Feliz Año Nuevo!

Je mets des majuscules dans mon titre parce que, ici, on aime les majuscules.

Et pourquoi pas?

J’ai fini par me faire adopter non pas par une famille de Chimbote (qui n’avait du reste jamais entendu parler de moi), mais bien par la propriétaire de mon appartement, Chela, laquelle vit à Lima. Je vous passe les détails, mais bon, je me suis retrouvée avec elle au club social de Caraz, vêtue aussi chic que je pouvais (c’est-à-dire pas très, mais c’était absolument pas grave).

Le billet d’entrée coûtait 60 soles (24$) et comprenait brindis (toast de pisco sour), repas, mousseux, cotillónes (sifflets, ballons, crécelles), orchestre, en tout cas, un paquet de trucs, le tout dans une salle beaucoup trop grande, éclairée au néon, où j’ai cru que je ne me réchaufferais jamais.

Nous, les Québécois, on se trouve bien braves de vivre dans des 20 degrés en-dessous de zéro. Hahaha! Ici, pas de chauffage dans les maisons. S’il fait 10 degrés la nuit, tu t’arranges avec des vêtements et des couvertures. Prendre sa douche, dans ces circonstances, demande une certaine préparation psychologique parce que, même si tu peux espérer de l’eau chaude, tu sais que tu vas quand même grelotter dès qu’un bout de beau échappera au jet (et jusqu’à ce que tu te sois rhabillé).

J’dis ça, j’dis rien. En tout cas.

Donc, dans cette salle immense ouverte à tous les vents, nous sommes arrivées, Chela et moi, à l’heure de l’ouverture des portes, à 20h. Rien n’était commencé, il n’y avait presque personne, les tables n’étaient pas mises, quelques jeunes femmes posaient des bouquets de fleurs jaunes un peu au hasard, puis des serviettes, des couverts… Au fur et à mesure, quand des gens arrivaient, Chela me présentait comme una amiga. Ici, tout le monde se fait une bise sur la joue droite, alors j’ai embrassé une incroyable quantité de joues droites en disant buenas noches, qué tal, mucho gusto, gracias. Quand le repas est enfin arrivé, il était bien passé 22h, je mourais de faim et de froid. Heureusement, c’était sorprendientemente très bon. Dinde, riz, pommes de terre, légumes. Avec bien sûr un petit plat de sauce muy picante qui a disparu le temps de le dire. Même moi, j’en ai manqué.

Chela a été adorable de gentillesse. Je l’avais prévenue que je ne danserais pas (j’ai ma fierté), mais, à un moment donné, ç’a été plus fort que moi (j’aime quand même ça) et j’ai fini par céder. Au bout de cinq minutes, à bout de souffle, je me suis dit que je vieillissais décidément plus vite que je ne croyais et je me suis maudite de haïr l’exercice… jusqu’à ce que je réalise que ce n’était pas ma faute, mais celle de l’altitude. Fiou!

Chela a expliqué ça à notre tablée, où j’ai été reçue comme une soeur, une cousine, une amie, et où le vin, les voeux et les sourires ont circulé comme le sang dans le coeur. À minuit moins quelque, comme il se doit, le compte à rebours a commencé. Les néons se sont éteints, chacun s’est emparé de sa crécelle et de son sifflet pour accueillir en fanfare le Nouvel An. La tradition veut aussi que l’on mange 12 raisins verts, un pour chaque mois de l’année qui vient, en faisant un vœu à chacun. Joli, non?

Après, j’ai observé sans me lasser ces femmes vêtues de robes hyper moulantes, souvent des modèles de Botero, en talons vertigineux, qui dansaient d’un air un peu absent, l’ai de ne pas y penser… Mon Dieu, combien de fois me serais-je rétamée sur le terrazzo, chaussée comme ça?

Un réveillon en robe d’été?

J’étais bien tranquille dans l’inconfort absolu de mon sofa neuf, en train de lire sur mon Kindle un roman de Mario Vargas Llosa (en espagnol, oui, je suis assez fière), quand j’ai entendu mon proprio m’appeler d’en bas: «Fabiana? Fabiana?» (C’est mon nom, ici, j’aime assez ça.)

Il m’invitait à faire la connaissance de sa maman, qui est ici pour les Fêtes. Je suis descendue, on a placoté un buen ratito. Celia (la maman) est adorable, fine comme de la soie. Les deux, en fait. J’ai bien sûr cherché mes mots, trébuché dans mes conjugaisons, probablement inventé des vocables et des consonnes et des temps de verbes, mais on a quand même réussi à avoir une conversation. Surtout, Celia parle avec une telle clarté, j’ai compris sans effort TOUT ce qu’elle me disait, un vrai miracle.

