Puerto Vallarta

Je retrouve le Mexique tel que dans mes souvenirs (qui remontent quand même à 2010): bruyant, coloré, chaotique, nonchalant, débonnaire, avec ses enfants grassouillets, ses vendeurs ambulants, ses trottoirs meurtriers (ne JAMAIS marcher le nez en l’air ici — je me le suis cruellement rappelé, aujourd’hui, en me rétamant comme une débutante).

À l’aéroport, il y avait une file monstre pour en sortir, parce qu’on repasse les bagages aux rayons X, comme s’ils n’avaient pas été scrupuleusement scrutés à l’embarquement.

Il m’a bien fallu une heure pour enfin émerger à l’air libre, j’étais en nage, couettée comme un chat noyé.

Fait chaud, au Mexique. J’avais oublié ça, on dirait.

Puerto Vallarta est un drôle d’endroit. Station balnéaire autrefois très à la mode, elle a subi tous les outrages du tourisme de masse. Elle garde néanmoins, dans le quartier où je loge, quelques traces d’architecture coloniale (sûrement beaucoup plus dans le quartier historique, dit la Zona romántica).

Ses rues pentues et pavées de pierres rondes me rappellent celles de Huari, la petite ville où je me trouvais quand je suis tombée malade au Pérou — pas forcément de bons souvenirs, on s’en doute, mais je vais passer par-dessus.

Après avoir pris possession de ma chambrette et m’être rafraîchie, je suis allée voir la mer. Trois coins de rue et on y est. J’ai trempé mes pieds dans le Pacifique, puis je me suis écrasée dans un de ces petits bars de plage où, les pieds dans le sable, on peut boire une cerveza, manger une bouchée et regarder défiler la vie.

Les petites filles qui crient en jouant dans les vagues (ou vice versa).

Le couple de musiciens maison qui fausse affreusement sur des airs préenregistrés,

Le type en bobettes, sur la plage, manifestement très imbibé (et de moins en moins inhibé) qui danse seul sous son parasol au rythme de leurs chansons.

La famille mexicaine en vacances qui commande plats après plats.

Les Américains blasés et obèses qui ne se parlent pas.

Les vendeurs ambulants, las et tristes, qui proposent leur marchandise avec l’énergie du désespoir. Des T-shirts imprimés « Shut up, liver, you’re fine! », des colibris fait de perles de verroterie (très jolis, 300 pesos, soit environ 22$), des lunettes de soleil, des chapeaux, des huîtres fraîches déjà ouvertes, sur un lit de glaçons qui fondent à vue d’oeil (oui, même ça).

J’ai ensuite marché vaguement sur le Malecón (la promenade qui longe la mer) vers la vieille ville, mais j’étais fatiguée, j’avais envie de pipi (les toilettes du bar étaient repoussantes), alors j’ai rebroussé chemin. Mais j’ai quand même vu cette étrange zone rocheuse où les gens ont érigé des centaines de petits cairns, c’est assez étonnant.

J’ai trouvé un supermarché où j’ai acheté un avocat, trois limettes, deux tomates, une carotte, deux petits pains et un fromage beaucoup trop gros, et j’ai vaguement grignoté sur la terrasse de la maison en regardant le coucher du soleil.

Là, je m’en vais faire comme lui, je suis mourute.

Buenas noches!

Une obsession

Ça m’arrive tout le temps quand je rentre de voyage: je ne pense qu’à reproduire ce que j’ai mangé, une manière comme une autre de prolonger le bonheur d’avoir été ailleurs, de ralentir l’atterrissage, de continuer de rêver.

Mais on dirait que c’est plus grave et incurable dans le cas de l’Italie.

Je suis donc allée vendredi à la Baia dei formaggi, puis à la boucherie Capitol (au marché Jean-Talon). J’ai acheté de la guanciale aux deux endroits (pour comparer, tsé), à un prix qui me fait presque pleurer quand je pense à ce qu’on m’a confisqué à la douane.

Et je pleure carrément quand je pense que ça a fini aux poubelles.

Parce que non, les douaniers canadiens ne gardent pas ça peur eux, hein, franchement. On n’est pas dans une république de bananes.

Ils doivent avoir souvent envie de pleurer eux aussi.

J’ai au moins réussi à faire rire celui qui m’a confisqué ma guanciale et mon prosciutto quand je lui ai dit que je reviendrais fouiller dans les poubelles pendant la nuit.

