Une obsession

Ça m’arrive tout le temps quand je rentre de voyage: je ne pense qu’à reproduire ce que j’ai mangé, une manière comme une autre de prolonger le bonheur d’avoir été ailleurs, de ralentir l’atterrissage, de continuer de rêver.

Mais on dirait que c’est plus grave et incurable dans le cas de l’Italie.

Je suis donc allée vendredi à la Baia dei formaggi, puis à la boucherie Capitol (au marché Jean-Talon). J’ai acheté de la guanciale aux deux endroits (pour comparer, tsé), à un prix qui me fait presque pleurer quand je pense à ce qu’on m’a confisqué à la douane.

Et je pleure carrément quand je pense que ça a fini aux poubelles.

Parce que non, les douaniers canadiens ne gardent pas ça peur eux, hein, franchement. On n’est pas dans une république de bananes.

Ils doivent avoir souvent envie de pleurer eux aussi.

J’ai au moins réussi à faire rire celui qui m’a confisqué ma guanciale et mon prosciutto quand je lui ai dit que je reviendrais fouiller dans les poubelles pendant la nuit.

Il était presque aussi beau, gentil et poli que mon propre fils. Ça console.

Bref, je vous le dis et vous le répète, ne rapportez au Canada aucune sorte de viande, fût-elle salée, séchée et emballée sous vide, en pensant que c’est légal: ça ne l’est pas. Après, si vous avez une âme de gambler, vous pouvez toujours essayer de passer ça en douce, en espérant de ne pas faire l’objet d’un contrôle aléatoire. Si vous vous faites prendre, vous risquez une grosse amende, mais pire: vous serez fiché à la douane comme un trafiquant de cocaïne (j’exagère, mais pas tant que ça).

Vous ferez bien ce que vous voudrez, mais vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

Je peux en tout cas vous affirmer que nos tomates en conserve Aylmer ou autres n’arriveront jamais à égaler le goût et la qualité des tomates italiennes, c’est comme ça. La passata, pareil,

Et les pâtes, aaahhh, mon doux, les pâtes! Sont pas toutes égales devant Dieu et les Hommes, oh que non! J’ai acheté hier chez Milano un paquet de spaghettone qui m’a coûté trois fois un paquet de Barilla, mais qui m’a procuré au moins six fois plus de bonheur.

J’avais fait un ragù alla bolognese du feu de Dieu, un truc tout simple qu’on ne peut absolument pas rater.

J’ai dû être italienne dans une vie antérieure. Il me manque juste une famille nombreuse.

Buona notte a tutti.

Décalage

Je pense que je n’ai jamais eu autant de mal à me réadapter après un voyage en Europe.

Bon, c’est vrai, je ne suis rentrée que depuis trois jours. Mais quand même. Il fut un temps où je passais à travers ça comme l’eau des spaghettis à travers une passoire. Mais on ne rajeunit pas, hein?

Je me surprends à me lever dès 7h30 le matin avec une faim d’ogresse, j’ai envie de faire une sieste à 10h et de manger des pâtes à 5h de l’après-midi, je me retiens à deux mains pour ne pas me coucher à 7h du soir.

Il est vrai que la Sissi me réveille au beau milieu de la nuit en me léchant le visage, les mains, les épaules (tout ce qui dépasse de la couette, en fait) jusqu’à ce que je finisse par acheter la paix en lui donnant une avance sur ses croquettes du jour. Quand je vous dis que j’ai créé un monstre…

Mais qui suis-je pour la juger? Moi aussi, je ne pense qu’à manger. Des rigatoni all’amatriciana, des spaghetti alla bolognese, alla puttanesca, all’arrabiata ou alla carbonara…

J’ai trouvé un site italien où on donne les recettes de base de ces grands classiques. Allez voir ça. Même si c’est en italien, vous allez comprendre qu’on n’a rien compris quand on entasse une montagne de spaghettis dans une assiette et qu’on la couronne ensuite de sauce.

En tout cas.

Là, il est 20h, je m’accorde le droit de me coucher.

Buona notte a tutti!

Le saucisson

Je pars demain et je n’ai même pas goûté à un seul petit morceau de saucisson de Bologne, celui qui a dégénéré en «baloney» chez nous. J’aurais quand même voulu vérifier si on a la «vraie affaire». Je dois dire et répéter ici que, pour ce qui est de la sauce bolognaise, on l’a.

Comment expliquer ça?

Pourquoi cette recette (avec toutes ses variantes) s’est-elle implantée chez nous avec autant de force, au point de devenir un classique familial? Et le saucisson de Bologne? Sauf erreur, la vaste majorité des Italiens qui ont immigré au Canada (ou en tout cas au Québec) venaient du Sud: des Pouilles, de la Calabre, du Campobasso – rarement du Nord.

J’vais faire mes recherches, comme on dit.

En tout cas. Je pars donc demain pour Rome, mais je promets de m’arrêter dans une salumeria avant de prendre le train, pour goûter au vrai saucisson de Bologne. J’expliquerai l’affaire au charcutier dans mon très mauvais italien, ça va faire rire tout le monde, je vous conterai ça.