D’une chose à l’autre, il se trouve qu’ils vont demain à un réveillon dans un club social de Caraz. Et ils ont eu la gentillesse de m’inviter. Hein? Qu’est-ce que vous dites de ça?

Bien sûr, j’ai dit oui.

Remarquez, je ne suis pas au bout de mes peines, parce que hé! Comment je m’habille, là? Est-ce que mon éternelle robe d’été préférée va faire la job? Avec pas de talons hauts? Quand on sait comment les femmes s’habillent et se maquillent et se coiffent ici, heu… Bon, pas grave, je suis canadiense, je suppose que ça me donne un peu le droit d’avoir l’air d’une bûcheronne. Pis je pense que j’ai apporté mon collier de perles, ça devrait compenser pour les sandales à talon plat.

Ça fait que, à 20h demain soir, la pauvre orpheline seule et abandonnée d’avant-hier, dépourvue de marraine-fée qui lui procurerait une tenue digne de la soirée, va quand même faire son entrée dans la bonne société de Caraz.

C’est drôle, la vie.

Je vous souhaiterai bonne année demain.

Parlons chiffon

La vie quotidienne étant ce qu’elle est (moto-boulot-dodo), j’ai de moins en moins de choses à raconter.

Non, en fait, c’est aussi que, le soir venu, je suis généralement exténuée. Peu importe à quoi j’ai occupé ma journée – lézarder sur la plage, me faire secouer en Jeep dans des chemins à la limite du praticable, parcourir des champs de manioc avec des agriculteurs ou me creuser le cerveau pour en extraire quelque chose d’intelligent à écrire –, je rentre à la maison à moitié morte.

Après trois mois ici, je ne manque pourtant pas de sujets d’émerveillement. Prenez les habits traditionnels, par exemple. Je passe tous les matins et tous les soirs par le même chemin. Une fois qu’on s’est habitué aux cahots, aux mares de boue, à la folie des carrefours, aux foules, au bruit, aux odeurs d’échappement et à la poussière, il reste à observer les costumes des gens.

Je ne m’en lasse pas. Jusqu’ici, j’ai peut-être vu trois ou quatre fois les mêmes imprimés, mais jamais dans les mêmes couleurs. Et c’est à se demander ce que fument ceux qui inventent ces motifs.

Il y a de grands classiques, comme celui de la poule avec oeufs et poussins, hommage à la famille. Les fleuris, toujours jolis. J’en ai un dont le nom en mina, makaiva, signifie «Qui est là?». C’est ce que m’a dit Pélagie, qui a le même en vert et mauve. Le mien est bleu; je me suis fait faire dedans une robe au look vintage qui a gagné l’approbation de Pélagie.

Il y a aussi les motifs plus traditionnels, inspirés des batiks javanais, dans des teintes indigo et sang-de-boeuf. Les abstraits à motifs géométriques, dont les couleurs ont été choisies, dirait-on, par un daltonien en phase terminale. Ainsi en est-il de notre premier costume de funérailles, mais aussi du second (car oui, nous avons de nouveau assisté à des funérailles, une fête grandiose où ont dû se côtoyer, au plus fort de la mêlée, un bon millier de personnes). Il est bordeaux et jaune avec des accents lilas, dans un motif bizarre qui ressemble à une bouche. Je me suis fait tailler là-dedans une robe-ballon du plus bel effet. Pierre s’est fait faire une chemise traditionnelle sans col, on dirait une blouse d’hôpital. À ne pas essayer dans un hôpital psychiatrique.

Oui, oui, je mettrai des photos.

J’ai vu des pagnes à motifs de ventilateur de table (!), d’autres semés d’ordinateurs portables et de CD, ou encore imprimés de crevettes toutes antennes dehors, d’ampoules électriques, de radios transistor, de petits chevaux, de portraits du président Yayi Boni (ou Boni Yayi?), d’images de la Vierge ou du Sacré-Coeur. J’ai même vu vendredi, à une cérémonie, des membres du club Lions de Cotonou vêtus d’un costume parsemé de logos de leur organisation.

Il y a des pagnes si jolis que, pour un peu, j’arrêterais sa propriétaire pour lui demander où elle l’a pris. Quand j’entre dans une boutique, je perds l’esprit, je ne sais plus où regarder et, croyez-le ou non, je finis par ne rien acheter.

J’ai encore trois mois pour me reprendre.

Pour en savoir plus sur le pagne africain: 
http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=3116