Au marché du dimanche


Ceux qui me connaissent savent à quel point j’adore les marchés publics.

J’en ai visité des dizaines, dans toutes les villes et tous les villages où j’ai posé le pied, sans jamais me lasser.

Il y a à Bucerías un mercado municipal, mais, d’après ce que j’ai compris, il est tout nouveau et n’a pas encore complètement supplanté celui, plus informel, qui se tient tous les dimanches dans un coin un peu excentré.

Donc je suis allée faire un tour là-bas en matinée, avant qu’il fasse trop chaud.

Évidemment, on y trouve de tout: des produits frais, des vêtements, des ustensiles de cuisine, des jouets, des outils, de l’artisanat, de la nourriture préparée sur place, des casseroles, des pièces d’automobile…

Mais ce qui me fascine toujours dans ces marchés, surtout en Amérique latine et encore plus ici, au Mexique, c’est la gentillesse infinie des gens, et la fierté avec laquelle ils acceptent de se faire photographier par une Gringa qui n’a rien à leur donner en échange que son sourire.

Ce monsieur qui a fièrement pris la pose sous le regard réprobateur de sa fille.

Voici Alen, qui cueille lui-même ses huîtres et qui m’en a offert une à goûter.
Los cuatro compañeros, qui étaient trop beaux dans ce minuscule boui-boui un peu à l’écart du marché.

Je suis rentrée chez moi à moitié morte de chaleur, évidemment. Mais juste à moitié: il y a du progrès! Je commence à croire que je pourrais m’habituer à ça comme je l’avais fait au Bénin et au Niger, ou dans le désert au Maroc.

Je continue cependant de me demander pourquoi j’ai choisi cette destination.

J’ai sûrement quelque chose à apprendre.

C’est probablement ce que va me révéler mon prochain séjour, à Sayulita, dans une auberge réservée aux femmes où il y a beaucoup trop de yoga et de méditation à mon goût mais où j’espère rencontrer quelques sorcières de mon espèce (ou pas).

En attendant, j’espérais faire une excursion aux îles Marieta, un endroit apparemment magique et hyper-protégé où on peut faire de la plongée en apnée. Mais me retrouver sur un catamaran dans un groupe de 100 personnes, avec bar ouvert? Non, merci.

Donc je reste ici, bien tranquille.

Bucerías

Cette photo, c’est ce que je vois de mon balcon.

J’entends caqueter des poules tandis que ces messieurs les coqs font des vocalises en prévision du Grand Réveil de demain matin.

Quelques chiens jappent ici et là.

Une cloche fait entendre son timbre un peu fêlé.

Des ballades sucrées émanent de la maison d’en face.

Ces bruits de vie me remplissent de joie. Je n’aurai pas ce soir à enfoncer des bouchons dans mes oreilles pour échapper au vrombissement constant de la circulation qui sévissait à Puerto Vallarta.

En fait, je regrette surtout de ne pas pouvoir laisser ouvertes porte et fenêtres ce soir pour les entendre tous: il fait une chaleur de four, et dormir sans la clim sera impossible.

Ça cuisait déjà sérieusement quand je suis arrivée, vers midi. Après avoir posé mon petit bagage dans ma chambre et repris une température normale, je me suis aventurée dans les rues incroyablement pentues et bossues de mon quartier pour acheter de l’eau et quelques fruits — deux bananes, une mangue, trois de ces minuscules limettes si juteuses, et aussi un légume que je n’avais jamais vu de ma vie, un jícama.

J’ai demandé à la dame ce que c’est et comment on l’apprête. Elle m’a expliqué que ça se mange surtout cru, avec du sel et du jus de lime (y a-t-il quelque chose, au Mexique, qui se mange sans sel ni jus de lime?).

Quand je suis rentrée, j’ai montré ça à Manuel, le proprio de la maison où j’habite, qui s’est fait un plaisir de me donner du sel et un couteau pour éplucher, et qui m’en a appris un peu plus sur le jícama (à commencer par la prononciation avec le bon accent au bon endroit).

Le goût et la texture du jícama m’ont rappelé ceux des pommes de terre de mon enfance, tout juste extirpées du jardin de mon papa et qu’on mangeait à la croque-au-sel.

