Jeudi soir sur la plage de Cotonou

C’est une plage, mais c’est presque un désert: de la rue à la mer, il y a bien un demi-kilomètre de sable jaune et nu. La mer s’y jette avec fureur et emporte régulièrement avec elle un baigneur trop téméraire.

Le côté rue est bordé de bouibouis où l’on peut manger ou prendre une bière sous une paillote, assis à des tables de plastique blanc que la serveuse essuie nonchalamment avant de prendre les commandes. Elle vous apporte ensuite les bouteilles de bière (je renoue avec les «quilles» de ma jeunesse!) qu’elle décapsule devant vous, et pose aussi sur la table des gobelets de métal pourvus d’un couvercle, semblables aux petites théières de nos restaurants. J’ai trouvé cela étrange jusqu’à ce que les mouches commencent à nous tourmenter. Hop, tu remets la capsule sur le goulot de ta bouteille, et tu poses le couvercle sur ton gobelet. Fini les mouches! (Pas vrai, pas fini, mais au moins ne peuvent-elles plus poser leurs sales pattes là où l’on doit poser les lèvres.)

De la musique (percussions surtout) nous parvient de l’autre côté de la rue; une odeur de feu de bois et de cuisson flotte dans l’air lourd que rafraîchit un peu le vent du large.

Des enfants jouent dans les balançoires, un bébé tout nu pleure avec constance près de sa mère, qui le console placidement.

À la table voisine, des femmes en boubou coloré parlent au cellulaire.

Deux ou trois chiennes errantes, langue et mamelles pendantes, traînent de notre côté, attirées par l’odeur des brochettes de mouton que nous avons achetées plus tôt d’un marchand touareg. Vers la mer, il y a un match de foot sérieux, les joueurs en vrai uniforme, les spectateurs en délire debout de chaque côté du terrain.

Un prêtre pentecôtiste en soutane blanche marche vers les toilettes publiques, s’arrête juste à côté, trousse tranquillement sa soutane pour pisser dehors pendant que ma collègue Cécilia le fusille du regard (bien en vain).

Un petit garçon va de table en table, un grand bol de plastique bleu sous le bras. Il vend des oeufs durs. Dans le bol, avec les oeufs, il y a aussi un petit pot de piment en poudre, du sel, des serviettes de papier. Il s’approche de notre table, muet, ses grands yeux sombres et purs comme un lac de montagne.

Je lui demande son nom, son âge. Il a 8 ans.
– Tu vas à l’école?
– Oui.
– Ça te plaît?
– Oui. (Ces «oui» ont toujours un ton un peu interrogatif, comme quand on n’est pas certain de donner la bonne réponse.)
– Et pour qui travailles-tu, mon petit?
– Pour maman.
– Ah, bien! Et où est-elle, ta maman?
– Là, derrière. (Il fait un signe de la tête, vers un point quelconque, par-dessus son épaule. Je ne vois que la foule des badauds indifférents. J’espère qu’il dit vrai.)
– Et tu as vendu beaucoup d’oeufs, aujourd’hui?
– Oui. (Rien n’est moins sûr.)
– Tu es bien courageux, tu sais.
– Merci.
– Allez, je te laisse travailler.

Plus tard, alors que la nuit tombait, il est revenu vers moi: «Donne-moi 100 francs pour acheter du pain.»

Comment refuser? Et comment donner 100 francs à tous ceux qui le demandent?

Nous sommes rentrées à pied doucement, Cécilia et moi, dans le bruit des motos et les vapeurs d’échappement, en contournant les flaques laissées dans les rues de sable par les pluies de la veille.

***
Plus trivialement, une fois rentrée chez moi, en usant du fil dentaire avec peut-être un peu trop d’enthousiasme, je me suis descellé une couronne (il me semble que ça m’arrive constamment). Il a donc fallu, ce matin, que je trouve in extremis un dentiste à Cotonou susceptible de réparer la chose le jour même.
J’ai trouvé, ça m’a coûté 20 000 francs CFA, soit environ 40$. OK, j’ai eu l’impression qu’il me collait ça avec de l’epoxy et que j’aurais pu faire la même chose avec un peu d’audace, mais j’exagère sans doute. En tout cas, j’espère que ça tiendra: on reçoit ce week-end tous les représentants outremer d’Oxfam. Me voyez-vous, moi la nouvelle conseillère en communications, faire des risettes avec une incisive en moins à toutes ces personnes venues des quatre coins du monde? Hé. J’ai ma fierté.

4 réflexions sur “Jeudi soir sur la plage de Cotonou

  1. Décidément il n’y a qu’à toi que cela arrive! Quand ce n’est pas l’accident de vélo , les infections , les oreilles , la machine à laver qui brise , la couronne qui saute , quoi d’autres ????? Je te souhaite une année plus tranquille au Bénin car la dernière n’a pas été de tout repos . Sur ce , juste pour te dire que j’adore tes chroniques , on a l’impression d’y être ou presque . De grâce , fais attention à toi ❤

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  2. Attention aux oeufs mme dans leur coquille intacte et mme durs ils risquent d’tre contamins.Certains cas rapports provenaient du midi de la France!Alors l’Afrique… Davy

    Le 21/06/2013, L’aventure, c’est

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