J’ai beaucoup aimé Bologne, mais j’ai quand même très hâte de regagner Rome, où le climat est infiniment plus doux qu’ici, et où, comme j’ai déjà dit, je ne ferai rien d’autre que de vivre une vie à peu près romaine pendant trois ou quatre jours. Pas de musée (ou peut-être un ou deux?), pas de presse, juste la dolce vita.

Buona notte a tutti!


De retour parmi les vivants

Jamais je n’avais vu les glaciers aussi étincelants, aussi écrasants de puissance et de lumière. Ils faisaient miroiter leurs arêtes coupantes dans ce ciel d’un bleu surréaliste, altiers, austères et indifférents comme des officiers en grand uniforme. C’est le dernier souvenir que j’emporte d’eux.

De ce minuscule avion qui m’emmenait enfin à Lima, j’ai regardé se dérouler en bas les plis veloutés de la Cordillera Negra, avec un pincement au coeur pour tout ce que je n’aurai pas vu et fait au Pérou. Et un immense, un insondable épuisement.

L’ambulance a mis une bonne heure pour nous rejoindre à l’aéroport, puis une autre encore, toutes sirènes dehors, pour rallier l’hôpital. Typique du chaos perpétuel qui caractérise la circulation à Lima. Malgré la sirène et les gyrophares, les gens ne font même pas mine d’essayer de céder le passage, alors le chauffeur doit gueuler dans des haut-parleurs pour les exhorter à le faire. Paraît que plein de gens meurent comme ça en ambulance à cause de l’indifférence des automobilistes liméniens. Une chance que je n’étais pas à l’article de la mort…

À l’hôpital, on m’a mise aux soins intensifs. Électrodes, perfusion, oxygène, tensiomètre, oxymètre (pour mesurer le taux d’oxygène dans le sang), on m’a fait des prises de sang, on m’a posé mille fois les mêmes questions. J’étais plus ou moins consciente de ce qui m’arrivait, je pense.

Heureusement.

Devant l’incapacité de mes poumons à absorber ne fût-ce qu’un peu des je ne sais combien de litres d’oxygène à la minute qu’on leur envoyait (10? 15?), on a décidé de me mettre sous respirateur, ultime tentative pour m’aider à «prendre mon gaz égal» avant la solution extrême qu’est l’intubation.

Pour ça, on te strappe l’équivalent en polycarbonate du masque d’Hannibal Lecter bien serré dans la figure, mais bien serré comme dans hermétiquement, et tout à coup c’est plus toi qui décides quand et comment tu vas respirer. C’est la machine.

Quand j’ai eu compris que le pneumologue, après avoir réglé l’appareil à sa satisfaction, allait vraiment me laisser comme ça, comme une truite hors de l’eau, sans air, sans défense, sans recours, j’ai vraiment cru mourir.

J’ai passé la première partie de la nuit à pleurer et à me débattre dans la panique la plus complète et dans une sorte de brouillard hallucinatoire rempli d’images cauchemardesques. J’ai fini par réussir à me calmer en imaginant le fleuve Saint-Laurent, des arbres qui frémissent dans le vent, un grand parc avec un banc, et en me parlant: «Tu te calmes, tu ne peux aller nulle part de toute façon, tu restes ici, tu ne vas pas mourir. Tu te calmes, tu ne peux aller nulle part de toute façon, tu restes ici, tu ne vas pas mourir.»

Au matin, quand on m’a enfin enlevé le masque, j’ai pleuré de soulagement, de fatigue, de détresse. On m’a servi un petit-déjeuner que j’ai mis un temps fou à manger, incapable que j’étais de manipuler les couverts, de déplier ma serviette, de porter le pain à ma bouche. Je me sentais complètement hébétée, décérébrée, j’étais convaincue qu’on m’avait droguée, mais non, c’était juste le résultat du premier round.

Le Dr Geng est venu me voir, un homme d’une bonté infinie, pour m’expliquer les tests qu’on allait faire, les diagnostics possibles, ce qui allait se passer, comment on procéderait. Je n’ai pas tout compris parce que mon cerveau était encore en mode redémarrage, mais je me souviens de lui avoir demandé: « Doctor, digame que no voy a morirme acá» (dites-moi que je ne vais pas mourir ici), et je me souviens de son bon regard et de sa main sur mon bras quand il m’a dit : «Non, mais non.»

C’était pas si convaincant, finalement, mais j’ai préféré le croire.

Pendant cinq jours on m’a lavée, retournée, crémée, peignée, changée comme un bébé, et je peux dire que, dans ce vaste apprentissage du lâcher-prise que tu dois faire quand ton corps t’abandonne, la première chose que tu apprends à laisser tomber, c’est ta pudeur.

J’ai passé plusieurs nuits avec Elephant Man (mon respirateur), avec lequel j’ai fini par me réconcilier quelque peu une fois que j’ai eu compris qu’il n’était pas là pour m’étouffer. Il m’arrivait parfois de tricher et de tirer un peu sur le masque pour faire entrer un peu plus d’air, juste un peu, mais sa petite trompette me dénonçait aussitôt — «Poueet poueet», un son complètement incongru dans cet univers réglé par les bip-bip sérieux et affairés des moniteurs.