J’ai donc grignoté ça sur mon balcon en lisant, parce qu’il n’était plus question de ressortir. Il faisait si chaud que je me serais consumée au bout de quelques mètres sans laisser d’autre trace qu’une petite flaque d’eau vite évaporée.

J’ai résolu de descendre à la plage vers 16h pour me baigner dans le Pacifique et, accessoirement, boire une bière: les bars de plage sont le seul moyen d’avoir de l’ombre et de se baigner sans s’inquiéter des biens qu’on laisse sur place.

Et puis il y a de l’ambiance!

Puerto Vallarta

Je retrouve le Mexique tel que dans mes souvenirs (qui remontent quand même à 2010): bruyant, coloré, chaotique, nonchalant, débonnaire, avec ses enfants grassouillets, ses vendeurs ambulants, ses trottoirs meurtriers (ne JAMAIS marcher le nez en l’air ici — je me le suis cruellement rappelé, aujourd’hui, en me rétamant comme une débutante).

À l’aéroport, il y avait une file monstre pour en sortir, parce qu’on repasse les bagages aux rayons X, comme s’ils n’avaient pas été scrupuleusement scrutés à l’embarquement.

Il m’a bien fallu une heure pour enfin émerger à l’air libre, j’étais en nage, couettée comme un chat noyé.

Fait chaud, au Mexique. J’avais oublié ça, on dirait.

Puerto Vallarta est un drôle d’endroit. Station balnéaire autrefois très à la mode, elle a subi tous les outrages du tourisme de masse. Elle garde néanmoins, dans le quartier où je loge, quelques traces d’architecture coloniale (sûrement beaucoup plus dans le quartier historique, dit la Zona romántica).

Ses rues pentues et pavées de pierres rondes me rappellent celles de Huari, la petite ville où je me trouvais quand je suis tombée malade au Pérou — pas forcément de bons souvenirs, on s’en doute, mais je vais passer par-dessus.

Après avoir pris possession de ma chambrette et m’être rafraîchie, je suis allée voir la mer. Trois coins de rue et on y est. J’ai trempé mes pieds dans le Pacifique, puis je me suis écrasée dans un de ces petits bars de plage où, les pieds dans le sable, on peut boire une cerveza, manger une bouchée et regarder défiler la vie.

Les petites filles qui crient en jouant dans les vagues (ou vice versa).

Le couple de musiciens maison qui fausse affreusement sur des airs préenregistrés,

Le type en bobettes, sur la plage, manifestement très imbibé (et de moins en moins inhibé) qui danse seul sous son parasol au rythme de leurs chansons.

La famille mexicaine en vacances qui commande plats après plats.

Les Américains blasés et obèses qui ne se parlent pas.

Les vendeurs ambulants, las et tristes, qui proposent leur marchandise avec l’énergie du désespoir. Des T-shirts imprimés « Shut up, liver, you’re fine! », des colibris fait de perles de verroterie (très jolis, 300 pesos, soit environ 22$), des lunettes de soleil, des chapeaux, des huîtres fraîches déjà ouvertes, sur un lit de glaçons qui fondent à vue d’oeil (oui, même ça).

J’ai ensuite marché vaguement sur le Malecón (la promenade qui longe la mer) vers la vieille ville, mais j’étais fatiguée, j’avais envie de pipi (les toilettes du bar étaient repoussantes), alors j’ai rebroussé chemin. Mais j’ai quand même vu cette étrange zone rocheuse où les gens ont érigé des centaines de petits cairns, c’est assez étonnant.

J’ai trouvé un supermarché où j’ai acheté un avocat, trois limettes, deux tomates, une carotte, deux petits pains et un fromage beaucoup trop gros, et j’ai vaguement grignoté sur la terrasse de la maison en regardant le coucher du soleil.

Là, je m’en vais faire comme lui, je suis mourute.

Buenas noches!

Une obsession

Ça m’arrive tout le temps quand je rentre de voyage: je ne pense qu’à reproduire ce que j’ai mangé, une manière comme une autre de prolonger le bonheur d’avoir été ailleurs, de ralentir l’atterrissage, de continuer de rêver.

