Encore Huari

Ben oui. Encore Huari. J’ai quitté Caraz jeudi à midi, pour prendre le bus de 14h30 à Huaraz au lieu de celui de 17h. Je voulais arriver plus tôt là-bas, avoir le temps de souper tranquille, tout ça.

J’ignorais à quel point ça changerait tout. Faire cette route de jour m’a permis de voir des paysages que je ne pouvais même pas imaginer. Tant de beauté! Des cultures en terrasses jusqu’en haut des montagnes, que tu te demandes comment ils font pour monter jusque-là, et aussi comment ils font pour descendre leurs récoltes.

Des accidents de terrain qui te font voir exactement comment la croûte terrestre s’est soulevée et remise tout de travers, avec des strates verticales tellement surréalistes que le parc du Bic est un amateur à côté de ça.

Je me suis endormie malgré moi pendant une vingtaine de minutes, le temps de franchir le tunnel qui passe sous le plus haut sommet et d’amorcer la descente. Je peux vous dire, pour être restée éveillée au retour, que je n’ai rien manqué de grave. Et que ce que j’ai vu est gravé dans ma mémoire, fût-elle déclinante.

Pour une fois, à Huari, il faisait doux, avec un gentil soleil qui rougeoyait derrière les montagnes vert émeraude. Je n’y ai presque pas cru. Même à cette heure impitoyable à laquelle le soleil disparaît, où on n’a plus qu’à se terrer sous les couvertures (selon ma brève expérience), je n’avais que mon petit cardigan noir, et je n’avais pas froid!

Vendredi, on a passé toute la journée, ma jeune collègue Diana et moi, à bricoler des trucs en prévision de l’atelier du samedi.

Bricoler, absolument: découper du carton, préparer des étiquettes de nom personnalisées pour les participantes, courir à la libreria pour les faire plastifier, écrire des titres sur des affiches, name it. Ça m’a rappelé mes années d’école. Le bristol de couleurs pastel, le son de la tranche (qu’on appelle guillotina en espagnol), l’odeur des stylos feutres… euh, non, pas d’odeur de stylos feutres. De nos jours, on utilise des encres solubles à l’eau. C’est moins toxique, bien sûr. Mais j’aurais bien aimé retrouver cette bonne vieille odeur qui faisait qu’on riait comme des folles après trois ou quatre heures à travailler dans notre petit local d’affichistes, à l’école secondaire.

En tout cas.

On est partis pour Yanagaga bien en retard, mais personne ne semblait s’en inquiéter. Quand nous sommes arrivés, un peu avant 10h, il n’y avait presque personne au petit local communautaire. Nous attendions 25 femmes, l’atelier devait commencer a 9h, j’ai pensé que ce serait un flop total.

Mais non. On dirait que les femmes se sont matérialisées tout d’un coup. On a fini par avoir plus que les 25 attendues. Avec leurs enfants, leurs bébés, leur tricot, elles étaient toutes là, simples, belles, attentives dans la mesure du possible.

On voulait leur dire qu’elles n’ont pas à assumer seules toutes les charges du foyer. Et que leur travail vaut au moins autant que celui de leur mari. Que nous avons des siècles de comportements acquis à transformer.

Ça prendra le temps que ça prendra.

Je ne sais pas dans quelle mesure le message fera son chemin. Mais je peux vous dire que, quand il a été question d’un éventuel pouvoir magique et de ce qu’on pourrait en faire, j’ai évoqué «Cambiar el esposo» (changer le ou de mari), et elles ont toutes, sans exception éclaté de rire.

Ma petite victoire de la journée.

Je mettrai des photos demain, promis.

 

Les femmes

Je vous ai brièvement parlé de l’école de Gothèye ici. Nous avons passé là-bas quelques jours, notamment à l’occasion de la fête de fin d’année, où nous avons pu rencontrer les enseignantes, les cuisinières, les élèves, leurs parents… En fait, ce jour-là, le village entier était réuni dans la grande cour sablonneuse de l’école, sous un soleil impitoyable, pour assister à la distribution des prix.

Ce qui me frappe toujours, c’est la force des femmes. Elles travaillent sans relâche de l’aube au crépuscule, au puits, aux champs, aux fourneaux, avec un bébé sur le dos (ou enceintes, ou les deux), dans des conditions souvent intenables. Analphabètes pour la plupart, elles font des miracles avec trois fois rien et sont l’incarnation de la débrouillardise. Drôles, dignes, spirituelles, touchantes, résilientes, fières, les voici.

