Rapatriement

Naturellement, c’est la première chose qui vient à l’esprit de tous: Il faut te rapatrier!

Mais ce n’est pas aussi simple. Dans un cas comme celui-là, c’est l’assureur (en l’occurrence la SSQ) qui va décider, au vu de l’information que lui fait parvenir mon médecin péruvien, s’il est préférable de me laisser à ses bons soins, de me transférer à Lima ou carrément de me ramener au Québec.

Je ne peux pas décider comme ça de paqueter mon baluchon et de rentrer tout bonnement chez moi (et je ne suis d’ailleurs absolument pas en état de le faire). Il me faudra un accompagnement médical du départ à l’arrivée, avec une prise en charge assurée une fois au Québec. L’équipe médicale de la SSQ va examiner mon cas demain et me faire part de sa décision.

Je suis partagée entre l’ardent désir de me retrouver en terrain connu et celui de terminer ce mandat que je commençais enfin à m’approprier.

Bien sûr, une fois que je serai sur pied, si je décide de rentrer au Québec, on ne me retiendra pas de force. On sait vivre, quand même. J’ignore combien de semaines de convalescence m’attendront au terme de cette aventure hospitalière, peut-être que ça ne vaudra pas la peine de rester, peut-être que je serai si lasse que j’aurai juste envie de me poser quelque part en lieu sûr et de ne plus bouger.

On verra bien. En attendant, je vous en prie, cessez d’évoquer cela comme quelque chose de simple, ça ne l’est pas. On va faire pour le mieux.

J’ai décidé de faire confiance à mon médecin et à l’équipe soignante. Je n’ai pas vraiment le choix, mais justement: ça ne sert à rien de se battre puisque je n’ai pas le choix. Je vous rappelle que je suis atteinte d’un virus au demeurant assez courant (beaucoup de personnes en sont porteuses sans le savoir). La forte fièvre qui l’accompagne est certes très incommodante, j’ai l’impression d’avoir la tête remplie de coton, je frôle parfois le délire, mais c’est juste de la fièvre. Pas la première fois que ça m’arrive. Il faut attendre que ça passe et essayer de soulager les inconforts, ce qu’on fait très bien ici.

Quand j’étais petite, ma mère ne me bourrait pas de Tylenol, elle me frictionnait à l’alcool et me bassinait les tempes et le front à l’eau tiède, et je ne suis pas morte.

La pneumonie me préoccupe un peu plus parce que le scan révèle des lésions interstitielles apparentées à un début de fibrose pulmonaire, la maladie qui a eu raison de mon père et de bon nombre de ses frères et soeurs.

Mais encore là, tous ces gens ont joyeusement fumé comme des pompiers pendant des années, ce qui n’est pas mon cas, et le médecin dit que c’est vraiment accessoire dans le portrait. Bref, y a pas le feu, on pourra voir ça au retour. On va essayer de traiter la pneumonie pour commencer. Dans mon délire, ne me demandez pas pourquoi, je la vois toujours comme une grande tranche de pizza avec plein de petits trous remplis de fromage fondu.

Je n’ai pas une pneumonie, j’ai une pizza.

Santé mentale

J’ai reçu un courriel de l’ambassade du Canada, l’autre jour, qui invitait les coopérants à un coctel de agradecimiento le lundi 19 mars (l’invitation était trilingue, mais coctel de agradecimiento, je trouve ça plus joli que «cocktail de reconnaissance»). Je n’y ai pas fait attention. Je savais déjà que j’irais à Lima pour un forum vraiment passionnant sur la jeunesse et l’agriculture, qui commence le 22 (et dont je reparlerai sûrement). Mais je n’ai pas songé trois secondes à devancer mon départ pour assister à cette activité mondaine.

En fait, j’y ai songé, et il m’a fallu bien moins de trois secondes pour envoyer ce courriel au panier: je n’aime pas assez Lima pour y passer trois jours de trop, me suis-je dit. Et je me rends compte, à mesure que je vieillis, que les mondanités m’ennuient profondément.

Mais hé. C’était sans compter ma très chère Sarah, cette soie, coordonnatrice du programme de volontariat au Pérou, qui avait bien vu que je filais un mauvais coton depuis un petit moment.

Une soie qui reconnaît un mauvais coton, haha.

OK, s’cusez.

En tout cas, elle est forte, cette fine mouche. Elle a l’âge d’être ma fille, mais de nous deux elle est de loin la plus sage et la plus avisée. Donc, elle a insisté (à sa manière, hein) pour que j’aille à ce fameux cocktail, où elle espérait que je présenterais brièvement à l’aimable assistance le comment et le pourquoi de ma présence au Pérou.