Chaque matin, un médecin ou un autre (pneumologue, infectiologue, interniste) venait me voir, prendre de mes nouvelles, me donner les résultats des derniers examens, me dire ceux qu’on allait faire… On m’a soutiré une incroyable quantité de sang artériel et veineux, on a fait des tests de toutes sortes (jusqu’au VIH!) pour comprendre ce qui a bien pu jeter par terre comme ça toutes mes défenses immunitaires, et on ne sait toujours pas.

On ne saura peut-être jamais.

Hier, deux taupins en uniforme bleu sont entrés dans ma «chambre» (plutôt une alcôve, droit en face du poste, éclairée jour et nuit, fermée par un simple rideau au besoin, on ne peut pas vraiment appeler ça une chambre) et se sont mis à examiner les lieux. Je pensais qu’ils venaient prendre des mesures pour je ne sais quoi, je les ai observés un moment, puis ils ont dit quelque chose. «…… piso.

— ¿Perdón?

— Vamos a llevarla al piso.»

On te monte à l’étage.

Vous auriez dû me voir. C’était Noël, c’était toutes les cloches de tous les villages qui sonnent en même temps, c’était trop beau pour être vrai. J’ai une chambre incroyable au huitième étage avec une immense fenêtre qui s’ouvre sur Lima. J’ai une SALLE DE BAIN avec DOUCHE (pris ma première douche depuis deux semaines ce matin, un bonheur épuisant mais indicible — ne négligez jamais l’importance de ces petits plaisirs gratuits). J’ai une armada d’infirmières et d’infirmiers à mon service et on prend la peine chaque jour de me demander ce que je veux manger. J’ai banni de mon assiette tout ce qui peut ressembler à du poulet (je ne mangerai plus jamais de poulet de ma vie, j’en fais ici le serment) de même que le riz blanc, les patates douces et le plantain. À partir de là, madame, donne-moi ce que tu veux, avec ben des fruits pis des légumes, et je serai heureuse.

Dans ces conditions, je suis prête à envisager une convalescence un peu plus longue à Lima avant de rentrer enfin au Québec.

Vivante.

Pérou profond

Il a fait un temps sublime aujourd’hui à Huari, alors j’ai suivi le conseil de mon collègue et ami Yony, et je suis partie faire une promenade dans la campagne, direction Acopalca, à 4 petits kilomètres d’ici. Il y a là-bas une cevicheria dont il m’a dit beaucoup de bien, j’en ai fait mon objectif.

Mon amie l’appli MapsMe m’avait signalé des sentiers qui me permettaient d’éviter la route, aussi poussiéreuse que périlleuse, pour traverser plutôt de riants paysages agrestes semés de maisonnettes en adobe, dont bon nombre, tristement abandonnées, retournent doucement à la nature.

Des champs de maïs, de pommes de terre et de luzerne, dessinés, dirait-on, autant par fantaisie que par les accidents de terrain, montent à l’assaut des montagnes dans un doux patchwork de velours vert. Au fond de la vallée, les eaux blanc-bleu d’un torrent chantent leur chanson mouillée. J’avais si chaud, j’ai bien failli descendre pour m’y tremper les pieds, mais la perspective de la remontée m’a, pour ainsi dire, démontée.

J’ai donc poursuivi mon chemin jusqu’au village d’Apocalpa, que j’avais déjà traversé en vitesse et en camionnette pour aller visiter des fromagères avec mes collègues Edgar, María Isabel et Diana. Ça m’avait paru plutôt mignon et, de fait, la petite place a un certain charme.

Mais sous le soleil impitoyable de ce samedi après-midi, il y régnait une torpeur désolante qui rendait encore plus tristes ses trois rues boueuses et semées de détritus, ses maisons de pisé à demi-écroulées, ses chiens pelés affalés sur le perron des portes, ses poules en liberté qui picorent au hasard. Deux ânes et un cochon, attachés par une patte, broutaient placidement au bort du chemin, des enfants qui jouaient avec trois fois rien se sont immobilisés longuement pour me regarder passer, ont timidement répondu à mon salut et ont repris leurs jeux.

Une petite vieille toute cassée en deux m’a souri de ses trois dents en me souhaitant buenas tardes de sa voix chevrotante.

Je suis arrivée en nage à la cevicheria, où plusieurs familles occupaient trois des cinq ou six longues tables de la salle dans un joyeux brouhaha.

J’ai commandé une Cusqueña noire (ma bière préférée) et un ceviche de truite, un vrai délice dont je ne me lasse pas. Avec ça, un chilcano (bouillon de truite parfumé à la coriandre) offert par la maison.

Ça valait mon heure et demie de marche.

Mais la bière aidant (ou pas), et même si la route du retour était tout en descendant, j’ai eu la flemme de rentrer à pied. Je me disais que j’allais héler un de ces taxis collectifs hyperbondés qui passent régulièrement en soulevant derrière eux d’interminables nuages de poussière, mais justement, ils sont toujours bondés au-delà du possible. J’ai demandé à la gentille patronne si elle pensait que je trouverais facilement une occasion pour redescendre à Huari, et elle m’a proposé d’appeler un taxi. Lequel, en l’occurrence, n’était nul autre que son mari, Justinio, qui m’a aimablement fait la causette jusqu’au village et un peu disputée parce que je n’étais pas allée jusqu’à la piscigranja, la pisciculture où il achète ses truites.