Il était presque aussi beau, gentil et poli que mon propre fils. Ça console.

Bref, je vous le dis et vous le répète, ne rapportez au Canada aucune sorte de viande, fût-elle salée, séchée et emballée sous vide, en pensant que c’est légal: ça ne l’est pas. Après, si vous avez une âme de gambler, vous pouvez toujours essayer de passer ça en douce, en espérant de ne pas faire l’objet d’un contrôle aléatoire. Si vous vous faites prendre, vous risquez une grosse amende, mais pire: vous serez fiché à la douane comme un trafiquant de cocaïne (j’exagère, mais pas tant que ça).

Vous ferez bien ce que vous voudrez, mais vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

Je peux en tout cas vous affirmer que nos tomates en conserve Aylmer ou autres n’arriveront jamais à égaler le goût et la qualité des tomates italiennes, c’est comme ça. La passata, pareil,

Et les pâtes, aaahhh, mon doux, les pâtes! Sont pas toutes égales devant Dieu et les Hommes, oh que non! J’ai acheté hier chez Milano un paquet de spaghettone qui m’a coûté trois fois un paquet de Barilla, mais qui m’a procuré au moins six fois plus de bonheur.

J’avais fait un ragù alla bolognese du feu de Dieu, un truc tout simple qu’on ne peut absolument pas rater.

J’ai dû être italienne dans une vie antérieure. Il me manque juste une famille nombreuse.

Buona notte a tutti.

Décalage

Je pense que je n’ai jamais eu autant de mal à me réadapter après un voyage en Europe.

Bon, c’est vrai, je ne suis rentrée que depuis trois jours. Mais quand même. Il fut un temps où je passais à travers ça comme l’eau des spaghettis à travers une passoire. Mais on ne rajeunit pas, hein?

Je me surprends à me lever dès 7h30 le matin avec une faim d’ogresse, j’ai envie de faire une sieste à 10h et de manger des pâtes à 5h de l’après-midi, je me retiens à deux mains pour ne pas me coucher à 7h du soir.

Il est vrai que la Sissi me réveille au beau milieu de la nuit en me léchant le visage, les mains, les épaules (tout ce qui dépasse de la couette, en fait) jusqu’à ce que je finisse par acheter la paix en lui donnant une avance sur ses croquettes du jour. Quand je vous dis que j’ai créé un monstre…

Mais qui suis-je pour la juger? Moi aussi, je ne pense qu’à manger. Des rigatoni all’amatriciana, des spaghetti alla bolognese, alla puttanesca, all’arrabiata ou alla carbonara…

J’ai trouvé un site italien où on donne les recettes de base de ces grands classiques. Allez voir ça. Même si c’est en italien, vous allez comprendre qu’on n’a rien compris quand on entasse une montagne de spaghettis dans une assiette et qu’on la couronne ensuite de sauce.

En tout cas.

Là, il est 20h, je m’accorde le droit de me coucher.

Buona notte a tutti!

Viterbo

J’ai du retard dans mes histoires!

Je récapitule un peu: j’ai passé la journée de vendredi à baguenauder dans les vieux quartiers du Trastevere et de l’ancien ghetto (je vous invite fortement à cliquer sur ce lien pour comprendre l’origine du mot et du concept).

Au hasard de ma promenade, je suis tombée sur une trattoria, Da Enzo, qui sert notamment l’un des plats emblématiques de la cuisine judéo-romaine, l’artichaut frit, que je voulais absolument goûter.

Ça ouvrait à peine, il était midi et quart, il y avait déjà un peu de monde mais encore assez de place pour tous et donc pour moi. J’ai demandé une table sans tergiverser, j’ai commandé, boum: carciofo alla giudia, avec des croquettes de morue farcies à la mozzarella et un verre de vin blanc.

J’ai mangé ça avec délectation (l’artichaut frit, wow, quelle formidable et délicieuse invention!) en prenant tout mon temps, tandis que la file des amateurs s’allongeait dans la rue. Quand je suis sortie, ils étaient bien 30 ou 40 à attendre une table.

Au mois de novembre.

En pleine pandémie.

Imaginez en temps dit «normal».

En tout cas.

J’ai donc quitté Rome hier matin, et je n’en étais pas fâchée. J’en ai bien profité, mais disons que ce n’est pas une ville reposante.