La clé du développement

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L’une des écoles que nous avons visitées se trouve dans un gros bourg rural aux maisons de brique crue plantées n’importe comment de part et d’autre d’une unique voie goudronnée. D’étroites ruelles sablonneuses serpentent entre ces maisons qui semblent n’avoir pas changé depuis 1000 ans. On y trouve quelques petites mosquées et deux bars bien discrets où, presque en cachette, les mécréants comme nous vont communier aux saintes espèces que sont la bière locale (la Niger) et les arachides rôties tandis que le muezzin s’égosille.

L’école comptait à son ouverture, en 2006, 33 élèves. C’était une simple paillote bâtie à la lisière du bourg, dans une zone particulièrement défavorisée où envoyer les enfants en classe constitue une gêne plus qu’un avantage puisqu’on ne peut plus, alors, les faire travailler aux champs ou les envoyer garder les troupeaux, comme ces deux petits, photographiés à quelques mètres seulement de l’école, qu’ils ne fréquentent pas:

Or, depuis qu’Oxfam et ADD y ont implanté une cantine, l’effectif de l’école est passé à quelque 500 élèves, dont une bonne moitié de filles, lesquelles réussissent mieux que les garçons. Évidemment, c’est un exploit dont tout le monde se réjouit. Les discours officiels n’ont pas manqué de souligner que l’éducation des jeunes filles est la clé du développement et qu’elle doit être une priorité pour la société nigérienne.

Ce qui n’a pas empêché plusieurs messieurs instruits et auteurs de ces beaux discours de défendre farouchement le bien-fondé de la polygamie dès que j’ai abordé le sujet dans un cadre un peu moins formel: le Coran le permet, alors c’est correct. Je leur ai fait remarquer que le Coran a été écrit au VIIe siècle et que, depuis, la société a quand même évolué un tant soit peu, mais bon, paraît qu’on ne peut pas remettre en question cette sourate-là. Les autres, oui, genre: les 40 coups de fouet ne sont peut-être plus indiqués dans le cas de l’apostasie, et il se pourrait que lapider la femme adultère soit un châtiment cruel et excessif… Encore que l’un des messieurs ait osé me dire que si c’est dans la Constitution d’un pays, c’est légal et démocratique, donc acceptable.

J’ai eu du mal à ne pas le mordre. Je vous ai dit que je fais des progrès en matière de diplomatie?

En tout cas. Ce que ces messieurs (qui n’en sont pas à une contradiction près) n’ont peut-être pas encore compris, c’est que, quand leurs filles seront assez instruites, elles n’accepteront probablement plus qu’on les traite comme du bétail. C’est du moins la grâce que je leur souhaite (aux filles, bien sûr).

En attendant, mes beaux messieurs, continuez de militer pour leur éducation!

L’eau

On a vu assez de reportages sur les sécheresses catastrophiques qui ont éprouvé le Sahel pour le savoir: ici, l’eau est littéralement une question de vie ou de mort. Trop de pluie et les semences de mil, base absolue de l’alimentation, seront lessivées; pas assez, les plants se dessécheront. Dans les deux cas, les récoltes seront compromises et, partant, la subsistance d’une famille, d’un village, d’une commune.

Pour s’assurer d’une eau potable, il faut forer à plus d’une centaine de mètres de profondeur. Les puits ouverts, moins profonds, risquent plus facilement de se contaminer ou de s’assécher.

À Garougandji, dans la région de Dosso, il y a donc un puits classique, dont l’eau sert à abreuver le bétail et à diverses tâches domestiques. On s’en servait aussi pour arroser le jardin scolaire, mais, à quelque 30 mètres de profondeur, remonter l’eau était une tâche trop lourde pour les écoliers. On a donc abandonné le jardin, qui se dessèche tristement à quelque mètres de là. Une mare, juste à côté, pourrait fournir l’eau nécessaire, mais elle se tarit trop tôt. Selon le directeur de l’école, la creuser un peu permettrait que plus d’eau s’y accumule en saison des pluies, de sorte que l’on pourrait arroser le potager jusqu’à la fin des récoltes.

Quant à l’eau potable, on la puise un peu plus loin, au «forage», qui fait plus d’une centaine de mètres de profondeur, grâce à une pompe hydraulique que les jeunes filles actionnent vigoureusement du pied.

Il règne autour de ces deux pôles une activité constante, rythmée par le grincement des poulies, la chanson fraîche de l’eau qu’on transvase et, bien sûr, les rires des femmes. C’est la vie elle-même qui se déroule là où elle prend sa source.