Mais on dirait que c’est plus grave et incurable dans le cas de l’Italie.

Je suis donc allée vendredi à la Baia dei formaggi, puis à la boucherie Capitol (au marché Jean-Talon). J’ai acheté de la guanciale aux deux endroits (pour comparer, tsé), à un prix qui me fait presque pleurer quand je pense à ce qu’on m’a confisqué à la douane.

Et je pleure carrément quand je pense que ça a fini aux poubelles.

Parce que non, les douaniers canadiens ne gardent pas ça peur eux, hein, franchement. On n’est pas dans une république de bananes.

Ils doivent avoir souvent envie de pleurer eux aussi.

J’ai au moins réussi à faire rire celui qui m’a confisqué ma guanciale et mon prosciutto quand je lui ai dit que je reviendrais fouiller dans les poubelles pendant la nuit.

Il était presque aussi beau, gentil et poli que mon propre fils. Ça console.

Bref, je vous le dis et vous le répète, ne rapportez au Canada aucune sorte de viande, fût-elle salée, séchée et emballée sous vide, en pensant que c’est légal: ça ne l’est pas. Après, si vous avez une âme de gambler, vous pouvez toujours essayer de passer ça en douce, en espérant de ne pas faire l’objet d’un contrôle aléatoire. Si vous vous faites prendre, vous risquez une grosse amende, mais pire: vous serez fiché à la douane comme un trafiquant de cocaïne (j’exagère, mais pas tant que ça).

Vous ferez bien ce que vous voudrez, mais vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

Je peux en tout cas vous affirmer que nos tomates en conserve Aylmer ou autres n’arriveront jamais à égaler le goût et la qualité des tomates italiennes, c’est comme ça. La passata, pareil,

Et les pâtes, aaahhh, mon doux, les pâtes! Sont pas toutes égales devant Dieu et les Hommes, oh que non! J’ai acheté hier chez Milano un paquet de spaghettone qui m’a coûté trois fois un paquet de Barilla, mais qui m’a procuré au moins six fois plus de bonheur.

J’avais fait un ragù alla bolognese du feu de Dieu, un truc tout simple qu’on ne peut absolument pas rater.

J’ai dû être italienne dans une vie antérieure. Il me manque juste une famille nombreuse.

Buona notte a tutti.

Décalage

Je pense que je n’ai jamais eu autant de mal à me réadapter après un voyage en Europe.

Bon, c’est vrai, je ne suis rentrée que depuis trois jours. Mais quand même. Il fut un temps où je passais à travers ça comme l’eau des spaghettis à travers une passoire. Mais on ne rajeunit pas, hein?

Je me surprends à me lever dès 7h30 le matin avec une faim d’ogresse, j’ai envie de faire une sieste à 10h et de manger des pâtes à 5h de l’après-midi, je me retiens à deux mains pour ne pas me coucher à 7h du soir.

Il est vrai que la Sissi me réveille au beau milieu de la nuit en me léchant le visage, les mains, les épaules (tout ce qui dépasse de la couette, en fait) jusqu’à ce que je finisse par acheter la paix en lui donnant une avance sur ses croquettes du jour. Quand je vous dis que j’ai créé un monstre…

Mais qui suis-je pour la juger? Moi aussi, je ne pense qu’à manger. Des rigatoni all’amatriciana, des spaghetti alla bolognese, alla puttanesca, all’arrabiata ou alla carbonara…

J’ai trouvé un site italien où on donne les recettes de base de ces grands classiques. Allez voir ça. Même si c’est en italien, vous allez comprendre qu’on n’a rien compris quand on entasse une montagne de spaghettis dans une assiette et qu’on la couronne ensuite de sauce.

En tout cas.

Là, il est 20h, je m’accorde le droit de me coucher.

Buona notte a tutti!

Pot-pourri

Pot-pourri, c’est le nom du resto où j’ai mangé hier soir. Je suis arrivée là bien trop tôt, le propriétaire m’a priée de revenir vers 19h et m’a conseillé un endroit où aller prendre l’apéro en attendant, le Bar dei Cesaroni. J’avais vu passer ce nom sur Google Map (devenu mon meilleur ami), ça semblait sympa selon les avis des clients.