Tu vas devoir revenir, m’a-t-il dit.

Avec plaisir, j’ai répondu.

Après, j’ai marché un peu dans Huari, jusqu’au joli belvédère tout fleuri qui domine la vallée. Un monsieur est venu me parler, m’a évidemment demandé d’où je venais, m’a sorti ses six mots d’anglais, proposé une bière ou une chicha, ce que j’ai décliné poliment. De toute façon, il devait s’en aller, mais il m’a indiqué sa maison, juste là au coin, et il m’a sommée de revenir demain.

Peut-être bien, j’ai répondu.

Là, l’orage gronde, j’entends crépiter la pluie, je vais sortir essayer de trouver quelque chose à manger qui ne soit pas du poulet grillé.

Mon ami Antonio

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Vous savez, ce cocktail de l’ambassade où je ne voulais pas aller? Où je devais présenter mon mandat à l’aimable assistance et expliquer le comment du pourquoi? Bien sûr, vêtue de ma plus belle robe, j’y suis allée. Je n’avais rien préparé pour ma présentation, pas de Power Point ni de photos ni rien, d’une part parce qu’on m’avait dit que ce ne serait pas possible pour des raisons de sécurité, et, d’autre part, parce que je suis une immense paresseuse et que franchement ça faisait mon affaire de paresseuse.

Ça fait que j’ai expliqué à tout ce beau monde ce que je suis censée faire ici comme je l’aurais expliqué à des amis, ni plus, ni moins.

Paraît que j’avais un accent du Saguenay à couper au couteau mais que j’ai bien fait ça.

J’imagine que, à mesure qu’on prend de l’âge, ces choses-là deviennent vraiment accessoires.

En tout cas.

Après ce cocktail où tout le monde s’est plus ou moins ennuyé (chose absolument normale et presque obligatoire dans ce genre d’événement), nous sommes allés envahir une terrasse de la rue Berlin, la rue des bars dans ce coin de Lima. Je dis «nous», ça veut dire, essentiellement, des Québécois, jeunes et moins jeunes, dont une belle gang de Québec sans frontières. Antonio était leur accompagnateur. Les jeunes et moi, et plus tard avec Antonio, on a placoté en masse et longtemps, tout ça a été hautement et éminemment sympathique et agréable.

Antonio est né en Espagne. Il vit au Québec depuis 30 ans. Quand il parle français, il sacre comme vous et moi, câlice de tabarnak pis toute. Quand il me parle en espagnol, je me sens comme une championne parce que je comprends TOUT ce qu’il me dit, et parce qu’il me dit que je parle un excellent espagnol.

UN EXCELLENT ESPAGNOL!

Mon ami Antonio vient de partir pour Lima. On a passé la fin de semaine ensemble, à parler de tout et de rien (EN ESPAGNOL!), à marcher dans la montagne, à être attentifs à tout ce qui nous entourait: les couleurs, les sons, les parfums… Son émerveillement devant la beauté de Caraz et de ses habitants (surtout des habitantes, en fait) m’a rappelé à quel point j’ai de la chance de vivre ici.

Alors que nous marchions dans la montagne, vers un village bien trop lointain pour que nous puissions raisonnablement l’atteindre compte tenu de l’heure à laquelle nous étions partis, nous nous sommes arrêtés un moment. Il y avait une chapelle, un abri contre le soleil, quelque chose de paisible et de doux. Tout à coup, une dame invisible sous les frondaisons, qui nous avait entendus, s’est adressée à nous. Nous lui avons dit que nous étions de simples passants et que nous ne voulions pas la déranger. Elle nous a invités à manger avec les ouvriers de sa ferme, en toute simplicité.

Un moment de grâce.

Elle s’appelle Suzana, elle a une âme irrésistible, c’est sûr que nous allons nous revoir elle et moi. Mais si Antonio n’avait pas été là, je ne serais jamais allée là-bas, je ne l’aurais jamais connue.

Ce soir, avant de partir, Antonio a cuisiné deux omelettes espagnoles à se rouler par terre, l’une aux pommes de terre, l’autre à l’oignon.

On a mangé ça en parlant de l’infini et des mystères qui nous entourent.

Hé. Si tu restes dans ton salon, tu vivras jamais ça.

Nourritures (1)

Il y a quelques années (cinq? sept?), le Pérou s’est hissé parmi les grandes destinations gastronomiques au monde. De jeunes chefs réputés ont choisi d’y ouvrir des tables très courues; des grappes de touristes viennent de partout pour une exploration culinaire après une petite promenade de santé au Machu Picchu… Oubliez Barcelone ou Madrid ou Lyon ou Copenhague (tiens, j’écris comme Marie-Claude Lortie!), c’est à Lima qu’il faut venir.

Depuis que je suis ici, tout le monde m’en parle: «Pis? La bouffe? Paraît que c’est extraordinaire?»