À travers la réverbération, les parasites et tout ce qui a compliqué notre conversation, elle m’a carrément dit, à un moment donné, que ce serait bon pour ma santé mentale.

Ma santé mentale?

Il y a quelques années, cette remarque aurait été complètement déplacée, impensable, irrecevable. Je pense à certains de mes patrons à La Presse ou à la Place des Arts, qui auraient aimé mieux dealer avec un cancer des ovaires ou un mal de dents. Je serais allée voir le gynéco ou le dentiste, merci, bonsoir, on en aurait parlé ou pas, mais ça se serait arrêté là.

Je peux vous dire que les temps changent, doucement. Pour le mieux.

En tout cas, ma Sarah a dit ce qu’il fallait. Le simple fait qu’elle évoque mon moral m’a ranimée. Je me suis sentie tout à coup moins seule. Et elle m’a fait réaliser deux choses: en fin de compte et premièrement, j’ai besoin de sortir de Caraz. Deuxièmement et pour commencer, je ne connais pas Lima tant que ça, on a droit toutes les deux (la ville et moi) à une deuxième impression.

Ça fait que je pars dimanche soir pour Lima par le bus de nuit. Je me suis offert l’équivalent de la première classe, qui coûte la somme folle de 80 soles (soit environ 32$), avec des sièges qui se convertissent en lits, ni plus ni moins.

Je vais passer la semaine là-bas, et voilà que, mis à part ce fameux forum où je retrouverai avec joie tous mes collègues, j’ai repéré un musée du textile tout près de l’ambassade. Si je disparais sans laisser de trace, c’est là qu’il faudra me chercher.

Ensuite je prendrai un autre bus de nuit de Lima à Trujillo, troisième ville en importance au Pérou et, dit-on, l’une des cités coloniales les mieux préservées du pays. Et je passerai la semaine à Huanchaco, tout près de Trujillo, d’où je pourrai visiter plein de lieux magnifiques et pleins d’histoire(s).

Ça fait que tout va bien, finalement.

Merci, Sarah.

Nouveau chapitre

L’automne est bien installé. Mon frêne a laissé s’envoler toutes ses feuilles d’or sous un vent anormalement chaud. Le tilleul commence à blondir, et le saule pleureur, valeureux guerrier, gardera sa chevelure verte jusqu’au dernier moment. Le mois de novembre, affreux, brun, triste et mouillé, prépare son entrée. D’habitude, mon âme prend les mêmes teintes, que rien ne peut diluer, pas même (ou surtout pas) quelques verres de vin.

Mais le Pérou m’attend. J’y serai pour huit mois, peut-êre plus, à compter de janvier — à moins que je ne décide de partir dès la mi-décembre pour y passer Noël. Ça doit être chouette, Noël au Pérou. Et ce sera sans doute plus gai que si je passais les Fêtes ici, moi la cheffe de tous les Grincheux.

Ça fait que je serai basée à Caraz, une petite ville de 22.000 habitants perchée dans la Cordillera Blanca, à 2500 m d’altitude. Allez googler ça, vous verrez les paysages…

C’est une région habitée par une importante communauté quechua, où les gens vivent principalement de l’agriculture. Je travaillerai comme conseillère en communication avec Allpa, un organisme qui soutient l’amélioration de leurs méthodes de production et de commercialisation.

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Photo tirée de Hostelroomsearch.net

En attendant, je pars mercredi en train pour Halifax à l’invitation de VIA Rail. Comme La Presse ne veut plus accepter d’invitations mais affirme du même souffle n’avoir plus de budget pour payer les voyages, le papier que j’en tirerai (et qui sera publié ailleurs) ne paiera même pas le tiers de ce que me coûteront mes trois jours à Halifax. Mais je m’en fiche. J’aime tellement les voyages en train… Et puis je rêve de Halifax depuis que j’ai vu L’Histoire d’Adèle H., ce presque vieux (1975) film de Truffeault dans lequel Adjani, dans la peau de la seconde fille de Victor Hugo, poursuit un amant illusoire qui s’est fait muter là-bas justement pour la fuir.

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J’espère ne pas y perdre la raison comme cette pauvre Adèle. Comme elle, j’errerai sur les quais, larmoyante et morveuse — mais ce sera en raison d’une rhinite aussi chronique que persistante. J’espère aussi qu’il fera un peu beau, sinon je serai condamnée à écluser des pintes de bière à la légendaire brasserie Alexander Keith en chantant Alouette, gentille alouette avec d’improbables compagnons.

Que le dieu du beau temps soit avec moi.