Intermezzo italiano

La Sissi n’a plus un mot à dire: j’ai repris l’avion, et mon blogue du même coup.

Deux ans sans voyager! Je n’en pouvais plus.

J’ai laissé l’impératrice entre d’excellentes mains, sans arrière-pensée aucune puisqu’elle pourra régner en son domaine comme il se doit.

À ce sujet, je ne saurais trop vous recommander de visiter le site où j’ai trouvé cette perle de Mélanie, qui va loger chez moi en mon absence dans un échange de bons procédés qui me redonne toujours confiance en l’humanité: elle voyage à peu de frais, et je voyage en paix. C’est pas beau, ça?

En tout cas.

Au moment où j’ai commencé à écrire ces lignes, il était 14h30 à Montréal.

Je n’ai eu aucun mal à faire croire à mon horloge circadienne qu’il était 20h30 à Rome et qu’il était temps de souper. C’est donc ce que j’ai fait, avec deux fromages divins, du prosciutto coupé à la main en tranches aussi fines que du papier par un artiste de la chose et un bout de pain de campagne, ainsi qu’une petite salade de roquette et de tomates.

Tout est tellement meilleur que chez nous, je n’en reviens jamais.

Je loge dans le Trastevere (un quartier «hors les murs» de Rome), chez Sharon, née en Colombie de père italien et de mère britannique (d’où son prénom). Elle est chanteuse classique, et c’est assez drôle parce que Mélanie, notre nouvelle amie à Sissi et moi, l’est aussi. Qui c’est déjà qui disait qu’il n’y a pas de hasard?

Je compte aller demain au marché de Testaccio, de l’autre côté du Tibre, sous lequel (comme dans toute la ville, en fait), il y a des vestiges du commerce qui se tenait là au temps de l’empire romain et qui sont visitables.

Vous savez, si vous me connaissez, que j’aime par dessus tout visiter les marchés quand je voyage.

En revanche, les ruines ne m’intéressent que moyennement, surtout quand ce sont celles d’un empire qui a tout gobé, volé et broyé avant de s’effondrer. Mais j’adore me remémorer mes cours de latin et d’institutions latines, qui me permettent de comprendre et ce pays et sa langue, et d’aimer les deux immodérément.

J’irai donc, et je marcherai jusqu’au Colisée, juste pour le saluer, lui, et pour m’imprégner de cette ville que j’aime d’amour.

Et je précise que le titre de cette chronique est une pure imposture: dans la vraie vie authentique de la réalité quotidienne qui se présente à tout instant chaque jour dans sa cruelle vérité, JE SUIS INCAPABLE DE FORMULER SPONTANÉMENT UNE PHRASE COHÉRENTE en italien.

Vous dire comme ça me frustre…

Je me sens complètement muselée. La reine des impostrices (eh oui, Messieurs de l’Académie, il faudra vous rendre à l’évidence: ça existe!).

À Chefchaouen

Croyez tout ce que vous lirez au sujet de Chefchaouen: c’est probablement la plus jolie ville du Maroc, ce qui n’est pas peu dire. Évidemment, ceci expliquant cela, elle est infestée de touristes et minée par les conséquences que l’on imagine.

Je me sens toujours un peu malvenue de déplorer les effets du tourisme de masse puisque, dans une certaine mesure, on peut dire que je contribue à la chose. Mais le phénomène devient vraiment calamiteux, et, je regrette d’avoir à le dire, c’est en bonne partie à cause des Chinois. Au Maroc en particulier, les autocars les déversent à pleines charretées dans les rues des villes; ils se répandent comme des sauterelles, prennent des zillions de photos n’importe où comme des malotrus, mangent invariablement au seul restaurant chinois du coin et repartent sans avoir dépensé un dirham. Tout ce qu’ils laissent aux «locaux», c’est l’impression d’avoir connu l’une des sept plaies d’Égypte. Une pour chaque jour de la semaine.

Parce que le lendemain, ça recommence.

D’ailleurs, Fatima, la maman du proprio de la maison où je loge, m’a bien fait rigoler quand elle m’a expliqué ça avec ses 10 mots de français. Son expression dégoûtée valait tout le vocabulaire du Petit Larousse.

Fatima est chargée des soins de la maison et de ses locataires. Elle m’a accueillie avec sa gentillesse toute marocaine et l’incontournable thé à la menthe, qu’elle a pris le temps de boire avec moi. C’est comme ça que nous avons pu papoter gentiment entre femmes. Elle a 65 ans, elle a sept enfants (cinq garçons, deux filles) qu’elle a élevés seule parce que son mari est mort d’un cancer du cerveau à 35 ans. Elle était alors enceinte de son dernier, Mehdi, le proprio de la maison, justement, qui vit à Melbourne avec Julie, une Australienne d’origine chinoise. Là encore, sa façon d’expliquer comment la Julie a mis le grappin sur son Mehdi valait de l’or.