Aussi extraordinaire que ça peut l’être, j’imagine, si t’as 300$ par tête à dépenser pour un souper. Par exemple, au Central, l’un des mieux cotés de Lima, le menu est à 556 soles, sans le vin (01/S = 0,40$CAN).

Et ça, c’est à la condition, évidemment, de réussir à obtenir une table.

Je vous signale que le salaire mensuel moyen d’un homme à Lima est d’environ 1500 soles. Je précise : un homme, parce que, pour une femme, c’est 1000 soles.

Ça fait que, dans la vie de tous les jours, pour le Péruvien (et surtout la Péruvienne) lambda, c’est une autre affaire. Vrai, le Pérou, comme on dit, c’est le Pérou. On trouve ici une variété incroyable de fruits, de légumes, de graines, de céréales, de tubercules, de légumineuses, de poissons, de laitages, de fruits de mer, de viandes. Chaque fois que je vais au marché, je découvre un truc que je n’avais jamais vu de ma vie. Il y a du maïs de toutes les couleurs, idem pour les pommes de terre; des melons qui ressemblent à des concombres, des concombres qui ressemblent à des melons, des courges, des haricots énormes, des avocats de toutes les tailles (des violets, des vert pâle, avec toutes les nuances entre les deux)… bref, pas pour rien que je passe ma vie là.

Les prix me font presque rire: deux ou trois mangues: 1 sol (40 cents). Six petites tomates italiennes, 1 sol. Une belle grosse grappe de raisins verts sans pépins, frais et croquants: 2,5 soles. Un demi-kilo d’agneau (sans les mouches): 7 soles. Six oeufs qui se rappellent encore de leur mère: 2,5 soles.

Mais ce que j’achète pour trois fois rien (à mes yeux), dans les faits, bien peu de Péruviens peuvent se l’offrir. Même ceux et celles qui me le vendent.

Dans les restos populaires où je mange tous les midis de semaine avec mes collègues, cette fabuleuse abondance n’existe pas. Invariablement, on y sert en entrée une soupe certes très consistante (rien que ça, ça me contenterait), faite d’un bouillon de poule et enrichie de beaucoup trop de riz, de pâtes, de quinoa ou de blé. Suit un plat (fondo), généralement une viande en très petite quantité (du poulet la plupart du temps), accompagnée de riz ET de pommes de terre accommodées d’une manière ou d’une autre.

Avec ça, un refresco — une boisson, souvent une infusion, très douce, servie tiède parce que, dit-on, c’est meilleur pour la santé. Il y a parfois un dessert (postre), soit un fruit poché et son jus épaissi à la fécule de maïs, ou un fruit frais, ou plus platement du Jell-O.

Ce repas coûte, quoi? Six, sept, parfois huit soles? À tout casser, donc, 3,20$… C’est donc à la portée du Péruvien moyen, et c’est ce que mange le Péruvien moyen, jour après jour. Riz, pommes de terre. Pommes de terre, riz.

Même dans un repas d’apparat comme celui du jour de l’An, au club social de Caraz, on a servi, en entrée, des pommes de terre à la huancaïna (bouillies, coupées en rondelles et servies nappées d’une sauce crémeuse au poivron jaune appelée aji, décorées d’un demi-oeuf dur et d’une olive noire, photo ci-dessus). Le plat de résistance (dinde rôtie) était accompagné de riz… et de pommes de terre. Zéro légume vert (ni d’aucune autre couleur, d’ailleurs). Ce n’est pourtant pas ça qui manque, au Pérou! Petits pois, carottes, haricots verts, courgettes, brocoli, chou, betteraves, rabioles, on trouve tout…

Quelque chose m’échappe.

Certes, la gastronomie péruvienne existe, elle regorge de plats typiques dont le plus connu est sans doute le ceviche. Elle compte aussi, croyez-le ou non, un certain nombre de mets inspirés de la cuisine cantonaise, intégrés au point qu’ils en sont un élément phare.

Je vous conte ça la prochaine fois.

Malade

Hier, comme tous les midis, mes collègues et moi sommes allés manger dans l’un des innombrables petits restos de Caraz qui offrent l’almuerzo à 8 soles. On a choisi le Chavin, où le patron fait tout lui-même: il prend les commandes, apporte les couverts et les plats, débarrasse… Invariablement calme, affable, il cuisine dans un réduit où il a à peine l’espace pour se retourner, de la largeur exacte de sa cuisinière au gaz. Je ne sais pas comment il fait.

Ce qu’il prépare est toujours très bon et copieux. Hier, soit ça l’était particulièrement, soit j’avais vraiment faim, j’ai tout avalé: le généreux potage de courge, jusqu’au dernier grain de riz de mon plat d’arroz chaufa (un genre de riz frit à la cantonaise qui fait partie intégrante de la cuisine péruvienne) et toutes les tranches de banane au sirop de tamarin du dessert. Miam.

Mais je ne sais pas, vers la fin de l’après-midi, j’ai commencé à me sentir un peu nauséeuse. Pas seulement ce vague sentiment d’avoir trop mangé, non: plutôt la sensation très précise que oooohhh… quelque chose ne va pas. Quand les sueurs froides se sont mises de la partie, j’ai ramassé mes affaires et expédié les salutations aux collègues (ici, on se fait la bise, tous et chacun, matin et soir).

