Un week-end au village

Chauds, les piments!

Chauds, les piments!

J’avais raconté ici que mon collègue Julien nous avait invités aux funérailles de sa maman, dans son village, à trois bonnes heures de route de Cotonou. Nous y sommes allés. Comme d’habitude, la fête dépassait un peu l’entendement…
Là, nous avons fait la connaissance de Maoli, enfant placée privée de tout, belle comme un coeur, fine comme une mouche, qui nous a fait visiter le village et qui parlait juste assez français pour me demander de l’emmener dans ma maison.
Le coeur brisé, je n’ai pu que lui donner 2000 francs pour qu’elle s’achète des sandales, elle qui allait pieds nus dans la terre rouge. Oh, que je l’aurais emmenée!
Puis il y avait Laurent, aux yeux si beaux, qui se désolait d’avoir été chassé de l’école parce qu’il n’avait pas de quoi payer les photocopies et les cahiers d’exercice: 1500 malheureux francs. Que vouliez-vous que nous fassions?
C’est l’Afrique, avec ses beautés fabuleuses et ses petits drames ordinaires.

Julien

Julien est l’un des deux chauffeurs d’Oxfam. Il est d’une courtoisie et d’une gentillesse toutes béninoises, d’une patience et d’un calme absolument inébranlables.

L’autre jour, je ne sais plus où nous allions, mais j’étais en retard, je m’étais dépêchée et, comme d’habitude, je suais comme une invention. Comme d’habitude, j’ai dit que je voulais mourir (c’est mon petit côté Phèdre, que voulez-vous).

«Madame! s’exclame Julien. Ne dites pas ça! Si vous mourez, je serai trop triste!
– Mais non, voyons, ce serait chouette de mourir ici, mes funérailles au moins seraient joyeuses, pas comme chez nous, où c’est sinistre et où tout le monde pleure!
– Ah, mais moi j’ai perdu ma maman et je pleure encore…
– Oh, pardon… Quand l’as-tu perdue?
– Il y a un mois.»

Silence. Puis: «Quel âge avait-elle?
– 98 ans.»

Autre silence. Souvent, ici, on appelle «maman» toute femme un peu plus vieille que soi, ou toute femme qui nous a élevé, qu’elle soit grande soeur, tante, voisine ou grand-mère.

Ici, je penche pour la grand-mère mais, comme dans le cas de tous les Béninois que j’ai rencontrés jusqu’à maintenant, je suis incapable de deviner l’âge de Julien: il peut avoir entre 25 et 40 ans, il pourrait même avoir mon âge. Soyons diplomate.

«Ah? Alors elle a eu une belle et longue vie…
– Oui, oui, tout à fait.
– Mais si elle avait 98 ans, quel âge as-tu donc?
– J’ai 40 ans. Je suis le plus jeune de ses enfants, c’est pour ça que je l’aimais tant.»

Nouveau silence. Je suis nulle en calcul, mais 98 moins 40, ça fait toujours 58.

Bon, j’ai déduit depuis un moment que la notion d’âge, ici, est toute relative – en fait, généralement, bien des gens ne comprennent même pas la question quand on leur demande leur âge tellement la chose paraît superfétatoire. Mais Julien a de l’instruction, ça s’entend parce qu’il parle un excellent français, et il me voit très bien, du coin de l’oeil, faire le calcul dans ma tête. Il ajoute donc: «Elle s’est mariée tard…»

Je veux bien, mais une grossesse à 58 ans?

«Elle a donc été comme Sarah, la femme d’Abraham? (Je montre ici ma connaissance de la Bible, moi la mécréante, et vous saurez désormais que c’est toujours utile.)
– Voiiiiiilà! (Julien dit «voiiiiiilà» chaque fois qu’il approuve ce qu’on dit, c’est comme ça au Bénin.)
– Combien d’enfants êtes-vous?
– Neuf.»

Avant-hier, Pierre et moi sommes allés manger avec Julien, et c’est là que nous avons appris que son papa, en fait, avait eu quatre femmes (la première étant la maman de Julien). En tout, il leur a fait quelque chose comme 40 enfants, et tout ce beau monde vit dans le même carré, c’est-à-dire dans plusieurs habitations construites sur la même parcelle de terrain (ce qui est quand même assez rare puisque la plupart des hommes polygames ne font pas cohabiter leurs femmes).

Bref, nous sommes encore invités à des funérailles, celles de la maman de Julien, quelque part dans le bout de Lokossa, le 23 novembre. Tout le monde sera là – les épouses, les enfants, leurs enfants, les amis, les amis des amis, les cousins, oncles, tantes, neveux, nièces, voisins. Comment refuser?

Funérailles et autres adieux

Mes amis Facebook trouveront que je me répète, mais je le fais ici au bénéfice de ceux qui résistent encore à ce parvis d’église des temps modernes.

Vendredi dernier, vers 22h, une musique à réveiller un mort s’est mise à résonner derrière chez nous. Ça a duré toute la nuit, tout le jour suivant, et encore la nuit d’après, avec une sono digne du stade olympique. Trente-six heures de musique ininterrompue. En fait, ça n’était pas tellement pour réveiller un mort que pour lui dire adieu. Ici, on ne rigole pas avec les funérailles… mais on n’y pleure pas non plus!

En effet, plus le défunt était riche et important, plus on dépense pour lui rendre hommage. Tellement qu’il arrive qu’on ne célèbre ses obsèques que plusieurs semaines après son trépas, le temps d’amasser la fortune nécessaire pour épater famille, voisins et amis (ainsi que plusieurs inévitables resquilleurs). On installe des bâches en pleine rue (fermée pour l’occasion), on loue des chaises et une sono, on embauche un traiteur et un DJ, et on se fait faire un costume neuf. Tout le monde se fait faire un costume neuf. Dans le même tissu. Comme ceci:
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C’est d’ailleurs l’une des façons de financer les agapes: la famille achète en gros des kilomètres de tissu, qu’elle revend aux participants en coupons de 6 mètres (la quantité nécessaire pour faire un pagne, un haut et un foulard).

Nous avons été invités à des funérailles, demain à Porto-Novo. Nous nous sommes donc fait faire, MonChéri et moi, des habits dans le tissu choisi pour la circonstance. Une robe pour moi, une chemise pour Pierre, en vert lime à motifs psychédéliques orange et bleu électrique. Ça fait saigner des yeux (oui, oui, je mettrai des photos.)

On sait donc y faire, question adieux, dans ce doux pays. La preuve: voyez comment les femmes du village de Kessounou, où nous étions en mission mardi, nous ont dit au revoir. Ça donne envie d’y retourner, non? Je me demande si les funérailles donnent aux morts envie de revenir… Ça expliquerait toutes ces histoires de vaudou!