Ça fait que Fatima ne s’est jamais remariée. Ça aurait voulu dire avoir d’autres enfants, et, pour elle, c’était hors de question («Non non non! Fini-fini!»).

Je lui ai raconté mon petit bout d’histoire au fil de ses questions («et le papa? Fini-fini? Travail? Fini-fini?»). Nous nous sommes montré des photos de nos enfants, elle a trouvé que Jules me ressemble, bref, nous avons bien rigolé.

Pas mal, comme conversation, pour deux femmes qui ne parlent pas la même langue, non?

Fatima, en train de servir le thé de bienvenue.
Mon petit salom

Encore une histoire de taxi

Parlant de langue, j’ai eu ce matin un imbroglio digne d’une comédie burlesque avec un chauffeur de taxi. On dirait que c’est mon destin.

Pour me rendre de Tanger à Chefchaouen, j’avais réservé un billet de bus de la compagnie CTM, qui couvre la distance en trois heures et en tout confort pour la modique somme de 50 dirhams (environ 7,50$).

La fille de mes logeurs m’ayant expliqué que les entreprises de transport avaient toutes été regroupées dans la nouvelle gare routière, construite à grands frais complètement en dehors de la ville, j’ai hélé un taxi au hasard pour m’y rendre.

Roule pis roule, à un moment donné, un affreux doute s’est emparé de moi. J’ai consulté de nouveau mon billet de bus, puis Google Maps, pour me rendre compte que l’adresse de la gare de départ se situait dans la direction complètement opposée à celle qu’avait prise mon chauffeur, que j’appellerai Mohammed sans trop risquer de me tromper (mais c’était peut-être aussi Ali).

J’ai demandé à Mohammed (ou Ali) de s’arrêter et je lui ai montré l’adresse sur mon téléphone. Mais je crois qu’il ne savait pas lire. Il répondait à mes questions dans un mélange d’espagnol, de français et d’arabe absolument indéchiffrable. J’ai fini par décider de lui faire confiance – après tout, j’étais partie avec beaucoup d’avance, j’aurais toujours le temps de me rendre ailleurs au besoin. Nous avons fini par arriver à cette invraisemblable gare routière toute neuve construite au milieu de nulle part, qui s’élève comme un ridicule et orgueilleux palais de ciment blanc dans ce qui était la campagne il n’y a encore pas si longtemps.

Mohammed (ou Ali) a accepté de m’attendre, le temps que j’aille vérifier si mon bus partait bien de là.

Pantoute, mes amis.

Quand je suis revenue, la mine dépitée et pas trop contente, il a protesté: «Ti me dis gare ritière, ji t’amène gare ritière!» J’ai fait amende honorable – en effet, j’avais dit «gare routière». J’en ai été quitte pour le double du prix de la course (puisqu’il a fait le double de la course) et pour un tour de conduite sportive dans la lointaine périphérie de Tanger.

Ça m’apprendra à lire mes billets de bus comme du monde.

Je vous laisse sur les premières photos de Chefchaouen la Bleue. Profitez-en, on annonce trois jours de pluie (zut), je ne pense pas pouvoir faire mieux. B’slama!

L’heure péruvienne

J’ai trouvé mon appartement jeudi matin. Un joli logement neuf dans une rue toute fleurie, plein de lumière mais vide de tout le reste. Je dois donc le meubler et l’équiper, ce pour quoi SUCO me donne une allocation de quelque 800$, si ma mémoire est bonne. J’ai trouvé un canapé modulaire rouge et noir pas trop hideux (on semble beaucoup aimer les trucs brun foncé et massifs, ici), ainsi qu’un lit et un matelas qui devraient faire l’affaire, le tout pour 1500 soles, soit 600$. Mais je n’achèterai évidemment rien avant d’avoir signé le bail en bonne et due forme, ce qui commence à ressembler à un jeu de colin-maillard.

On a remis le contrat au proprio hier après-midi pour qu’il en prenne connaissance et remplisse sa partie, après quoi il faut le soumettre à SUCO pour approbation avant la signature. On espérait bien régler ça vers 18h, mais le monsieur a refusé de donner ses coordonnées bancaires afin que SUCO puisse verser le loyer directement dans son compte.

En fin de journée, il y a consenti mais, comme il était tard, on a remis la signature à aujourd’hui. On devait régler ça à 17h, mais le monsieur n’a pas donné signe de vie et, de toute façon, Yony était à l’extérieur de la ville, comme la moitié de la population: aujourd’hui, c’est férié pour cause d’Immaculée conception.

Je pars lundi soir pour quelques jours à Lima, afin d’assister à des réunions, après quoi je dois monter à Huari (mais je ne me souviens plus pourquoi!). Je ne serai donc vraisemblablement pas de retour à Caraz avant le 20 ou le 21 décembre.

