Entre ciel et terre et mer

Nous avons quitté Pitsidia ce matin sans nous presser, direction Kapetaniana, un village de montagne qui fait partie des recommandations de Chryssa (que nous ne remercierons jamais assez). C’est un village accroché aux flancs du mont Asteroussia, d’où l’on a une vue époustraordispectacuflante (je suis obligée d’inventer des superlatifs, s’cusez) sur la mer de Libye, tout en bas, dont la fin se confond avec le ciel dans un infini camaïeu de bleu.

La route pour monter ici fait des virages de fou, des tours sur elle-même, et nous donne à voir, d’un côté, la vallée fertile plantée d’oliviers, de vignes et d’orangers (ai-je parlé du parfum des fleurs d’oranger? Il vous happe, vous poursuit, vous ennivre, je crois que je vais m’asperger d’eau de fleur d’oranger pour le reste de mes jours, tous seront OBLIGÉS de m’aimer). D’un côté, donc, la vallée. De l’autre, la montagne constellée de thym sauvage, qui embaume aussi. Devant, cette route impossible. Partout, des brebis et des chèvres qui broutent le thym (imaginez un peu le goût de cette viande!). Quand on s’arrête pour admirer le paysage, on n’entend que le vent et les sonnailles des brebis. Ah, et le bourdonnement des abeilles. Des millions d’abeilles butinent les milliards de fleurs sauvages ou cultivées qui constellent la campagne et la ville et les villages. Je n’ai jamais vu autant de fleurs. Je me répète, je sais. En tout cas, si vous songez à aller un jour en Grèce, allez-y en avril.

Nous logeons dans un petit gîte de trois chambres ouvert par un couple d’Autrichiens, Gunnar et Louisa, que nous n’aurons pas le plaisir de rencontrer parce qu’ils sont justement en Autriche en ce moment. En leur absence, c’est leur belle-fille, Iphigenia, qui nous a accueillis. Elle est d’une beauté transcendante, comme beaucoup de jeunes femmes en Crète. Cheveux très noirs, nez de princesse minoenne, pommettes saillantes, yeux de vierge byzantine, sourire à faire fondre un iceberg, gentillesse constante. Elle parle un anglais charmant, avec cet accent roucoulant auquel nul ne peut résister.

De la terrasse où j’écris, nous assistons aux prouesses des hirondelles dans le jour déclinant. Une vieille femme passe dans la sente en contrebas, nous sourit de ses quatre dents et appelle ses brebis, qui accourent en bêlant et en sonnant de toutes leurs cloches. La retsina est fraîche, le ciel un peu voilé sur la mer.

Mon idée du bonheur.

Homard et compagnie

Nous avons mangé avant-hier le meilleur homard qu’il m’ait été donné de goûter dans toute ma carrière de mangeuse de homard. Pêché le jour même par le mari de notre logeuse, sucré, tendre, juteux, cuit à point (le homard, pas le mari!), aaahhh… ce que nous nous sommes régalés! Il faut dire, nous étions en bonne compagnie: ma cousine Lucie et son amoureux, Marc, sont venus nous rejoindre pour deux jours. Un bon repas est toujours meilleur lorsqu’il est partagé, non?

J’ai soigneusement récupéré les carcasses des homards pour en faire une bisque. Le bouillon a mijoté de longues heures sur la cuisinière au gaz. Laissez-moi vous dire que ça vous parfume une maison! À tel point que j’ai laissé ouvertes pour la nuit la porte de la cuisine d’été et celle de la remise adjacente, dans l’espoir de dissiper un peu les effluves de crustacé qui menaçaient de nous imprégner à jamais. Quand il m’a entendue m’inquiéter de ce que des bêtes pourraient en profiter pour s’introduire dans la maison, Marc a dit que la visite d’une mouffette ne serait sans doute pas une mauvaise chose pour améliorer la qualité de l’air. C’est dire. (Il est drôle, Marc.)