Le bar doit sans doute sa popularité au fait qu’il a servi de lieu de tournage dans une télésérie éponyme qui a eu énormément de succès, je ne vois pas autre chose: le patron a une mine parfaitement patibulaire, et les deux femmes qui travaillent avec lui (sa mère et sa soeur? ou sa femme et sa belle-mère?), édentées, boiteuses, bilieuses, pas ragoûtantes, ressemblent à deux maquerelles de fond de bidonville. On aurait dit une scène d’Affreux, sales et méchants! Je me suis bien amusée à observer cette faune qu’on ne verrait jamais dans le Trastevere, devenu un quartier bien trop chic et de bon goût.

En tout cas. Je suis retournée au Pot-Pourri à 19h pile. Il était bien sûr encore trop tôt (les Italiens ne se mettent jamais à table avant 20h, 20h30). Mais j’avais faim, j’avais froid, je voulais un bon gros plat de pâtes bien chaudes. J’étais la seule cliente dans cette grande salle aux tables nappées de vichy rouge et blanc où un jeune homme d’origine sri-lankaise lavait nonchalamment le sol de terrazzo. (Les Sri-Lankais comptent pour le tiers de toute l’immigration en Italie, on les voit partout dans les petits emplois modestes dont personne ne veut.)

Le chef et son comparse portaient des polos qui avaient dû être blancs un jour, maculés de taches de graisse et de sauce tomate à croire qu’ils n’en changent jamais. J’ai eu une pensée pour nos inspecteurs de la salubrité, qui auraient sans doute fait une commotion cérébrale en voyant ça. Et je vous passe les détails sur l’état des toilettes.

Mais ooohhh! Ces rigatoni all’amatriciana tout fumants, qu’ils étaient bons! Que j’ai bien mangé! Et que le patron était gentil! Ça compte plus que tout le reste, non?

Je suis sortie de là repue et contente, j’ai très bien dormi, merci la vie.

Je pars demain, j’avoue que j’ai un peu hâte parce que cette poussée de variant omicron me donne l’impression de courir sur un pont en flammes. En attendant, Paola m’a fort gentiment conviée à souper avec elle, ça me fait grand plaisir et ça me gêne tout à la fois, parce qu’elle va devoir subir ma pauvre conversation de bègue analphabète et sourde. Peut-être qu’un verre de vin ou deux vont m’aider?

Le saucisson

Je pars demain et je n’ai même pas goûté à un seul petit morceau de saucisson de Bologne, celui qui a dégénéré en «baloney» chez nous. J’aurais quand même voulu vérifier si on a la «vraie affaire». Je dois dire et répéter ici que, pour ce qui est de la sauce bolognaise, on l’a.

Comment expliquer ça?

Pourquoi cette recette (avec toutes ses variantes) s’est-elle implantée chez nous avec autant de force, au point de devenir un classique familial? Et le saucisson de Bologne? Sauf erreur, la vaste majorité des Italiens qui ont immigré au Canada (ou en tout cas au Québec) venaient du Sud: des Pouilles, de la Calabre, du Campobasso – rarement du Nord.

J’vais faire mes recherches, comme on dit.

En tout cas. Je pars donc demain pour Rome, mais je promets de m’arrêter dans une salumeria avant de prendre le train, pour goûter au vrai saucisson de Bologne. J’expliquerai l’affaire au charcutier dans mon très mauvais italien, ça va faire rire tout le monde, je vous conterai ça.

J’ai beaucoup aimé Bologne, mais j’ai quand même très hâte de regagner Rome, où le climat est infiniment plus doux qu’ici, et où, comme j’ai déjà dit, je ne ferai rien d’autre que de vivre une vie à peu près romaine pendant trois ou quatre jours. Pas de musée (ou peut-être un ou deux?), pas de presse, juste la dolce vita.

Buona notte a tutti!


Viterbo

J’ai du retard dans mes histoires!

Je récapitule un peu: j’ai passé la journée de vendredi à baguenauder dans les vieux quartiers du Trastevere et de l’ancien ghetto (je vous invite fortement à cliquer sur ce lien pour comprendre l’origine du mot et du concept).