Et puis ma logeuse est un animal rare. Elle se présente comme une chanteuse classique. C’est sans doute nouveau (aussi nouveau que sa photo sur Airbnb est ancienne). Le soir, dans son salon (je dors dans ce qui est normalement sa chambre), elle répétait des chants de Noël en faussant horriblement (Minuit, chrétiens, Mon beau sapin, etc.) tout en piochant sur un piano dont elle essayait de tirer à tâtons les bonnes notes. Je me suis empêchée de lui venir en aide, moi qui suis une cancre finie en musique.

J’ai eu souvent l’impression de la déranger, même si elle se prêtait volontiers à la conversation, comme on se prête à une obligation.

Enfin, j’avais bien hâte de voir Grazia et Tommaso, de vieux amis que j’ai connus grâce à Pierre il y a plus de 20 ans. Ils m’attendaient à midi avec une carbonara de la mort et leur inextinguible gentillesse, dans leur maison où règne un bordel aussi invraisemblable que permanent.

Il y a ici un vieux labrador dépendant affectif qui a peur de l’eau et treize chats de toutes les couleurs, des livres et des disques sur tous les murs; des bidons, des cuves, des cruches, des bouteilles et des bocaux vides dans tous les coins (pour l’huile d’olive, le vin ou les confitures); des vêtements sur chaque fauteuil, des trucs et des machins partout. Les interrupteurs sont systématiquement posés du mauvais côté des portes (ou alors toutes les portes s’ouvrent à l’envers), l’évier est toujours plein de vaisselle, et Grazia règne là-dessus, imperturbable, pendant que Tommaso regarde le foot à la télé ou s’occupe du jardin.

Grazia est intarissable, je dois parfois lui demander de ralentir le débit quand elle me parle en italien, ce qu’elle fait volontiers, quand elle ne passe pas au français, avec son accent tout roucoulant.

De mon côté, je commence à pouvoir formuler quelques phrases à peu près cohérentes – je vais finir par y arriver et par trouver les interrupteurs sans tâtonner.

Grazia et moi partons jeudi pour Venise.

Ce sera tout pour ce soir.

Je vous mets des photos en vrac: la cour intérieure d’une maison du Trastevere avec, sur le seuil, les noms des personnes qui y habitaient avant d’être emportés par la Shoah:

Le forum et des amoureux devant la fontaine de Trevi:

Buona notte a tutti!

Sourde et muette, mais pas aveugle

C’est ainsi: je n’arrive plus à prononcer une seule phrase cohérente (ça sort dans un sabir digne des croisades), et je ne comprends rien de ce qu’on me dit à cause des maudits masques (et aussi parce que je suis déjà dure d’oreille). Vous dire comme ça me frustre…

MAIS! Mais mais mais! J’ai encore des yeux pour voir et des jambes pour marcher. Et c’est tout ce qu’il faut, en fait, pour aimer Rome d’amour.

Je marche, je marche, au hasard ou pas. Je suis tombée hier sur un palazzo splendide, attirée par sa cour intérieure. Sur le seuil, j’ai soudain remarqué des pavés de laiton où sont gravés les noms de ceux et celles qui vivaient là et qui ont été emportés par la Shoah. J’étais aux portes du Ghetto, sans le savoir.

J’étais partie du coin méconnu du Trastevere où j’habite pour me rendre au musée des Écuries du Quirinal. Il y a là une exposition incroyablement brillante autour de L’enfer de Dante, un truc qu’on ne verra jamais chez nous.

Cette vision de Dante a inspiré beaucoup de peintres (bonjour, Brueghel et Bosch!) et de cinéastes majeurs dans l’iconographie collective, ainsi que beaucoup trop d’ecclésiastiques.

L’exposition fait le lien entre cet univers aussi imaginaire que terrifiant et ce que les hommes ont créé dans la vraie vie: l’esclavage, la torture, les travaux forcés, l’industrialisation à tout prix, les génocides… Les hommes (je dis bien les hommes, pas les femmes) avaient-ils donc si peur de la mort et surtout de la vie pour gâcher tant de beauté?

C’est vraiment troublant.

Pardon pour ces très mauvaises photos, mais tous mes appareils semblent s’être ligués contre moi. Allez voir le site du musée, ce sera mieux de toute façon.