Nous avons passé de longs moments à deviser sur les plafonds, les boiseries et l’état général de «notre» maison, à supputer le coût de toutes les rénovations qu’il faudrait y faire, à philosopher sur le désir de propriété qui nous anime tous un jour ou l’autre… Et nous avons convenu que, dans ce cas du moins, il valait nettement mieux rester locataires!

N’empêche, ce coin de pays ne cesse de me séduire. La côte, rocheuse et irrégulière, est toute festonnée de petites anses qui souvent cachent des quais sur pilotis où les homardiers, vers 14 h, viennent décharger leur cargaison du jour.

La forêt capte et condense la brume marine, qu’elle répand en grosses larmes sur des tapis de mousse qui semblent aussi doux que du velours. Dans les jours de brouillard, en forêt, on croit qu’il pleut (alors qu’il n’en est rien sur la plage ou en ville, par exemple), juste à cause de ce phénomène que je n’ai jamais observé ailleurs.

Avant-hier, nous avons marché à travers une de ces forêts, celle sûrement où le Petit Poucet s’est égaré, toute tapissée de mousse émeraude pailletée d’or, pour accéder à un bord de mer magnifique où pullulaient les oiseaux – guillemots, mouettes (à NE PAS confondre avec les goélands, ô citadins mal informés!), sternes et autres huards. Oui, oui, l’eau est glaciale. Mais tout le reste est si magnifique…

 
 
 
 
 

Les paradoxes américains

Nous sommes arrivés samedi dans «notre» maison, une belle victorienne construite en 1875 qui a connu des jours meilleurs. Les portes de bois verni ne ferment plus que dans un cri de douleur, le porche aux colonnes de cèdre perd peu à peu sa peinture blanche, les pommiers du jardin ne produisent que des feuilles piquetées par les insectes…
La maison n’est plus habitée depuis la mort, l’an dernier, à l’âge vénérable de 92 ans, de la dame qui en était propriétaire et qui y a élevé ses neuf enfants.
Une maison désertée me serre toujours le cœur. Celle-ci attend quelqu’un qui l’adoptera et la soignera comme elle le mérite. Mais je me demande qui aura le courage de s’embarquer dans pareille galère: tout, ici, est à refaire ou du moins à rénover, de la cave au grenier. Heureusement, nous ne sommes pas là pour ça. Nous n’avons qu’à profiter du temps qui passe et de celui qu’il fait, splendide sous tous rapports.
Nous sommes donc arrivés samedi; la porte n’était pas verrouillée. La maison est pourtant meublée de quelques très beaux morceaux, il n’y aurait qu’à se servir. Mais ici, personne ne verrouille jamais rien, ni voiture, ni maison. Le long des routes, des fermes où l’on vend qui du bois de chauffage, qui du fromage de chèvre, qui des bleuets, mettent leur produit à la vue des passants. Chacun se sert à sa guise et dépose son paiement dans une boîte destinée à cet usage. Il y a parfois là-dedans de coquettes sommes, mais la confiance règne.
Cette confiance, dans un pays où par ailleurs chacun a le droit de se balader avec une arme «pour se défendre», où un forcené descend régulièrement quelques innocents pour une raison obscure et où il est plus facile de trouver un armurier qu’un poissonnier, ne laisse pas de me surprendre chaque fois.
Je n’aime pas les libertarians ni leurs excès, mais je dois dire que certains aspects de cette philosophie, qui veut que le citoyen soit capable de s’occuper de lui-même sans que l’État le materne constamment, me plaisent plutôt. Par exemple, hier, nous sommes allés nous baigner dans un étang assez fréquenté par les locaux. L’endroit est délicieux, bordé de roseaux, orné de grandes îles de nénuphars, et l’eau y est plus douce que la plus douce des eaux de rose. Mais surtout, aucune enfilade de bouées gardée par un pseudo-sauveteur tout imbu de sa jeune autorité ne vient limiter l’aire de baignade. Tu sais nager? Vas-y. Tu ne sais pas? Arrange-toi pour ne pas perdre pied. Tu as des enfants? Occupe-t’en.
La propriété privée est une véritable religion, et accéder au bord de mer dans cette île assez petite demeure une croisade, car la plupart des chemins qui y conduisent sont marqués Private. Mais la vie communautaire est d’une richesse inouïe: associations de protection de l’environnement, sociétés historiques, chambres de commerce, soupers communautaires, renseignements touristiques, tout fonctionne grâce au bénévolat. Ça m’épate toujours.
Justement, hier, nous sommes allés faire une balade d’observation d’oiseaux en bord de mer avec une société d’ornithologie animée par des bénévoles. Nous y avons observé les habituels hérons, bécassins, sternes, chevaliers, guillemots, pluviers et autres cormorans, avec en prime un pygargue et un couple de balbuzards. Rien de très exotique, mais c’est toujours beau à voir. Et comme toujours, la faune des birdwatchers était presque plus intéressante que le sujet même de nos observations!
Je vous mettrai des photos demain. Là, la pile de mon ordi est en train de mourir.

