La fête des Mères

J’ai grandi en entendant ma mère nous répéter que la fête des Mères n’était qu’un truc commercial inventé pour vendre des fleurs et des chocolats et que ça n’avait aucune importance ni aucun sens.

Malgré tout, j’arrivais inévitablement de l’école avec mes cartes de voeux copiés du tableau noir et mes bricolages (bonjour, collier de macaronis, petit panier de raphia orné de fleurettes en cure-pipes, bocal peint à la gouache, cendrier en pâte d’amiante — oui, oui, mes enfants, de la pâte d’amiante, qu’on manipulait comme de la glaise, et un cendrier, objet désormais disparu de nos vies).

Quand on a commencé à avoir un peu de sous, mon frère Charles et moi, on achetait des cadeaux cheap et inutiles — un beurrier de plastique rouge, un mini-vase de céramique avec de mini-fleurs séchées, des chocolats pris à la tabagie du coin…

Dans mon souvenir, elle n’a même jamais fait semblant d’être émue ou contente. Elle nous répétait qu’on n’aurait pas dû, c’est tout.

Ma mère est morte quand j’avais 17 ans, mais j’avais eu largement le temps d’intégrer dans mon petit schéma personnel que la fête des Mères, la fête des Pères, la Saint-Valentin, l’Halloween, même Noël, tout ça, c’était du chiqué, du toc, du pas-nécessaire.

J’ai commencé à travailler là-dessus quand j’ai eu mon fils. Je ne voulais pas qu’il vive les mêmes désappointements que moi. Je voulais qu’il soit heureux de faire plaisir, et j’ai donc appris aussi à ne pas bouder le mien, de plaisir.

Ça fait que mon fils a presque toujours fait un petit extra pour la fête des Mères. Pour moi, mais aussi pour sa grand-mère.

Aujourd’hui, ma jeune et adorable collègue Nora, que j’appelle Angelita (petit ange) parce qu’elle veille à tout, silencieuse et absorbée dans ses papiers, est venue me voir pour me dire que, aujourd’hui, nous étions invités pour l’almuerzo à la chicharronería d’en face, un resto où nous n’allons jamais sauf en cas de festivités. Comme j’en perds encore parfois des bouts, j’ai pensé que c’était l’anniversaire d’un collègue, quelque chose du genre.

Puis j’ai compris que c’était pour la fête des Mères, qu’ils et elles avaient décidé de souligner aujourd’hui parce que je pars demain pour Huari. Et aussi, je pense, parce que je suis leur aînée à tous, et donc un peu leur maman.

La fête des Mères, au Pérou, on ne rigole pas avec ça.

Nuri, María Isabel et moi avons donc reçu chacune une rose rouge et un petit cadeau joliment emballé, tout ça grâce à Nora (qui n’est pas encore maman) et à nos deux collègues masculins présents, José et Martín, qui ont solennellement pris la parole pour nous rendre hommage. On a trinqué avec un vin rosé sucré, c’était gentil et sympathique comme tout, j’étais vraiment émue.

Comme je pars demain pour une bonne semaine, j’ai donné ma rose à Nora, qui m’a serrée très fort dans ses bras avant de rentrer chez elle, à une heure et demie de route d’ici.

Nuri aussi m’a fait un gros abrazo quand j’ai à mon tour quitté le bureau. Et Maria Isabel m’a crié avec son air de petite fille espiègle « No te vaaaaayaaaaas!» (Ne t’en va paaaaaas!)

Je suis partie le coeur léger, pleine de reconnaissance et d’amour, en me disant: «Vive la fête des Mères, en fin de compte.»

Et c’est ce soir que mon fils, à qui je n’avais pas parlé depuis presque deux mois, a choisi de m’annoncer qu’il s’était racheté une moto.

Un an presque jour après l’accident de l’an passé, le deuxième. dont il s’est miraculeusement sorti indemne.

Comme cadeau de la fête des Mère, disons que Je l’ai mal pris.

Encore Huari

Ben oui. Encore Huari. J’ai quitté Caraz jeudi à midi, pour prendre le bus de 14h30 à Huaraz au lieu de celui de 17h. Je voulais arriver plus tôt là-bas, avoir le temps de souper tranquille, tout ça.

J’ignorais à quel point ça changerait tout. Faire cette route de jour m’a permis de voir des paysages que je ne pouvais même pas imaginer. Tant de beauté! Des cultures en terrasses jusqu’en haut des montagnes, que tu te demandes comment ils font pour monter jusque-là, et aussi comment ils font pour descendre leurs récoltes.

Des accidents de terrain qui te font voir exactement comment la croûte terrestre s’est soulevée et remise tout de travers, avec des strates verticales tellement surréalistes que le parc du Bic est un amateur à côté de ça.

Je me suis endormie malgré moi pendant une vingtaine de minutes, le temps de franchir le tunnel qui passe sous le plus haut sommet et d’amorcer la descente. Je peux vous dire, pour être restée éveillée au retour, que je n’ai rien manqué de grave. Et que ce que j’ai vu est gravé dans ma mémoire, fût-elle déclinante.

Pour une fois, à Huari, il faisait doux, avec un gentil soleil qui rougeoyait derrière les montagnes vert émeraude. Je n’y ai presque pas cru. Même à cette heure impitoyable à laquelle le soleil disparaît, où on n’a plus qu’à se terrer sous les couvertures (selon ma brève expérience), je n’avais que mon petit cardigan noir, et je n’avais pas froid!