Sinon, j’ai vu aujourd’hui au Musée de Rome une autre exposition absolument formidable sur Gustav Klimt, un des peintres que j’aime le plus au monde. Il y avait là des oeuvres qui n’avaient pratiquement jamais été exposées. J’ai flotté pendant deux ou trois heures dans le monde enluminé de ce peintre illuminé. Pas de photos ici, ça ne vaut jamais la peine. Encore là, allez voir le site du musée dont je vous ai aimablement mis le lien plus haut.

Je suis sortie de là tout étourdie sur la Piazza Navona, avec ses fontaines bruissantes sous le soleil doré qui nimbe la ville d’une indicible douceur.

J’ai marché encore jusqu’à la Piazza d’Espagna, dont j’avais gardé un souvenir ravi. Mais j’ai eu quelques haut-le-coeur dans les rues qui y menaient, toutes envahies par les grandes marques de ce monde de débiles: Rolex, Prada, Zegna, chépuqui, nommez-les, elles y sont toutes.

Un petit manteau d’automne en peluche à 2300 euros pour la Signora? Mais ouiiii! Et ces jolies chaussures «sport» en paillettes à 5000 euros pour il Signore, pourquoi pas? Vous aurez bien encore un peu d’espace, dans votre Mercedes, pour ce petit sac Gucci à 2000 euros?

Après ça, on aboutit sur la place, où des vendeurs d’origine africaine ou indo-pakistanaise essaient de vendre leur camelote à deux euros à des touristes aussi désabusés qu’indifférents.

J’ai acheté en pensant à Sissi un truc très rigolo à quelqu’un qui n’avait pas du tout envie de rire.

Et puis j’ai pris le tramway pour rentrer chez ma logeuse, et ce sera tout pour aujourd’hui.

Ciao a tutti!

Elle m’abandonne

Après tout ce qu’on a vécu ensemble.

Elle s’en va. J’ai compris qu’elle s’en va en Italie. J’sais pas où c’est, mais elle a pas le droit de me faire ça.

Elle me dit que quelqu’une va venir vivre ici à sa place, dans MON château, pour s’occuper de moi.

Je veux bien, mais qui? Est-ce que je vais pouvoir la réveiller au milieu de la nuit pour avoir des croquettes?

Ben oui, c’est clair que je vais la réveiller. Mais est-ce qu’elle VA SE LEVER pour me donner des croquettes? Est-ce qu’elle va m’ouvrir la porte pour me laisser sortir, et m’appeler ensuite comme une perdue pour que je consente enfin à rentrer?

Rien n’est moins sûr.

La tatie arrête pas de dire que c’est fini, tout ça. Que l’hiver s’en vient et que ça va devenir ingérable, et que je ferais mieux de m’habituer à rester en dedans. Elle me rationne, me raisonne, me sermonne.

Ah ouais? Et ma nature profonde, alors? J’vais devoir rester devant la fenêtre à faire ekekekekeke comme une débutante?

VOYONS!

En tout cas, la tatie prend ça au sérieux. Je l’ai jamais vue s’activer autant. Elle arrête pas de s’agiter. Lave ci, lave ça, tous les tiroirs et toutes les armoires, c’est le bordel dans cabane.

Et c’est sans parler du cagibi. Aaaaahhh, le cagibi! J’ai mis les pattes là-dedans peut-être deux fois dans ma vie, pour inspecter, tsé ben, et j’en suis ressortie chaque fois à toute épouvante parce qu’il régnait là un estie de plus-que-bordel que tu peux même pas imaginer.

V’là-t-y pas qu’elle a vidé la chose de tout son contenu, pour ensuite l’aspirater de fond en comble et y remettre, d’après ce que j’ai observé, à peu près le tiers de ce qu’il y avait avant.

Demande-moi pas ce qu’elle a fait avec le reste. Ça m’intéresse pas.

Ce qui me révolte, c’est le coup de cochon qu’elle m’a fait après tout ça.

Elle y a installé ma litière.

MA LITIÈRE! Crisse! T’as pas le droit de changer ma litière de place, même si j’y vais jamais, OK?

Mais bon, apparence que, tout impératrice que je sois, j’ai pas voix au chapitre.

Attends ben la nuit qu’elle va passer, la tatie.

Une reddition

C’est comme ça que ça s’appelle.