J’ai pris le chemin de la maison sous une petite pluie, dans le crépuscule, en me disant que l’air me ferait du bien. Hélas, j’ai bientôt été partagée entre la perspective gênante de vomir en peine rue et le désir grandissant de me coucher sous un banc et de me laisser mourir là. Mais j’ai ma fierté. J’ai donc marché bravement comme une forçate jusque chez moi, les dents serrées et le regard fixe.

Quand je me suis enfin écroulée sur mon lit, j’étais sûre que je ne m’en relèverais pas. Je ne sais pas ce qu’il y avait dans le bon riz du monsieur, mais je peux vous dire que ça n’a pas passé. OooOooOohhh… que j’ai été malaaaaaaade… Je crois que j’ai déliré un peu. Roulée en boule, trempée de sueur, misérable comme les pierres du chemin, je ne me suis jamais sentie aussi loin de chez moi.

Quand la tempête s’est un peu calmée, j’ai fini par réussir à avaler une gorgée d’eau, deux comprimés de Pepto-Bismol et un cachet pour dormir. J’ai rêvé que je mangeais des trucs complètement décadents, des pains aux figues avec des viandes confites et des grilled cheese et des saucisses…. AAARRRKE!

J’ai dormi pratiquement toute la journée, bu de l’eau bouillie, mangé un oeuf à la coque dont mon estomac n’a pas encore décidé s’il en voulait vraiment.

Là, un marteau-piqueur me vrille les tempes, il est 19h25, je vais prendre deux Advil et me remettre au lit.

Demain est un autre jour.

Vie quotidienne

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Les nouveaux rideaux de mon salon. Joli, non?

Je vous l’ai dit, je ne peux passer un jour sans me rendre au marché. Toutes les raisons sont bonnes. Hier midi, je n’avais pas vraiment l’intention d’y aller quand je suis sortie. Je suis sortie pour sortir, en fait. Et aussi pour aller manger. Le midi, tous les jours sans exception, une pléthore de petits bouibouis offrent des menus à 5, 6 ou 7 soles (de 2 à 3$): soupe bien consistante qui ferait à elle seule un repas, plat de résistance (poisson frit ou viande braisée, souvent accompagnés d’un succulent ragoût de légumineuses), avec du riz ET du yuca ou des pommes de terre, quelques tranches de concombre, et puis un petit dessert à base de fruit, tout ça arrosé d’un refresco (une boisson, souvent une infusion servie tiède, que je n’arrive pas toujours à identifier mais toujours douce et bonne pour la santé, ou alors un fruit passé à la liquadora — au mélangeur — allongé d’eau).

Il est rare que je réussisse à finir tous les plats. À ce prix, je me demande bien pourquoi je me casserais le bicycle à cuisiner!

Sauf que…

Sauf qu’il y a le marché, où, comme j’avais commencé à le dire, je n’avais pas vraiment l’intention de me rendre hier. Mais, malheur! Ma sandale a choisi le moment précis où je me levais pour payer ma ridicule addition pour se briser. Le marché était à deux pas, je savais que j’y trouverais un cordonnier. Que vouliez-vous que je fisse? (En espagnol, on utilise beaucoup les imparfaits du subjonctif. À défaut de les maîtriser dans ma nouvelle langue, je vous les inflige, peut-être dans l’espoir que ça s’infuse dans mon propre cerveau.)

Je m’en fus donc trouver le cordonnier, qui m’a réparé ça en 30 secondes pour 1 sol. Quand tu sais pas combien ça va coûter, pas compliqué, généralement, ça coûte 1 sol, soit 0,40$. Rétrospectivement, je me dis que j’aurais dû lui donner le triple, le quintuple, parce que ces damnées sandales puent la mort. Oui, oui, je sais. Il faut du bicarbonate de soude. J’ai appris à le dire en espagnol, bicarbonato de soda, mais il semble que je sois la seule ici à avoir des sandales qui puent. Personne ne sait me dire où acheter ça. Prochaine étape, la pharmacie.

Mais je m’égare.

Après ma visite chez ce valeureux cordonnier, donc, une fois là, qu’eussiez-vous voulu que je fisse? (C’est vraiment comme ça que je devrais le dire en espagnol.)

Indépendamment des conjugaisons, j’ai donc fait comme toujours: je me suis promenée, et je n’ai pas pu résister. J’ai acheté trois avocats aussi moelleux que du beurre, six tomates italiennes luisantes, charnues et dodues à exploser, et aussi, tout au bout du marché, deux petits poissons argentés dont j’ai oublié le nom, que la poissonnière a éventrés d’un coup de couteau qui aurait pu être machinal, mais non. Elle m’a souri avec curiosité et gentillesse, m’a expliqué comment les apprêter, on a ri toutes les deux de mon ignorance, et je sais qu’elle me reconnaîtra la prochaine fois.