J’aurais bien aimé emménager avant de partir, mais, à l’heure où je vous écris, rien n’est moins sûr. Encore que, selon Sarah, ma coordonnatrice, tout soit encore possible.

On verra bien. Le tout, c’est de rester zzzzzzzeeeennnnnnnnnnn.

Fiesta

Ce vendredi de congé a commencé au son des pétards, que les gamins du monde entier, dirait-on (sauf chez nous), font éclater partout chaque fois qu’ils en ont le prétexte. Il s’est poursuivi dans une sorte de langueur, devant l’imposante église de pierre qui domine la place centrale, où les familles déambulaient après la messe en mangeant des glaces.Ce soir, toute la ville vibre au son de la salsa et du reggaeton, qui émanent d’innombrables salles de fête. La musique va sans doute durer jusqu’au petit matin (la semaine dernière, ça s’est terminé à 5h). C’est assez curieux, en fait, ce contraste entre les dames du marché vêtues de leur costume traditionnel et cette jeunesse assoiffée de modernité…

De choses et d’autres

Les chiens

Celui-ci, c’est le boss de mon hôtel.

Je pense qu’il y a au moins autant de chiens que d’humains dans cette petite ville de quelque 25.000 habitants. Ils roupillent à l’ombre sur les crottoirs (non, ce n’est pas une coquille), trottinent de guingois en quête d’on ne sait quoi, éventrent les sacs poubelles, se reniflent mutuellement l’arrière-train et, évidemment, copulent à tout venant. Ils entrent carrément dans les restaurants et se couchent discrètement dans un coin, d’où personne ne songe à les chasser. Ils sont parfois très laids, hirsutes, vagues héritiers de cette race péruvienne sans poils qui leur a laissé le corps absurdement nu et quelques touffes de crin sur l’échine. L’universel chien jaune, évidemment, tient une bonne place dans cette meute mouvante et disparate, mais on y voit aussi divers bâtards de toutes couleurs, de toutes tailles et de tout poil.

J’ai rencontré dimanche une dame très gentille qui en a adopté six (SIX!), auxquels elle a abandonné ce qui devrait être son salon. Quand on arrive devant chez elle, on est accueilli par un affreux concert d’aboiements déchaînés. Beurk.

Maria-Angelica (c’est son nom) m’a abordée alors que je marchais le nez en l’air, dans l’espoir d’apercevoir une éventuelle affiche «Departamento de alquiler» (appartement à louer). Elle a cru que je cherchais un hôtel et voulait me proposer le gîte qu’elle tient non loin du marché. Quand je lui ai expliqué le but de ma quête, elle m’a tout de suite demandé si j’aimais les animaux. Spontanément, j’ai dit non, parce que j’avais visité l’appartement d’une ancienne coopérante de SUCO qui avait recueilli un chien errant, ce dont la propriétaire s’était montrée fort mécontente. Quand j’ai visité l’appartement, c’est la première chose qu’elle a demandée: si j’avais un chien. Une fille soigne son dossier…

Mais, sur le visage de Maria-Angelica, ma réponse a peint une consternation telle que je me suis sentie obligée de préciser que je n’avais rien contre les animaux mais que je n’avais simplement pas l’intention d’en garder chez moi. C’est là qu’elle m’a demandé si je connaissais une certaine Catherine… la coopérante qui avait adopté un chien!

C’est drôle.

Logement

Dans une petite ville comme celle-ci, les possibilités ne sont pas innombrables. L’ancien logement de la fameuse Catherine m’a paru sombre et déprimant. J’en ai visité un autre tellement grand que j’aurais peur de m’y perdre. Un autre si petit que je ne pourrais pas avoir de visite. Un autre, pas très grand mais coquet, qui aurait pu faire l’affaire s’il n’était pas juste à côté du marché, donc au milieu d’un brouhaha constant, de jour comme de nuit, avec les pétarades des motos-taxis, les cris des vendeurs, la musique, les fiestas… non merci. Un autre encore, que j’ai vu aujourd’hui, a bien deux chambres, mais il se trouve aux limites de la ville, dans un quartier un peu glauque, près de la base militaire.

Y en aura pas de facile, comme on dit.

Je suis en train d’épuiser les possibilités et peut-être aussi mon pauvre Yony, qui me sert d’ange gardien, de conseiller, d’interprète et de mémoire. Va falloir choisir. J’ai un autre logement à visiter demain, je croise les doigts pour qu’il y ait deux chambres, assez de lumière, un calme relatif et de bonnes serrures.