Bien obligée: c’était ça ou je ne sortais plus.

Je suis terriblement mortifiée. MOI! Impératrice de Rosemont et de tous les coeurs! Sortir avec cette collerette absurde, infamante, ridicule, mais POURQUOI?

Elle m’a mis ça après que je lui ai rapporté le fameux bruant à gorge blanche, qu’elle avait baptisé Aristide. Demande-moi pas pourquoi 1) elle me l’a confisqué et 2) elle lui a donné un nom, et celui-là en particulier, je comprends pas pantoute.

En tout cas.

Elle pense que j’ai rien vu, mais je sais très bien qu’elle l’a mis à l’abri dans une chambre à laquelle j’ai pratiquement jamais accès parce qu’elle-même n’y va que trèèès rarement.

Elle me prend vraiment pour une imbécile.

Un bon jour, pas longtemps après ce que je considérais comme une glorieuse capture, elle est sortie de la chambre avec le p’tit oiseau enfermé dans le machin qu’elle m’inflige pour m’emmener chez le vétérinaire.

HAHAHA! J’ai trop ri! Le p’tit oiseau était dans ma propre cage! Bien fait pour lui!

Parce que moi, pour vrai, j’m’en foutais: la veille encore, j’avais ramené à la maison un autre beau p’tit oiseau. Comme il était déjà très mort, j’pensais qu’elle serait contente, mais non. Elle est jamais contente.

Elle a dit que c’était un «junco ardoisé», mais pour vrai, elle dit souvent n’importe quoi juste pour que je me sente coupable. Donc, encore une fois, elle m’a fait une scène et me l’a confisqué, mais ça m’a pas fait grand-chose parce que je savais que je pourrais en attraper plein d’autres.

Je suis redoutable, tsé.

Sauf que quand elle est rentrée à la maison avec ma petite cage rose vif vide, elle avait un autre plan pour moi.

C’était cette absurde, infamante, ridicule collerette de clown qu’elle m’inflige désormais chaque fois que j’exige de sortir.

Parce que la tatie a apparemment emmené Monsieur Aristide dans un refuge où, peut-être, on pourrait lui sauver la vie. Et c’est là qu’elle a trouvé cet instrument du diable.

Comme ça, selon elle, les oiseaux, qui paraît-il ont des super pouvoirs visuels, pourront détecter ma présence malgré toutes mes terribles astuces de camouflage et s’échapper avant que je les pogne.

BEN VOYONS!

Qu’est-ce qu’elle a pas compris dans l’idée de CHASSER?

Je suis outrée. Outrefâchée. Outrefâchumiliée.

Mais y a toujours l’histoire des croquettes, tsé.

Ça fait que à partir de désormais, si je veux sortir, je dois pour ainsi dire poser ma tête sur le billot pour qu’elle me passe la corde au cou.

C’est la somme de toutes les exécutions.

À côté de ça, Marie-Antoinette peut bien aller se rhabiller. Y manque juste Jeanne d’Arc, pis comme c’est là, j’te dirais que c’est juste une question de temps.

AU SECOURS!

J’ai frôlé la dépression mais, heureusement, dans les derniers jours, il s’est produit quelque chose d’absolument extraordinaire: deux humains inconnus sont arrivés et ont occupé la chambre-dans-laquelle-on-ne-va-jamais.

Tout à coup, la tatie s’est mise à parler avec ces gens-là et je comprenais absolument rien de ce qu’ils se disaient tous les trois.

J’ai commencé par capoter, mais j’ai vite compris que les deux inconnus étaient des alliés: ils m’ont rendu les hommages dus à mon rang, et si je ne suis pas allée dormir dans leur lit, c’est bien seulement parce qu’ils fermaient la porte. Pis je sais vivre, tsé.

Mais ils m’ont parlé, m’ont fait des gouzis-gouzis, ont joué avec moi et m’ont trouvée aussi belle et irrésistible que je le suis.

C’était l’fun!

Là, ces deux-là sont partis, je pense, parce que la chambre est vide et que la maison est de nouveau sens dessus dessous: la tatie n’a absolument aucun talent pour l’ordre, sauf quand il s’agit de réglementer mon régime alimentaire ou, d’après ce que je déduis, quand il y a des étrangers à la maison.