Vendredi, on a passé toute la journée, ma jeune collègue Diana et moi, à bricoler des trucs en prévision de l’atelier du samedi.

Bricoler, absolument: découper du carton, préparer des étiquettes de nom personnalisées pour les participantes, courir à la libreria pour les faire plastifier, écrire des titres sur des affiches, name it. Ça m’a rappelé mes années d’école. Le bristol de couleurs pastel, le son de la tranche (qu’on appelle guillotina en espagnol), l’odeur des stylos feutres… euh, non, pas d’odeur de stylos feutres. De nos jours, on utilise des encres solubles à l’eau. C’est moins toxique, bien sûr. Mais j’aurais bien aimé retrouver cette bonne vieille odeur qui faisait qu’on riait comme des folles après trois ou quatre heures à travailler dans notre petit local d’affichistes, à l’école secondaire.

En tout cas.

On est partis pour Yanagaga bien en retard, mais personne ne semblait s’en inquiéter. Quand nous sommes arrivés, un peu avant 10h, il n’y avait presque personne au petit local communautaire. Nous attendions 25 femmes, l’atelier devait commencer a 9h, j’ai pensé que ce serait un flop total.

Mais non. On dirait que les femmes se sont matérialisées tout d’un coup. On a fini par avoir plus que les 25 attendues. Avec leurs enfants, leurs bébés, leur tricot, elles étaient toutes là, simples, belles, attentives dans la mesure du possible.

On voulait leur dire qu’elles n’ont pas à assumer seules toutes les charges du foyer. Et que leur travail vaut au moins autant que celui de leur mari. Que nous avons des siècles de comportements acquis à transformer.

Ça prendra le temps que ça prendra.

Je ne sais pas dans quelle mesure le message fera son chemin. Mais je peux vous dire que, quand il a été question d’un éventuel pouvoir magique et de ce qu’on pourrait en faire, j’ai évoqué «Cambiar el esposo» (changer le ou de mari), et elles ont toutes, sans exception éclaté de rire.

Ma petite victoire de la journée.

Je mettrai des photos demain, promis.

 

Chez les Peulhs

Les Peulhs sont l’une des nombreuses ethnies qui peuplent le Niger. Ils sont traditionnellement nomades et se déplacent au gré des saisons à la recherche de pâturages pour leurs troupeaux. Mais de plus en plus, ils se fixent, au moins durant la saison sèche, dans des campements constitués de fragiles cases de paille, non loin d’un village jerma ou haoussa (ici près de Komdili Béri, dans la région de Dosso).

Les femmes et surtout les jeunes filles se parent à la moindre occasion, et leur maquillage redéfinit les règles de la beauté.

Les femmes

Je vous ai brièvement parlé de l’école de Gothèye ici. Nous avons passé là-bas quelques jours, notamment à l’occasion de la fête de fin d’année, où nous avons pu rencontrer les enseignantes, les cuisinières, les élèves, leurs parents… En fait, ce jour-là, le village entier était réuni dans la grande cour sablonneuse de l’école, sous un soleil impitoyable, pour assister à la distribution des prix.

Ce qui me frappe toujours, c’est la force des femmes. Elles travaillent sans relâche de l’aube au crépuscule, au puits, aux champs, aux fourneaux, avec un bébé sur le dos (ou enceintes, ou les deux), dans des conditions souvent intenables. Analphabètes pour la plupart, elles font des miracles avec trois fois rien et sont l’incarnation de la débrouillardise. Drôles, dignes, spirituelles, touchantes, résilientes, fières, les voici.

L’eau

On a vu assez de reportages sur les sécheresses catastrophiques qui ont éprouvé le Sahel pour le savoir: ici, l’eau est littéralement une question de vie ou de mort. Trop de pluie et les semences de mil, base absolue de l’alimentation, seront lessivées; pas assez, les plants se dessécheront. Dans les deux cas, les récoltes seront compromises et, partant, la subsistance d’une famille, d’un village, d’une commune.

Pour s’assurer d’une eau potable, il faut forer à plus d’une centaine de mètres de profondeur. Les puits ouverts, moins profonds, risquent plus facilement de se contaminer ou de s’assécher.

À Garougandji, dans la région de Dosso, il y a donc un puits classique, dont l’eau sert à abreuver le bétail et à diverses tâches domestiques. On s’en servait aussi pour arroser le jardin scolaire, mais, à quelque 30 mètres de profondeur, remonter l’eau était une tâche trop lourde pour les écoliers. On a donc abandonné le jardin, qui se dessèche tristement à quelque mètres de là. Une mare, juste à côté, pourrait fournir l’eau nécessaire, mais elle se tarit trop tôt. Selon le directeur de l’école, la creuser un peu permettrait que plus d’eau s’y accumule en saison des pluies, de sorte que l’on pourrait arroser le potager jusqu’à la fin des récoltes.

Quant à l’eau potable, on la puise un peu plus loin, au «forage», qui fait plus d’une centaine de mètres de profondeur, grâce à une pompe hydraulique que les jeunes filles actionnent vigoureusement du pied.

Il règne autour de ces deux pôles une activité constante, rythmée par le grincement des poulies, la chanson fraîche de l’eau qu’on transvase et, bien sûr, les rires des femmes. C’est la vie elle-même qui se déroule là où elle prend sa source.