Au hasard de ma promenade, je suis tombée sur une trattoria, Da Enzo, qui sert notamment l’un des plats emblématiques de la cuisine judéo-romaine, l’artichaut frit, que je voulais absolument goûter.

Ça ouvrait à peine, il était midi et quart, il y avait déjà un peu de monde mais encore assez de place pour tous et donc pour moi. J’ai demandé une table sans tergiverser, j’ai commandé, boum: carciofo alla giudia, avec des croquettes de morue farcies à la mozzarella et un verre de vin blanc.

J’ai mangé ça avec délectation (l’artichaut frit, wow, quelle formidable et délicieuse invention!) en prenant tout mon temps, tandis que la file des amateurs s’allongeait dans la rue. Quand je suis sortie, ils étaient bien 30 ou 40 à attendre une table.

Au mois de novembre.

En pleine pandémie.

Imaginez en temps dit «normal».

En tout cas.

J’ai donc quitté Rome hier matin, et je n’en étais pas fâchée. J’en ai bien profité, mais disons que ce n’est pas une ville reposante.

Et puis ma logeuse est un animal rare. Elle se présente comme une chanteuse classique. C’est sans doute nouveau (aussi nouveau que sa photo sur Airbnb est ancienne). Le soir, dans son salon (je dors dans ce qui est normalement sa chambre), elle répétait des chants de Noël en faussant horriblement (Minuit, chrétiens, Mon beau sapin, etc.) tout en piochant sur un piano dont elle essayait de tirer à tâtons les bonnes notes. Je me suis empêchée de lui venir en aide, moi qui suis une cancre finie en musique.

J’ai eu souvent l’impression de la déranger, même si elle se prêtait volontiers à la conversation, comme on se prête à une obligation.

Enfin, j’avais bien hâte de voir Grazia et Tommaso, de vieux amis que j’ai connus grâce à Pierre il y a plus de 20 ans. Ils m’attendaient à midi avec une carbonara de la mort et leur inextinguible gentillesse, dans leur maison où règne un bordel aussi invraisemblable que permanent.

Il y a ici un vieux labrador dépendant affectif qui a peur de l’eau et treize chats de toutes les couleurs, des livres et des disques sur tous les murs; des bidons, des cuves, des cruches, des bouteilles et des bocaux vides dans tous les coins (pour l’huile d’olive, le vin ou les confitures); des vêtements sur chaque fauteuil, des trucs et des machins partout. Les interrupteurs sont systématiquement posés du mauvais côté des portes (ou alors toutes les portes s’ouvrent à l’envers), l’évier est toujours plein de vaisselle, et Grazia règne là-dessus, imperturbable, pendant que Tommaso regarde le foot à la télé ou s’occupe du jardin.

Grazia est intarissable, je dois parfois lui demander de ralentir le débit quand elle me parle en italien, ce qu’elle fait volontiers, quand elle ne passe pas au français, avec son accent tout roucoulant.

De mon côté, je commence à pouvoir formuler quelques phrases à peu près cohérentes – je vais finir par y arriver et par trouver les interrupteurs sans tâtonner.

Grazia et moi partons jeudi pour Venise.

Ce sera tout pour ce soir.

Je vous mets des photos en vrac: la cour intérieure d’une maison du Trastevere avec, sur le seuil, les noms des personnes qui y habitaient avant d’être emportés par la Shoah:

Le forum et des amoureux devant la fontaine de Trevi:

Buona notte a tutti!

La fois où je n’ai pas vu Toulouse

Me voici donc au chic restaurant Courtepaille (l’équivalent, disons, d’un Normandin au Québec), à quelques mètres à vol d’oiseau du non moins chic hôtel Ibis Budget de l’aéroport de Toulouse, où je passerai la nuit en prévision de mon vol pour Valence, demain matin à 8h.

J’aurais bien voulu flâner un peu dans cette bonne ville que j’aime tant avant de venir m’enfermer dans un hôtel bon marché au bord de l’autoroute, mais les Gilets jaunes, qui soulignaient aujourd’hui le premier anniversaire de leur mouvement, en ont décidé autrement: manif, gaz lacrymo, centre-ville paralysé, on repassera.