Là, elle continue de me parler dans cette langue bizarre que je ne comprends pas, mais quelques mots reviennent souvent: préciossa, beyyessa, immepératriss.

Je finirai bien par savoir ce qu’elle essaie de me dire.

* * *

DERNIÈRE HEURE

Sa collerette maudite marche même pas, lalalère! J’ai attrapé un autre oiseau ce matin, youpi! Elle était fâchée, la tatie, quand je lui ai rapporté la preuve de sa bêtise. Ça lui apprendra.

Au moins, mon honneur est (presque) sauf.

Paraît que c’est l’automne

C’est la tatie qui le dit. Moi, comme tu sais, peu me chaut. (PEU ME CHAUT! J’m’épate moi-même tellement j’ai des lettres!)

Ça veut juste dire que j’m’en fiche, au cas où tu saurais pas. Pis si tu sais pas, c’est parce que t’as pas assez lu dans ta vie.

Tu vas me demander comment une pauvre minette errante et abandonnée (ou vice-versa) peut avoir autant de vocabulaire; je te dirais: demande à Bouddha. J’pense que j’m’appelais Colette dans une vie antérieure, mais ch’pas sûre.

En tout cas.

Donc, c’est l’automne. La tatie dit qu’elle déteste l’automne. C’est pas à moi qu’elle le dit, c’est à un drôle de truc aussi ridiculement rose que sa chambre, qui émet des sons étranges au moment où on s’y attend le moins, auquel cas elle se précipite à sa recherche pour lui parler. Une chance, ça n’arrive pas très souvent, sinon j’penserais qu’elle a un grain.

Parfois, elle s’en empare elle-même pour zéro raison, sans qu’il ait rien demandé, et elle se met à lui parler.

Finalement, à bien y penser, elle a vraiment un grain.

En tout cas.

Bref, c’est l’automne, et la tatie aime pas trop ça — ni moi non plus, d’ailleurs: y a pu de cigales, pu tellement d’oiseaux, zéro papillon… Pis y pleut souvent, ça fait que j’ai les pattes pleines de bouette quand je reviens à la maison, et la tatie rouspète parce que je laisse des traces de mes adorables petits coussinets jusque sur ses draps quand je rentre à la nuit tombée pour exiger des croquettes.

Parce que ouais, elle est à ma merci: je la réveille à pas d’heure pour sortir, ou pour avoir des croquettes, ou quand je rentre avec mes petites pattes pleines de bouette, pis c’est un juste retour des choses puisqu’elle aussi me réveille sans cesse pour me faire des bisous et des caresses alors que je fais une sieste bien méritée.

En tout cas.

Là, elle me tanne parce qu’elle dit qu’elle pourra pas toujours laisser la porte ouverte pour que je circule à volonté.

COMMENT ÇA? WHAT? (Ouais, j’suis bilingue, au cas où t’aurais oublié.)

C’est vrai, j’ai remarqué: je dois maintenant lui faire plein de simagrées pour qu’elle finisse par comprendre que je veux sortir et m’ouvre enfin la porte. Et au moment même où je commence à m’amuser pour vrai, elle me rappelle comme une débile, pis moi, je rentre, parce que je veux des croquettes, et aussi un peu parce que je m’inquiète pour elle, et elle referme derrière moi comme si nos vies en dépendaient.

J’sais pas si je pourrai endurer ça longtemps.

En tout cas, ces temps-ci, elle est quand même de bonne humeur. Ça fait changement parce que je l’ai entendue dire qu’elle avait passé un été de marde. Ça veut dire qu’elle a pas aimé son été, j’pense. Ça ne l’a pas empêchée de m’abandonner TROIS FOIS (je sais pas mesurer le temps, mais j’sais compter, tu sauras). Heureusement, deux autres taties sont venues me donner des croquettes et même JOUER AVEC RATATOUILLE ET MOI en son absence.

Là, elle est bien tranquille sur le bout de canapé où elle s’assoit tout le temps, et je ronronne doucement juste assez pas proche pour qu’elle ait besoin de se déplacer pour me faire des gouzis-gouzis sous le menton, et ce sont les moments que je préfère.

Finalement, je l’aime bien, la tatie, malgré tous ses défauts.

Ça fait longtemps

Cher journal,

Je sais, je t’ai abandonné trop longtemps. Non qu’il ne se soit rien passé depuis la dernière fois, au contraire. Mais on dirait que la tatie avait perdu le feu sacré: tout à coup, à travers tous ses petits soucis d’humaine, mon journal est devenu secondaire.