J’ai aussi, sur le chemin du retour, pris un beau gros concombre vert émeraude, une demi-douzaine de minuscules citrons verts dont la moitié d’un te donne plus de jus que deux de ces grosses limes sèches et insipides qu’on nous vend chez nous à prix d’or…

En rentrant, je me suis mitonné un genre de soupe de poisson, avec des pommes de terre qui demandent à cuire au moins deux heures, et des oignons rouges qui pleurent quand tu les coupes, et au moins une demi-bouteille de vin blanc (l’autre demie étant pour la cuisinière). Ça sentait le ciel, mais je n’y ai pas touché sauf pour goûter, parce que je n’avais pas faim, puisque j’avais si bien mangé à 14h… J’ai donc mis tout ça au frigo, avec tout le reste du reste.

Et aujourd’hui.

Aujourd’hui, je n’avais pas pantoute d’affaire au marché, j’avais déjà de la bouffe plein mon frigo, comme vous savez.

Je suis juste allée faire un petit tour à la foire agrobiologique de Formagro (le projet pour lequel je travaille). Histoire de voir s’il y avait du monde, de dire bonjour aux producteurs, de prendre des notes, de confirmer certaines impressions. Évidemment, je n’ai pas pu m’empêcher: j’ai acheté une laitue, des carottes (les carottes, ici, je ne sais pas ce qu’elles ont, mais… rien à voir avec les trucs coriaces et amers qu’on a chez nous: même énormes, elles sont tendres et sucrées, tu donnes pas ça aux cochons, non monsieur). J’ai placoté un bon moment avec l’une des plus assidues, fine comme une soie, qui vient de vraiment loin, comme ses collègues, par pur engagement, parce que, à 1 sol la laitue et les cinq carottes, pas vrai que mon petit producteur fait de l’argent.

Après, j’avais décidé de me faire couper les cheveux, ça fait que je me suis dirigée vers le marché, que voulez-vous. C’est par là qu’on trouve le plus de salons de coiffure. Je me suis encadrée dans la porte du premier que j’ai croisé, où la coiffeuse était providentiellement libre. J’ai réussi à expliquer ce que je voulais, elle m’a fait tout bien comme il fallait, en prenant son temps et en placotant, avec des coups de ciseaux très sûrs, clip, clip, clip, «Tu ne te teins pas les cheveux?», elle a remarqué. «Non, j’ai pas envie, c’est un esclavage», j’ai dit. (Heille! J’ai réussi à dire ça en espagnol!)

Elle a ri.

Ça a m’a coûté 5 soles. Deux dollars. J’ai pas la coupe que ma chère Mathilde m’aurait faite, loiiiiin de là. Seule Mathilde peut me faire une coupe qui va durer plus d’un an! Mais bon. Je suis au Pérou. Je vais peut-être finir avec deux tresses comme les Quechuas? (Encore faudrait-il que j’aie assez de cheveux pour ça, mais c’est une autre histoire.)

Toujours est-il que, après cette indispensable coupe de cheveux, j’étais au marché. Alors j’ai marché! Comme je caressais l’idée d’acheter une table de chevet d’un artisan qui n’est là que le dimanche, mes pas m’ont poussée jusque-là. Mais, en chemin, j’ai acheté pour 1 sol un sachet de cevichocho à une très, très vieille dame, qui m’a demandé avec un petit sourire entendu si je voulais de l’ají (du piment fort). J’ai dit un poquito, pour lui faire plaisir, et ça lui a fait plaisir. Je ne vous dis pas comme je me suis brûlé la gueule là-dessus!

J’ai aussi acheté des arachides grillées au feu de bois (carbonisées, en fait, mais c’est pour ça que c’est bon) à une autre vieille dame très âgée, et trois mandarines trop mûres à une troisième.

Toutes ces dames sont assises par terre, alors chaque fois, je m’agenouille devant elles, je m’assois même. Je compte mes sous comme une enfant parce que je ne sais pas encore bien identifier les pièces. Souvent, parce que c’est moins compliqué que mettre mes lunettes et essayer de compter, je leur tends une poignée de monnaie pour qu’elles prennent le nécessaire. Elles me regardent de leurs yeux plissés, souvent voilés par une cataracte, me sourient gentiment, choisissent les bonnes pièces, me rendent la monnaie au besoin en fouillant sous leurs innombrables jupes, ajoutent parfois une poignée d’arachides de plus, ou un fruit supplémentaire, à ce que je viens déjà de ne pas payer assez cher.

Elles sont humbles, royales, extraordinaires, magnifiques, adorables.

Je ne marchande jamais. Ce serait indécent.

Quand je suis arrivée devant mon artisan, évidemment, il m’a reconnue puisque je suis la seule gringa, je pense, à errer comme ça au marché tous les jours. Je lui ai demandé le prix de sa petite table de chevet, il me l’a dit sur le ton de «même chose que l’autre jour, chère». Quarante soles. Soit 16$. Avec un minuscule tiroir fait vraiment par coquetterie parce qu’on ne peut pratiquement rien y mettre. La preuve: dans le tiroir, les petites pinces avec lesquelles j’attache mes petits cheveux. Elle est bancale comme ça ne devrait pas être permis, mais disons que ça fait partie de son charme?

Je vous écris toujours de ma chambre parce que c’est la seule pièce où la connexion ait un tant soit peu de fiabilité. Vous avez vu les jolis rideaux très gais de mon salon.

