Vodoun!

Le 10 janvier est jour chômé et payé au Bénin. C’est la journée nationale des religions endogènes, autrement dit: la fête du vodoun. Et le vodoun (ou vaudou), dans cette terre d’où il est originaire, on ne rigole pas avec ça. Même les chrétiens convaincus croient dur comme fer au pouvoir des féticheurs, au danger des grigris, aux faiseurs de pluie ou au don d’invisibilité. En fait, l’un n’exclut absolument pas l’autre. Les églises chrétiennes ont consciencieusement diabolisé les cultes traditionnels, si bien qu’ils sont exclusivement associés au mal.

C’est ainsi que, chez Pélagie, qui va à la messe pratiquement tous les jours et prie à chaque respiration qu’elle prend, on raconte sans sourciller que la déficience de Mirabelle résulte d’un envoûtement: son grand-père paternel, qui était un puissant féticheur, s’en serait pris à elle parce qu’il avait échoué à tuer son propre fils après que ce dernier eut tenté de s’opposer à lui. Pélagie m’a aussi assuré qu’une tante de son mari (soeur du papa féticheur et elle-même prêtresse) avait eu 14 enfants et qu’elle en avait mangé 12. Oui, mangé, bouffé, lors de rites vaudous. C’est d’ailleurs elle qui a tué le papa d’Éric (belle famille!).

Obtenir un diagnostic précis quand quelqu’un tombe malade relève de l’inquisition. Ainsi, un de nos amis, instruit, cultivé, moderne, n’a jamais pu nous dire au juste ce qui avait emporté son fils unique. Le petit est mort le 29 décembre dernier, à l’âge tendre de 16 ans, sans qu’aucun signe précurseur se soit manifesté. Le médecin a dit qu’il ne savait pas ce qu’il avait. On a enterré l’enfant, sans autopsie évidemment. La mort restera inexpliquée, c’est-à-dire expliquée par un mauvais sort jeté par quelque envieux.

Jeannine, ma voisine d’en face, veuve depuis quelques années, affirme que son mari est mort par envoûtement. Mémé dit que, lorsque son chien aboie la nuit, c’est qu’il a vu de mauvais esprits.

Remarquez, les superstitions, ce n’est pas comme si nous, Occidentaux supposément cartésiens et rationnels, n’en avions pas, croyants ou non. Outre les calamités que nous promettent le sel renversé, les miroirs cassés, les parapluies étourdiment ouverts à l’intérieur ou le fait de passer sous une échelle, on n’a qu’à penser aux sornettes véhiculées par les églises de toutes obédiences, les gourous de la croissance personnelle et autres redresseurs de chakras. La transsubstantiation, la virginité perpétuelle de Marie, les 70 vierges au regard modeste qui attendent le croyant musulman au paradis (où les prendront-ils donc toutes?)…

En tout cas. Je ne m’avancerai pas davantage sur ce terrain aussi glissant que miné, je voulais juste dire que, le 10 janvier, nous étions à Grand-Popo pour la fête du vaudou. Nous y étions aussi le 1er janvier, d’ailleurs. À vrai dire, nous sommes en train de devenir accros à cet ancien comptoir commercial, devenu lieu de villégiature puis peu à peu abandonné aux pêcheurs après l’ouverture du port de Cotonou. J’en reparlerai.

Vaudoun!

De tous les pays que j’ai visités, le Bénin est sans doute le plus «atteint» par les religions de tout acabit.  Bon, à part Haïti, mais ça ne compte pas: Haïti est en quelque sorte une succursale du Bénin puisque la plupart des esclaves qui y ont été envoyés venaient du royaume du Dahomey. D’ailleurs, cette parenté se remarque dans une multitude de détails: les attitudes, les expressions, le claquement de langue désapprobateur, etc.

Évidemment, l’un des traits communs entre Haïti et le Bénin est la pratique du vaudou. Et ici, on ne rigole pas avec ça. Même les chrétiens convaincus croient dur comme fer au pouvoir des féticheurs, aux grigris, aux faiseurs de pluie ou au don d’invisibilité. En fait, l’un n’exclut absolument pas l’autre. Les églises chrétiennes affirment simplement aux fidèles qu’elles sont le seul rempart contre les maléfices qui les menacent assurément.

C’est ainsi que, chez Pélagie, qui va à la messe pratiquement tous les jours et prie à chaque respiration qu’elle prend, on raconte sans sourciller que la déficience de Mirabelle résulte d’un envoûtement: son grand-père paternel, qui était un puissant féticheur, s’en serait pris à elle parce qu’il avait échoué à tuer son propre fils après que ce dernier eut tenté de s’opposer à lui. Pélagie m’a aussi assuré qu’une tante de son mari (soeur du papa féticheur et elle-même prêtresse) avait eu 14 enfants et qu’elle en avait mangé 12. Oui, mangé, bouffé, lors de rites vaudous. C’est d’ailleurs elle qui a tué le papa d’Éric (belle famille!).

Obtenir un diagnostic précis quand quelqu’un tombe malade relève de la quête du graal. Ainsi, un de nos amis, instruit, cultivé, moderne, n’a jamais pu nous dire au juste ce qui avait emporté son fils unique, mort le 29 décembre dernier à l’âge de 16 ans, sans qu’aucun signe précurseur se soit manifesté. Le médecin n’a jamais pu dire ce qui s’était passé. On a enterré l’enfant, sans autopsie évidemment. La mort restera inexpliquée, c’est-à-dire expliquée par un mauvais sort jeté par quelque envieux.

Jeannine, ma voisine d’en face, veuve depuis quelques années, affirme que son mari est mort par envoûtement. Mémé dit que, lorsque son chien aboie la nuit, c’est qu’il a vu de mauvais esprits.