Je suis donc restée un peu plus longtemps à Foix, et j’ai pu aller marcher avec ma chère Séverine dans les contreforts des Pyrénées, saupoudrés de la première neige, sous un soleil qui jusque-là nous avait cruellement fait défaut. C’était magnifique, lumineux, bleu, infini, doux comme un velours.

Séverine m’a finalement déposée à la gare de Foix à temps pour le train de 17h05. Je la laisse pleine de soucis, et je maudis le rhume qui m’a empêchée de la distraire, de sortir avec elle, d’alléger un peu son quotidien. J’espère seulement qu’elle finira par sortir de la tempête de merde que lui balance son ex sans se lasser.

Je ne comprendrai jamais ça.

Cette méchanceté, envers quelqu’un qui ne t’a RIEN FAIT, avec qui tu as vécu pendant des années et qui est la mère de tes enfants.

En tout cas.

Je quitte donc la France demain matin.

Quelques constats:

Boucane

Les Français fument. Jeunes (et même très jeunes), vieux, hommes, femmes, ça fume, beaucoup et partout: sur les terrasses, sur les quais de gare ou de tramway, dans les abribus, dans la rue, dans les files d’attente, on a toujours une bouffėe de boucane dans le nez. C’est dégueulasse. En revanche, ils ont la décence de ne pas jeter leurs mégots dans la rue, le croirez-vous? Je n’en ai vu aucun.

Accent

Notre accent québécois «pogne» toujours autant, c’est étonnant. Je ne peux pas vous dire combien de fois j’ai entendu «Rhôôô, l’accent, j’adooooore!» J’avoue que ça m’agace un peu. Mais je refuse de le gommer.

Argent

La vie est chère, très chère, bien plus chère que chez nous, et pour ça on peut comprendre les Gilets jaunes, parce que la fameuse couverture sociale, par ailleurs, est en train de devenir un mouchoir de poche. Exemple: deux mois et demi de congé de maternité! Dix jours pour l’autre parent!

* * *

En tout cas. Mon repas de ce soir a été parfaitement dégueulasse, mais je n’en attendais rien de toute façon.

Je vais donc régler mon addition (à laquelle ne s’ajoutera ni taxe ni pourboire et c’est quand même bien agréable) et remarcher vers mon hôtel.

Demain, même heure, je serai chez mon cher ami Antonio, en train de boire du vin d’Espagne et de parler espagnol.

¡Hasta pronto!

Comme un épilogue

J’ai atterri hier matin à Montréal après un vol qui, fût-il en classe affaires, m’a paru interminable. J’étais accompagnée d’un jeune infirmier qui a consciencieusement pris mes signes vitaux aux trois heures. Il n’a pas eu à utiliser le compresseur dont il était muni, mes poumons ont bien fait leur travail. Pour un peu, je serais fière de moi!

Je suis chez mon fils et sa douce, bien en sécurité dans leur grande maison à Saint-Eustache, en attendant que mon appartement se libère. Je suis si heureuse de les voir chaque jour, ça m’enlève tout sentiment d’urgence ou d’impatience.

Bien sûr, j’ai hâte de faire mes boîtes à fleurs, de marcher dans les rues toutes fleuries de mon quartier, mais ça viendra quand ça viendra.

Je renoue avec les petits plaisirs sur lesquels je me concentrais pour me donner du courage quand j’étais sous respirateur: un café au lait bien mousseux. Un bagel au fromage à la crème et à la confiture dégoulinant de beurre fondu. Des toasts aux cretons. Un verre de vin blanc très frais. Ces petites choses-là, auxquelles on ne pense pas d’ordinaire, tant elles sont ordinaires, justement.

Je viens d’aller marcher un peu dans le grand dehors. Derrière la maison, il y a un petit réseau d’étangs avec des jets d’eau, c’est très joli. J’ai écouté avec délice le cri des carouges, observé les acrobaties d’une hirondelle, respiré le parfum du trèfle, senti la douceur du vent sur ma peau. J’ai en tête cette vieille chanson de Ferrat, vous savez?

Sincèrement, je crois que je ne serai plus jamais la même.