Le temps qu’il fait

La saison des pluies commence. Il fait doux et beau le matin, puis des nuages noirs s’amoncellent au-dessus des montagnes. Ça se met à tomber comme des cordes vers 16h, puis ça s’arrête (ou pas). Quand ça s’arrête, l’eau continue de dévaler les rues en pentes, déborde des caniveaux, sort en jets des gouttières. Puis le soleil reparaît (parfois) dans un ciel de fin du monde, fait luire tout ça d’un éclat argenté, une petite vapeur monte… on ne sait plus comment s’habiller. La nuit, quand ça tombe dru, j’ouvre ma fenêtre pour entendre bruire les feuilles du citronnier sous l’averse. J’adore ça,

Les gens me demandent si je ne souffre pas trop du froid. «Qué frío?», je réponds. Quand je leur dis qu’il doit faire –5 en ce moment au Québec, ils me regardent d’un air horrifié. C’est drôle, ça aussi.

On en a comme ça pour jusqu’à la fin février, apparemment. Après, ce sera l’été. Les prés qui grimpent à l’assaut des montagnes seront tout verts, puis rouge feu grâce aux épis plumeux des plants de kiwicha. Ce sera le moment de venir me voir. Je ne garantis pas que j’aurai une chambre pour vous… mais mon amie Maria-Angelica loue des chambres vraiment pas chères et il y a à tous les coins de rue de petits hôtels très corrects à 15$ la nuit (comme celui où je loge présentement).

À suivre, en tout cas…

Fragments

Jusqu’ici, prise dans le tourbillon des formalités à remplir, je n’ai vu que Cotonou – à peu près toujours les mêmes rues, entre l’appartement où je loge (chez un jeune collègue) et le commissariat (où il faut faire authentifier une photocopie de mon passeport) en passant par la banque ou la maison du chef de quartier. Ce dernier est censé délivrer une  attestation de résidence, c’est-à-dire qu’il signe une déclaration qui certifie qu’il vous a bien vu, vous-même en personne, et que vous habitez bien à telle adresse, ce qui remplace votre passeport dans la vie de tous les jours. Histoire de simplifier les formalités (!), au cas où il ne serait pas à la maison quand on a besoin de sa signature, il laisse des formulaires signés d’avance, si bien que c’est Hilarion, chauffeur et logisticien d’Oxfam, qui a rempli le papier et qui a apposé les tampons idoines.

Aujourd’hui, je suis allée avec Alexandre (mon jeune hôte) faire les courses pour une petite fête d’accueil (pour moi!) et d’au revoir (pour deux personnes qui partaient). Je me suis tellement amusée à négocier avec les marchands, il y a un tel pétillement dans le regard de tous, je sais déjà que j’aime ce pays. J’aime en tout cas ses gens, ses couleurs, ses contradictions, son âme.

***

J’ai visité deux appartements, j’en verrai un troisième lundi. Compte tenu des conditions de vie des gens du cru (et même de bien des gens de chez nous), j’ai le choix entre super-extra-luxe, extra-luxe ou super-luxe. C’est-à-dire: trois chambres à coucher assurément, parfois munies chacune de leur salle de bains; cuisine avec gazinière et frigo; salle à manger, salon, terrasse, télé à écran plat…

L’eau chaude? Aucune nécessité, la douche fraîche est infiniment bienvenue à la fin d’une journée. La différence réside dans d’infimes détails, comme la situation géographique (près de la mer? quartier d’expats? quartier populaire? près des bureaux d’Oxfam? rues inondées pendant la mousson?).

Bref, je pense que nous serons bien partout, Oxfam y veille. Ça pourrait être gênant, mais j’ai fini par comprendre que les candidats à la coopération volontaire, en fin de compte (et malgré tout ce que je croyais), ne se bousculent pas nécessairement au portillon et qu’il faut un minimum de confort si on veut les garder pendant un certain temps. Je pense sincèrement que je me serais contentée de bien moins, mais l’avenir le dira: 10 mois, ce n’est pas comme trois semaines…

J’ai rencontré la plupart de mes collègues, notamment la très belle Fidelia, qui m’a montré ce matin comment nouer le pagne qu’elle porte avec tant de royale élégance. Je l’ai bien fait rigoler quand je lui ai dit que j’étais certaine d’avoir l’air d’un balai en robe du soir et que j’aimais mieux ne pas me voir. On ne parlera même pas du turban. Je ne vais pas me déguiser en Africaine, j’ai dit, ce serait ridicule (je n’ai pas ajouté qu’on a déjà quelqu’un qui fait ça au Québec, merci beaucoup).

En tout cas, Fidelia (quel beau nom, non?) est mère d’une petite poupoune de 4 mois qui s’appelle Prunelle (j’adore!), et nous avons convenu que j’irais chez elle filmer le bain du bébé, parce que c’est tout un rituel, que c’est chouette et qu’on aime ça et que ça ne se passe pas comme ça chez nous. À suivre!