Remarquez, les superstitions, ce n’est pas comme si nous, Occidentaux supposément cartésiens et rationnels, n’en avions pas, croyants ou non. Outre les calamités que nous promettent le sel renversé, les miroirs cassés, les parapluies étourdiment ouverts à l’intérieur ou le fait de passer sous une échelle, on n’a qu’à penser aux sornettes de Raël, aux promesses des gourous de la croissance personnelle et des redresseurs de chakras, voire aux vertus de l’homéopathie. Sans compter la transsubstantiation, la virginité perpétuelle de Marie, les 70 vierges au regard modeste qui attendent le croyant musulman au paradis…

Je ne m’avancerai pas davantage sur ce terrain aussi glissant que miné, je voulais juste dire que, le 10 janvier dernier, nous étions à Grand-Popo pour la fête du vaudou (bonjour les nouvelles fraîches). C’est un jour officiellement chômé et payé, au Bénin, tout comme la tabaski (fête musulmane) ou Noël. Comme quoi le Québec a de petites leçons à recevoir en matière de cohabitation religieuse. Je dis ça comme ça.

En tout cas. J’ai pris quelques photos, les voici. Elles ne sont pas terribles, je commençais à avoir des problèmes avec mon appareil, et cette journée l’a achevé: je me suis fait arroser copieusement par une vague traîtresse pendant le lâcher des bébés tortues, mon appareil a pris l’eau et il se trouve chez le docteur des appareils «depuis depuis», comme on dit ici quand on veut dire que ça fait longtemps.

Augustin

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Nous avons passé le week-end à Grand-Popo avec des collègues, dans un gîte tenu par un rasta béninois du nom de Gildas. C’est un colosse dont les dreadlocks montent jusqu’au plafond (il les enserre dans un morceau de coton qui pourrait bien être un t-shirt de son fils de trois ans). Il a un bon rire généreux, des centaines de disques de reggae et des recettes de cocktail au gingembre dont l’effet se rapproche de celui d’un sérum de vérité.

Dans l’après-midi de samedi est arrivé ce petit vendeur ambulant, un vaste plateau de métal émaillé en équilibre sur la tête. Dans le plateau, des noix de cajou, des arachides caramélisées, de la noix de coco râpée et grillée, de petites boules de pâte sucrée grosses comme des pois chiches qu’on appelle justement «petits cailloux» tant elles sont dures, et d’autres douceurs encore. Tout ça est soigneusement emballé dans de minuscules sachets à 50 ou 100 francs ou dans des bouteilles d’alcool ou de vin recyclées. Augustin énonce les prix, décrit ses produits, en fait gentiment tomber un échantillon dans la main des clients, attend avec patience qu’ils fassent leur choix.

Il croit qu’il a 11 ans, je dirais peut-être plutôt 12 ou 13. Il a un doux regard intelligent, un sourire fatigué aux dents parfaites. Il est propre, bien mis, mais ses pieds sont usés déjà comme ceux d’un vieil homme.

Samedi, il avait commencé par me dire que ses parents étaient décédés (c’est le mot qu’il a choisi). Mais quand il est revenu le lendemain, il a pris un moment pour s’asseoir avec moi, et nous avons pu parler un peu.

En fait, il ne sait pas où sont ses parents. «Mon papa m’a donné à quelqu’un pour qu’il m’emmène ici, chez ma tante, et puis je ne l’ai plus revu.
– C’était à Cotonou?
– Non, non, au Gabon.
– Quel âge avais-tu?
– J’étais petit.
– Cinq ans, six ans?
– Oui!
– Et ta maman?
– Je ne sais pas où elle est.»

Il ne va plus à l’école. Il travaille maintenant tous les jours pour sa tante. Il marche de la maison jusqu’au carrefour de Grand-Popo, ce qui doit bien faire trois kilomètres, aller seulement, et ne rentre qu’à la nuit tombée ou lorsqu’il a tout vendu. Sa tante lui donne 50 francs (l’équivalent de 10 cents) pour qu’il s’achète quelque chose à manger dans la journée. Avec ça, il peut peut-être se payer une boule d’ablo (pâte levée à base de maïs emballée dans des feuilles), un sachet de gari (farine de manioc diluée dans de l’eau) ou un petit cornet d’aloko (banane frite).

Les bonnes journées, quand il vend 8, 10 bouteilles de noix ou d’arachides, la tante est satisfaite.
«Et si tu n’as pas vendu beaucoup?
– Elle est fâchée.
– Qu’est-ce qu’elle fait?
– Elle m’insulte…»

Augustin a levé vers moi ses yeux un peu cernés, où pointe une lassitude qu’on voudrait effacer pour toujours. Il a poliment refusé l’eau que je lui offrais, a accepté après que j’eus beaucoup insisté le sachet de biscuits que je venais de lui acheter.

Puis je l’ai aidé à recharger son lourd plateau sur sa tête d’enfant et je l’ai regardé s’éloigner, petite âme trop tôt vieillie, le long du mur gris qui sépare les villas de la plage.

On trouve ça triste à mourir. Mais dans une certaine mesure, Augustin a de la chance: il a un toit, il vit à Grand-Popo, une jolie bourgade tranquille au bord de la mer où tout le monde le connaît. Il pourra peut-être reprendre l’école l’an prochain, si sa tante veut bien.

Il aurait pu être abandonné dans l’enfer crasseux du marché de Dantokpa, où les gamins des rues dorment en bande sous les auvents en lambeaux, d’où la police les chasse à coups de pied comme des chiens errants. Ils mangent ce qu’ils trouvent, font les travaux les plus durs pour gagner quelques francs, petites ombres laborieuses et décharnées au regard sans joie.