Me faire ça à moi, seule et unique impératrice de Rosemont… Fallait qu’elle file un vrai mauvais coton, parce qu’elle est quand même toujours folle de moi. C’est normal: j’suis irrésistible!

Mais là, ça fait exactement un an aujourd’hui que je suis entrée dans sa maison. C’est elle qui m’a dit ça. Je t’ai déjà expliqué que j’suis pas bonne pour mesurer le temps. Sans elle, j’m’en serais jamais rendu compte, pis au fond j’m’en fiche, mais elle a eu l’air de trouver que ça valait la peine d’être souligné.

Ça fait que me v’là.

Tu peux pas imaginer à quel point les choses ont changé depuis que je t’ai raconté la fois où je me suis échappée en plein hiver dans le frette.

Astheure, je sors quand je veux. QUAND JE VEUX, hahahaha!

Et aussi longtemps que je veux!

J’ai commencé doucement, sans aller trop loin, juste pour pas énerver la tatie (j’suis toujours aussi petite, mais j’suis encore plus futée qu’avant!). Au début, je descendais seulement quelques marches, pis je remontais aussitôt qu’elle m’appelait, histoire de la mettre en confiance. Ça m’a pris du temps pis ben de la patience, mais j’ai fini par l’habituer, et là, tu croirais pas ça: j’ai tout un territoire presque rien qu’à moi, avec full d’écureuils, de cigales, de papillons et surtout d’oiseaux!

J’ai jamais réussi à attraper un écureuil (pis au fond ça me tente pas tant que ça: sont presque aussi gros que moi!), mais j’ai quand même eu une maudite bonne saison de chasse. J’ai dû bouffer au moins une douzaine de cigales. La tatie trouvait ça dégueulasse, mais elle sait pas ce qu’elle manque: c’est croquant dehors et mou dedans, pis c’est vraiment drôle de jouer avec avant de les croquer, ça fait comme une vibration dans les gencives, ZZZZZZZZTTTTT! Ça chatouille, je ris trop!

J’ai aussi mangé du moineau, mais j’ai trouvé qu’y avait trop de plumes. J’en ai laissé un petit tas dans un coin du salon, c’est comme ça que la tatie s’en est aperçue. Elle était pas contente. Je sais pas pourquoi, quand j’attrape un oiseau et que je le rapporte à la maison, elle aime pas ça, elle prend un air fâché, elle me traite de vilaine fille, pis elle ME LE CONFISQUE. J’arrive pas à y croire. MON OISEAU! Une fois qu’y est mort, tsé, ça change quoi que je le bouffe ou pas?

Bon, c’est vrai que je le mangerais pas nécessairement vu que, comme je t’ai dit, je trouve qu’y a trop de plumes, mais quand même. Quand je réussis à en pogner un, franchement, elle devrait être fière de moi!

Ça fait que j’ai dû accepter qu’elle me mette un ridicule collier turquoise avec un estie de grelot qui tintinnabule — avoue, t’avais oublié ce mot-là, hein? pis t’avais oublié que j’ai du vocabulaire? — qui tintinnabule, donc, à presque chaque mouvement que je fais, parce qu’elle pense que ça va avertir les oiseaux de ma présence. L’innocente! Elle sait pas que je suis la plus redoutable et silencieuse des chasseresses, grelot ou pas? Pour le lui apprendre une bonne fois pour toutes, je lui ai rapporté une mésange bien vivante il y a quelques jours, pis un chardonneret on ne peut plus mort avant-hier. C’est elle qui m’a dit les noms (moi, je m’en contrefiche) parce qu’elle en a fait tout un plat: les moineaux, apparemment, ça la dérange moins. En tout cas, vivant ou mort, elle aime pas ça, c’est clair.

Mais j’ai-tu le droit de vivre ma vie d’impératrice, estie? C’est là que tu vois que la royauté, c’est full contraintes. Mébon, j’avoue que c’est pas mal mieux que la rue.

Parlant de royauté, je t’ai dit tantôt que j’ai tout un territoire «presque» à moi. Ce «presque», c’est à cause d’un terrible ennemi dont j’avais pas soupçonné l’existence. Il s’appelle Néo, c’est un splendide spécimen, paraît qu’y vient du Bengale. Je sais pas où c’est, mais ça doit être un pays dangereux, parce qu’il est méchant comme la gale. Gale, Bengale! J’pense que j’viens de comprendre quekchose!

