Le début de la fin

Ça fait qu’on m’expédie à Lima demain par avion-ambulance, parce que ce petit hôpital de Huaraz n’arrive décidément pas à stabiliser ma condition. J’ai besoin de sans cesse plus d’oxygène, et, malgré tout, mon taux de saturation ne dépasse pas les 85%. On commencera donc par me ramener au niveau de la mer pour m’aider à récupérer mes fonctions respiratoires. Puis quand je serai assez forte pour voyager, on me rapatriera, avec une escorte médicale.

Voilà, c’est ainsi que se terminent les aventures de Tatie Fabi au Pérou, que je voyais tout autrement, cela va de soi. Je laisserai beaucoup de choses en plan, ici. Tant de choses! Je commençais à peine à prendre mes marques, à me sentir à ma place, utile, avec un but, des réalisations claires… Et puis je me suis attachée à mes collègues, je les aime tous autant qu’ils sont, et voilà que je les quitte sans même pouvoir leur dire adieu. Mais on ne choisit pas toujours ce qui nous arrive.

C’est une expérience de vie, disons, dont je pourrai tracer les contours petit à petit, une fois que les choses auront cessé de bouger dans tous les sens. Deux semaines de fièvre, de médicaments débilitants, d’inquiétude et d’insécurité, ça vous désorganise un cerveau. En ce moment, j’ai l’impression de me trouver dans un kaléidoscope que quelqu’un agite furieusement. Si je le pogne, celui-là, il va apprendre à s’asseoir, je vous en passe un papier.

Je suis en train de concevoir une sainte horreur pour le turquoise (couleur de l’uniforme des infirmières), la soupe au poulet, les solutés (qu’on me pose toujours tellement n’importe comment, je pense qu’ils préparent une anthologie de ce qu’il ne faut pas faire et qu’ils ont trouvé la victime idéale, avec pas de veines et trop faible pour se défendre), les fanfares (il y a toujours une criss de fanfare quelque part), le riz blanc, bref, il est temps que je sorte d’ici, ma santé mentale en dépend.

Mais pour l’heure, j’espère surtout sortir de tout cela sans séquelles permanentes pour ma santé physique. Le médecin m’a dit aujourd’hui que les lésions interstitielles dans mes poumons avaient augmenté. J’ai peur. Si ça manque d’air trop longtemps, ces petits trous-là, est-ce que ça sèche pour toujours?

Mais n’anticipons pas. Ou anticipons, mais sur les bonnes choses.

Prendre le café au lait sur mon balcon et regarder pousser les fleurs.

Aller voir mon ami Yves et me baigner dans la rivière.

Boire un verre de rosé avec Maude.

Lire.

Aller à pied au cinéma.

De petites choses. Qui ne sont pas le Pérou.

Au pire, ç’aura été un rendez-vous manqué.

Funérailles et autres adieux

Mes amis Facebook trouveront que je me répète, mais je le fais ici au bénéfice de ceux qui résistent encore à ce parvis d’église des temps modernes.

Vendredi dernier, vers 22h, une musique à réveiller un mort s’est mise à résonner derrière chez nous. Ça a duré toute la nuit, tout le jour suivant, et encore la nuit d’après, avec une sono digne du stade olympique. Trente-six heures de musique ininterrompue. En fait, ça n’était pas tellement pour réveiller un mort que pour lui dire adieu. Ici, on ne rigole pas avec les funérailles… mais on n’y pleure pas non plus!

En effet, plus le défunt était riche et important, plus on dépense pour lui rendre hommage. Tellement qu’il arrive qu’on ne célèbre ses obsèques que plusieurs semaines après son trépas, le temps d’amasser la fortune nécessaire pour épater famille, voisins et amis (ainsi que plusieurs inévitables resquilleurs). On installe des bâches en pleine rue (fermée pour l’occasion), on loue des chaises et une sono, on embauche un traiteur et un DJ, et on se fait faire un costume neuf. Tout le monde se fait faire un costume neuf. Dans le même tissu. Comme ceci:
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C’est d’ailleurs l’une des façons de financer les agapes: la famille achète en gros des kilomètres de tissu, qu’elle revend aux participants en coupons de 6 mètres (la quantité nécessaire pour faire un pagne, un haut et un foulard).

Nous avons été invités à des funérailles, demain à Porto-Novo. Nous nous sommes donc fait faire, MonChéri et moi, des habits dans le tissu choisi pour la circonstance. Une robe pour moi, une chemise pour Pierre, en vert lime à motifs psychédéliques orange et bleu électrique. Ça fait saigner des yeux (oui, oui, je mettrai des photos.)