Demain la mer

https://i0.wp.com/commondatastorage.googleapis.com/static.panoramio.com/photos/original/1690857.jpg Bon, ce n’est ni très loin ni très exotique, même pas vraiment dépaysant. Encore que…

Même le Maine, que tout le monde semble si bien connaître, recèle des coins secrets, fréquentés par les locaux seulement, et on peut là comme ailleurs se sentir en voyage. C’est-à-dire fréquenter d’autres lieux, d’autres gens, qui nous apporteront quelque chose de nouveau.

J’ai trouvé cet endroit il y a des années, au cours de vacances au New Hampshire pendant lesquelles j’avais, avec mon habituel sens de l’à-propos, emporté à lire L’Hôtel New Hampshire, de John Irving, un de mes auteurs fétiches.

Il situait le premier hôtel du nom quelque part à l’embouchure de la rivière Kennebec, bizarrement dans le Maine. Pas pu m’empêcher de regarder où ça se trouvait sur la carte. Tiens, ai-je dit à Yves, le père de mon fils et toujours mon meilleur ami, allons donc voir ce qu’il y a là. Nous nous y sommes rendus dare-dare sur notre Honda Nighthawk 450 (chose que je ne referai plus jamais de ma vie, juré-craché, c’est trop dangereux).

La rivière Kennebec se jette bien dans l’Atlantique, mais elle fait mille caprices, se divise en bras infinis où l’on se perd sans cesse entre terre et mer, pointes et baies, îles et marais… Nous avons abouti à Popham Beach, l’un des plus beaux endroits qu’il nous ait été donné de voir. Là, aucun hôtel digne de ce nom, à peine un guest house de cinq ou six chambres (parfait pour nous), un casse-croûte où l’on servait le meilleur shortcake à la rhubarbe au monde, et un camping tenu par un franco-américain qui n’avait plus de franco que le nom mais qui était très fier de nous accueillir comme ses presque-cousins.

Nous sommes tombés amoureux de la région, de ses gens simples, de sa beauté sauvage, de sa reposante modestie. Ici, pas de factory outlets, de boardwalks, de manèges, de salt water taffy… Les gens vivent et travaillent à Bath, au chantier maritime ou ailleurs, ont peut-être une roulotte installée à demeure quelque part dans un camping bon marché, se connaissent entre eux et vous reconnaissent comme étranger, vous accueillent et vous adoptent sans façon, comme les Américains savent faire, ce que nous, Québécois malades d’antiaméricanisme, avons trop tendance à oublier.

Nous y sommes retournés plusieurs fois par la suite, toujours en camping, et en sommes toujours revenus enchantés.

J’y vais demain avec mon Pierre, après un week-end exploratoire en juillet où nous avons rencontré un couple de Franco-Américains avec qui nous avons rigolé comme des bossus. C’est fou, mais j’ai presque aussi hâte de revoir Gerry et Pauline que de revoir la mer, de ramasser des palourdes et de me geler dans les vagues.

Photos à venir…