes rythmaient les efforts avec la version africaine du «ho-hisse !», le chef allait d’un groupe à l’autre, criait des ordres pour orchestrer la manœuvre, houspillait les petits qui se mettaient dans ses jambes.
MonChéri a eu tôt fait de se joindre à l’effort collectif, sous l’œil réjoui de ses nouveaux camarades. J’espérais bien que cela me donnerait un passe-droit pour faire des photos, mais non: les gens sont convaincus que nous voulons exploiter commercialement leur image et refusent catégoriquement de se faire tirer le portrait même si on le leur demande gentiment. Généralement, quand j’explique que je travaille ici et que je veux montrer le Bénin à ma famille et à mes amis, tout change. Mais là, j’aurais eu, quoi? Une bonne centaine de personnes à convaincre? Je me suis résignée… ou presque: j’ai quand même réussi à voler quelques photos, que je mettrai en ligne quand j’aurai une meilleure connexion.
Toujours est-il que les gens peuvent mettre six ou sept heures à tirer le filet hors de l’eau, dans une forte houle et un ressac meurtrier. Les prises sont ensuite distribuées à ceux qui ont collaboré à cette corvée collective, ou alors elles sont vendues, et l’argent est réinvesti dans la communauté. Ce matin, la pêche n’a pas été très bonne – peut-être 300 kg de poissons, en majeure partie minuscules (qui seront frits et mangés entiers), quelques énormes gambas et un mérou de taille respectable. Tous ont encerclé cette modeste manne et l’ont examinée, évaluée, commentée pendant de longues minutes. Un jeune homme a empoché trois ou quatre étoiles de mer, des enfants ont glané les petits poissons épars dans les mailles.
Des femmes ont commencé à arriver, se sont assises en groupe pour attendre la distribution. Deux d’entre elles avaient des colliers de coquillages blancs croisés sur leur poitrine nue, la taille ceinte de pagnes identiques. Elles avaient l’air de sortir d’un livre d’histoire. J’aurais aimé pouvoir les photographier, mais je n’ai pas osé.
Tout ça semblait s’organiser comme par magie, dans des gestes sans doute millénaires, répétés bien plus par tradition, par besoin de cohésion, que pour ce qu’ils rapportent vraiment. M’est revenue en mémoire cette vieille métaphore qui dit: «Donnez un poisson à un homme, vous le nourrissez pour la journée. Apprenez-lui à pêcher, vous le nourrissez pour la vie.»
Cela m’a toujours paru extrêmement condescendant, mais j’ai trouvé ce jour-là que c’était particulièrement mal choisi, voire imbécile. S’il y a une chose que nous ne pouvons très certainement pas apprendre à ces gens, ce sont les gestes de survie.
Merci Fabienne pour ce beau récit . Les photos que tu avaient mises plus tôt étaient intrigantes maintenant elles prennent tous leurs sens .
J’aimeJ’aime
Je ne te connais pas Fabienne mais j’adore lire tes récits et j’arrête tout lorsqu’ils se pointent sur mon écran pour les déguster. Je suis la cousine germaine de Pierre qui vit en Ontario depuis bientôt 40 ans mais qui a aussi l’occasion de voyager et de travailler dans des pays en voie de développement. Au plaisir de se rencontrer un jour.
J’aimeJ’aime
Bonjour Fabienne,
Je ne te connais pas, je suis une copine de Jean, qui a eu la bonne idée de me transmettre tes récits.
Accessoirement, je suis une « cousine » des Québécois, je suis membre de France-Québec (2 voyages seulement vers le pays d’en face) et mes enfants, bien installés en France, tentent d’aller travailler au Québec.
Merci pour tes récits drôles, colorés et plein d’empathie pour les personnes que tu rencontres. Je deviens accro. Je te souhaite, avec ton ami, de continuer à réaliser tes projets.
Bonne route
Josette
J’aimeJ’aime
Ah, c’est gentil, ça, merci!
J’aimeJ’aime