En tout cas, il m’a salement attaquée par derrière l’autre jour, le traître, et à cause de lui j’ai dû aller chez le VÉTÉRINAIRE! Astheure, j’ai un petit bout rasé à la base de la queue parce qu’il m’a mordue pis que ça s’est infecté. Ça fait que j’ai le trou de pet à l’air, une vraie honte. Sans parler de l’estie d’entonnoir de plastique que j’ai dû porter autour du cou pendant chépu combien de temps pour m’empêcher de lécher ma plaie. Voyons! Si c’était dangereux, lécher une plaie, ça se saurait! En tout cas.

J’peux même pas espérer me venger, il est trop vicieux. Je dois reconnaître que, tout impératrice de Rosemont que je sois, et de surcroît reine des coeurs de tout l’immeuble, je suis pas de taille. Il m’aura pas deux fois, ce salaud.

Heureusement, la tatie, qui est folle de moi (j’te l’ai-tu dit?), la tatie a négocié un pacte de non-agression avec l’humain de ce grand con de Néo. Quand je sors, elle accroche un foulard vert à la rambarde du balcon, pis Néo est censé rester enfermé. Pis si Néo sort, son humain accroche un truc rouge à son bacon à lui, pis là, c’est moi qui dois rester en dedans.

Sauf que j’suis futée, moi! Je demande (j’EXIGE) la porte dès 5h du matin. Le bonhomme a besoin de se lever de bonne heure pour m’accoter, hahahahaha!

Ça fait que c’est ça qui est ça. Là, j’vais me reposer un peu. J’suis fatiguée, j’ai passé la journée dehors aujourd’hui. Je suis rentrée deux ou trois fois, le temps de manger quelques croquettes et de m’assurer que la tatie est toujours là, parce que mine de rien, au bout d’un an, on s’attache à son humain, tsé…

Pis si je veux la réveiller à 5h demain matin, faut quand même que je dorme un peu.

Bye.

Grosse fatigue (Sissi, chapitre 28)

Estie que j’suis tannée.

Elle arrête pas de me dire que je grossis.

Là, elle m’assomme avec un bol supposément interactif qui m’oblige à puiser mes croquettes une à une avec ma patte au lieu de m’en mettre plein la gueule quand j’en ai envie.

Mon calvaire n’aura donc jamais de fin? J’vais porter plainte!

À BAS LA GROSSOPHOBIE!

La tatie est une tortionnaire!

Mais elle a pas fini avec moi: la soirée commence, la nuit m’appartient, hahaha! Déjà, j’apporte tous mes jouets dans sa chambre la nuit, juste au cas où ça éveillerait quelque chose dans son cerveau embrumé, mais jusqu’ici, par pure pitié, je faisais pas trop de bruit.

Là, si elle continue de m’affamer, elle va savoir comment j’m’appelle.

Sinon, hier, on a quand même passé un p’tit boutte de soirée l’fun. Elle regardait un immense truc lumineux avec plein de choses qui bougeaient, j’avais jamais remarqué ça ici. Wow!

Elle m’a dit que c’était les élections américaines. J’ai pas compris ce que ça voulait dire au juste, mais j’peux te dire que ça la stressait au boutte. J’ai senti ça très bien à cause des hormones qu’a dégageait. Estie! WOW! Comme moi quand elle essaie de me prendre dans ses bras! La même crisse d’affaire! Hahahaha! J’espère que ça va lui servir de leçon. Mais ça m’étonnerait, sa courbe d’apprentissage est remarquablement longue.

Pis nous autres, les félins (et surtout les félines), on a le nez fin, au cas où tu saurais pas.

Ça fait que, à un moment donné, la tatie en a pu pu et elle a éteindu tout ça. (Oui, je dis «éteindu» parce que ça me tente. J’fais c’que j’veux.)

J’dois aussi reconnaître, dans un autre ordre d’idée, que je commence à aimer ses caresses. J’suis vraiment pas au point de les quémander (est-ce qu’une impératrice devrait même «demander» quoi que ce soit?), mais le jour où j’vais les exiger, hahaha! JUST WATCH ME!