On sait donc y faire, question adieux, dans ce doux pays. La preuve: voyez comment les femmes du village de Kessounou, où nous étions en mission mardi, nous ont dit au revoir. Ça donne envie d’y retourner, non? Je me demande si les funérailles donnent aux morts envie de revenir… Ça expliquerait toutes ces histoires de vaudou!

Je déteste les adieux

Mes aventures paillonnaises se sont terminées hier dans un grand couac: j’espérais pouvoir dire au revoir à mes amis avant de les quitter, mais rien ne s’est passé comme je l’aurais voulu.

Grégory et moi sommes sortis vers 21h pour aller dans une sorte de salle de réception qui fait aussi bar, «La Caresse paillonnaise» (ça ne s’invente pas). Notre ami Soliny y avait organisé en après-midi un «concert évangélique» (c’est très couru, ici: c’est du konpa à la gloire de l’Éternel, les bras en l’air pis toute, il y en a tous les soirs à la télé).

Quand nous sommes arrivés, évidemment, le concert était terminé. Je n’ai d’ailleurs pas réussi à savoir s’il y en avait vraiment eu un – il était annoncé pour 15h, mais quand nous étions passés à 16h, il n’y avait qu’une poignée de joueurs de dominos dans un coin et pas l’ombre d’un musicien, fût-il aussi païen que moi.

Toujours est-il que nous sommes arrivés là vers 21h. Il faisait noir comme dans un four et la musique était si forte qu’on ne s’entendait même pas penser. L’endroit était désert, mis à part trois jeunes femmes assises à une table, chacune absorbée par l’écran de son téléphone, à qui Grégory m’a vaguement présentée avant de sortir fumer. Fume pis fume, au bout d’un moment, ma bière était finie, il n’était toujours pas revenu, et les filles n’avaient pas levé le nez de leur téléphone.
Je ne me suis jamais sentie aussi seule de ma vie.
Bon, j’exagère un peu, mais pas tant que ça.
J’ai donc fini par sortir voir ce que foutait Grégory. Il m’a dit qu’il était en train de texter des amis de la radio pour voir s’ils ne viendraient pas nous rejoindre.
Euh… pardon? À 22h? Mais les gens se mettent au lit, à cette heure-là!
Je l’avoue, j’étais amèrement déçue. J’ai suggéré que nous descendions à un autre bar, un peu plus loin, où il y avait plein de monde le dimanche soir de mon arrivée. Par paresse ou par entêtement, Greg n’a pas voulu. J’ai exigé qu’il me donne les clés de la maison et je suis rentrée seule dans la nuit noire, en beau pétard… et en pleurant comme un bébé. Je n’ai même pas réussi à arrêter le déluge avant de rentrer, j’ai été obligée de dire à Adèle ce que j’avais à kriye comme ça.
Que voulez-vous. On a ses faiblesses.
Ce matin, nous avons pris une moto pour descendre à Miragoâne. Nous avons fait un arrêt à la radio, et mon ami Wilbens est arrivé comme le Messie en personne, à ceci près que je ne l’attendais pas pantoute. J’ai donc au moins pu lui dire au revoir, non sans que les chutes du Niagara se déclenchent encore une fois.
J’ai chiâlé comme ça jusqu’à mi-chemin de Miragoâne. Rien que pour vous dire, je vous raconte ça et je pleure encore.
Je pense que je suis fatiguée.
Mais bon. Me voici donc de nouveau à Port-au-Prince, dans une maison où il y a de l’électricité, le wifi, de l’eau courante et, tenez-vous bien, une salle de bains pour moi toute seuleavec une vraie DOUCHE.

Merci, CouchSurfing (et bien sûr, merci Natacha, mon hôtesse, que je n’ai pas encore rencontrée parce qu’elle a été retenue par des inondations sur la route de Jérémie).
Mais ce bonheur sera de courte durée: je devrai vraisemblablement prendre le bateau pour Jérémie, vu qu’il n’y a plus de liaison aérienne et que la route, ben, c’est comme je viens de le dire. 
Le voyage en bateau se fait de nuit et dure une quinzaine d’heures. Le pont est nécessairement bondé, mais on peut prendre une cabine: quatre ou cinq couchettes, un seau hygiénique commun, et vogue la galère.
Mica, la dame qui me recevra aux Abricots, dit qu’elle le prend régulièrement et que ça se fait très bien. Si elle peut le faire à 76 ans, je le peux aussi.
Je suis bien contente d’avoir pensé à prendre mon petit sac de couchage en soie. On est princesse ou on ne l’est pas.