Dans ma chambre aussi, j’ai de très jolis rideaux. Ils sont trop courts parce que je me suis emmêlé les pinceaux en prenant les mesures. Bien moi, ça.

 

Xi’an

Nous avons quitté Xi’an ce matin. Quelle ville bizarre! Huit millions de personnes y vivent, soit autant que toute la population du Québec. Elle est hérissée de centaines de hauts immeubles sans âme où vivent tous ces gens dont nous ne savons rien. Elle est aussi dotée d’un métro ultramoderne qui ne compte que deux lignes, dont les stations immenses sont destinées à accueillir des foules qu’on n’ose pas imaginer. On peut supposer que le gouvernement construit en prévision de ce qui s’en vient: un raz-de-marée de personnes jeunes, mobiles, avides de tout. 

À la porte sud des remparts, les enseignes de prestige se font concurrence: Gucci, Rolex, Vuitton, nommez-les, elles y sont toutes. Sur les trottoirs larges comme des avenues, ici et là, des gens qui portent leur misère comme une deuxième peau fouillent les poubelles ou mendient dans l’indifférence générale, incarnations de la détresse humaine et de la solitude. On se demande qui peut magasiner dans ces nouveaux temples. Quand on y réfléchit,  même si seulement 2% de la population chinoise a les moyens de s’offrir ces objets ridiculement chers, ça fait encore un marché considérable.

Un boulevard à quatre voies encercle la vieille tour de la Cloche. Si on veut le traverser, il faut emprunter un passage souterrain, tout rutilant de travertin poli. Bon, je dis «vieille» tour, mais en réalité il n’y a plus grand-chose de vraiment ancien, ici. Les remparts, les tours de guet, les casemates, tout a été reconstruit, dans certains cas autour de 1986. Comme les techniques de construction traditionnelles sont toujours en usage, on n’y voit que du feu. Il faut dire que les Chinois sont les rois de l’imitation… Voilà qu’ils s’imitent eux-mêmes, ce qui est quand même le fin du fin!

La promenade sur les remparts ne donne vue que sur des tours modernes et des toits pseudo-anciens. C’est probablement très joli le soir, quand les guérites et les tours sont tout illuminées. Et croyez-moi, on ne lésine pas sur les diodes électroluminescentes.

En fait, ce qui est chouette, ici, comme je le subodorais, c’est le quartier musulman. Quelle vie, quelle animation! Il y a de la nourriture PARTOUT (je l’ai dit, je ne pense qu’à ça). Dès le matin, des brochettes de mouton, de foie, de crabe, de calmar répandent leur parfum dans les rues étroites. Il y a des pains plats farcis de viande hachée, des gâteaux de semoule, des pommes de terre grelot rissolées, des tuiles de noix, de graines de sésame ou de tournesol, il y a des choses que je n’ai jamais vues. J’ai envie de goûter à tout.

Le soir, dans une petite rue tout près de notre auberge, des stands de cuisine remplacent les éventaires qui, le jour, vendent des pinceaux, des statuettes de jade, des amulettes, de petits cadres. Des tables apparaissent soudain, et aussi des tabourets, des barbecues, des étals de brochettes et de légumes. On s’assoit sur ces tabourets d’école maternelle, on commande de la Tsing Tao à 2$ la grande bouteille, et soudain quelqu’un apporte des brochettes qu’on n’a pas commandées mais qui sont si appétissantes qu’on les prend. Peu importe où l’on s’assoit, on peut commander partout autour. Il y a un type qui ne travaille qu’au wok, le visage protégé par un masque de chirurgien, avec une telle adresse, une telle efficacité, je ne me lassais pas de l’observer. C’est chez lui que nous avons pris ces minicourgettes extrafines avec encore des pétales de fleur attachées au bout, et ces palourdes exquises, relevées juste ce qu’il faut, comme nous n’en avions jamais mangé.

Et les soldats de terre cuite? Ben oui, nous y sommes allés. En bus municipal, rien de plus simple. Les agences demandent au moins 350¥ (70$) par tête de pipe pour une visite guidée, ça nous a coûté 9¥ pour le transport, 150¥ pour l’entrée.

Pis? 

Intéressant, en vérité. Fascinant, même. Pas déçue d’y être allée. Mais je n’ose imaginer les foules qui doivent se presser là en haute saison. Dans la salle où sont exposés les chariots et les chevaux de bronze (magnifiques), il y avait une telle cohue, tant de bruit, d’agitation, de chaleur, c’était un spectacle en soi.

Nous voici maintenant à Hangzhou, une autre ville qui pousse à vitesse grand V. En fait, c’est proprement hallucinant. Pour y entrer, on traverse une forêt d’échafaudages, de grues, de structures de béton hérissées de tiges d’acier, d’immeubles en construction ou terminés mais encore inhabités. Des dizaines et des dizaines de tours de 30 étages enserrent la ville, que Marco Polo ou je ne sais plus qui avait décrite comme l’une des plus jolies de Chine.

Et c’est vrai que c’est joli. Le vieux centre est charmant, paisible, harmonieux, du moins ce que nous en avons vu en marchant de la station de métro à notre hôtel, où nous nous sommes posés avec délice pour savourer une Tsingtao bien froide.

À plus pour la suite!