Mon ami Jean

En fait, c’est le titre que j’aurais dû donner à mon entrée précédente. Sans Jean, je n’aurais pas du tout la même Normandie.

Mon ami Jean m’a emmenée dans le pays de son enfance. Il m’a raconté son histoire par petites touches, avec un humour qui n’appartient qu’à lui. Il m’a montré la maison où il passait ses vacances dans le village natal de sa mère, à Mers-les-Bains. On a passé par la ruelle où il s’est écorché les genoux en tombant de son petit vélo, il m’a désigné le magasin où il achetait des sucettes à 20 centimes sur la promenade de la plage. Nous avons marché le long de ces incroyables falaises de craie ponctuées des blockhaus installés par les Allemands durant la guerre de 39-45.

À Mers-les-Bains, le village où Jean passait ses vacances quand il était petit.

Les traces de la guerre sont partout sur cette côte.

J’ai suivi et écouté mon ami Jean tout du long, non seulement parce que c’est son histoire et que l’histoire des gens que j’aime m’intéresse par définition, mais aussi parce que j’étais dans les romans de mon enfance, une fois de plus. Je sais exactement de quoi il parle, sans l’avoir jamais vécu.

Nous sommes rentrés aujourd’hui dans sa jolie maison du Mans, à travers des paysages estompés par une bruine et un brouillard tenaces. Des paysages dont je ne me lasse pas: champs de blé en herbe, d’un vert printanier en ces sombres journées d’automne, bocages dorés, tendres vallons ponctués tantôt de vaches dont Jean peut instantanément me dire l’espèce, tantôt de moutons, et, de loin en loin, un clocher pointu qui signale un tout petit village…

Je suis constamment happée par ce pays si diversement et partout domestiqué, dompté, habité, jardiné, cultivé, modelé depuis des siècles, je dirais même une couple de millénaires, avec tout de même une harmonie qu’on n’a pas chez nous. Ça me fascine.

Jean conduit. Tandis que j’observe la campagne, mille questions me viennent en tête, que je lui pose à la volée. Il a, je dirais, réponse à tout, ou presque. Histoire, géographie (ses sujets préférés), société, agriculture, ornithologie, zoologie, architecture… Quand il ne sait pas, on cherche sur Wikipédia.

Mon ami Jean est irremplaçable.

Ma Normandie

Mon ami Jean est un trésor national.

Il connaît son coin de pays comme personne, il adore en faire les honneurs et il est le plus exquis des guides.

C’est lui qui, il y a plusieurs années, m’avait emmenée à Arromanches, là où mon père a débarqué avec les troupes britanniques le 6 juin 1944. J’avais appelé papa d’une cabine téléphonique, sur l’esplanade qui domine la plage, et je garde de ce moment un souvenir impérissable.

PHOTO: Jean Huez

Nous sommes de nouveau en train de baguenauder sur la côte normande, mais cette fois beaucoup plus avant. Nous avons fait un arrêt à Dieppe, où Jean n’a pu s’empêcher de me prendre en photo devant tous les monuments qui rendent hommage aux soldats canadiens venus mourir là pour rien.

Je vous les mettrai plus tard — je sais, je dis toujours ça, mais j’ai un motif: on n’a pas de connexion wi-fi là où nous logeons, un charmant et minuscule appartement à Mers-les-Bains, passé Dieppe, où est née la maman de Jean et où il passait ses vacances quand il était petit.

C’est tellement joli, je ne sais plus où regarder.

Et on s’est bourrés de moules-frites dans un estaminet éphémère sur la plage, je n’ai pas pu tout finir, mais c’était trop bon. Là, je suis mourute, je me couche. La suite demain!

La princesse à Versailles

La princesse, évidemment, c’est moi.  Bon, vous me direz que je suis quand même un peu vieille pour être une princesse.

Ouais, pis? La Margaret, là, la petite soeur de la reine du Canada, elle a vécu jusqu’à quel âge?

Donc ça se peut, une vieille princesse, CQFD.

D’ailleurs, je me reconnais en elle bien plus que dans la princesse au petit pois, à laquelle mon Pierre ne cessait de me comparer.

T’essaieras de faire du camping sauvage avec la princesse au petit pois, toi.

Margaret et moi partageons en effet un  penchant pour la liberté, les accrocs à la bienséance et les boissons enivrantes, et j’imagine que nous avons aussi en commun une certaine incertitude existentielle, ceci expliquant cela.

Mais bon, tel n’est pas mon propos, pis je me psychanalyserai peut-être un jour, mais sans vous.

Bref, je suis donc à Versailles, chez mon amie Anne, que j’ai connue par des amis d’amis. Une très longue histoire qui commence au Village Vacances-familles de Petit-Saguenay il y a quelque 30 ans (bonjour, Roberto et Marcelle!). C’est merveilleux, ce réseau qui se crée presque par magie.

Qu’il me suffise de vous dire que Roberto et Marcelle m’ont fait connaître Brigitte et Jean-Noël, qui m’ont fait connaître Anne, qui m’a présentée à son amie Michèle.

La fille d’Anne, Isabelle, a vécu quelque temps chez moi, il y a plusieurs années, alors qu’elle était en stage d’ostéopathie. Je l’ai aimée et traitée comme ma propre fille, parce qu’elle est aimable comme ça, la belle Isabelle. J’ai aussi vu Anne et Michèle à Montréal, séparément, alors qu’elles y étaient pour le boulot. Et nous nous sommes vues à Paris, aussi en coup de vent, une ou deux fois, pendant que j’étais en reportage ici ou là.

Elles ont toujours été fidèles lectrices de ce blogue, m’ont toujours répondu et donné des nouvelles, elles se sont inquiétées pour moi quand j’étais au Pérou… Leur fidélité, leur amitié m’a toujours touchée, elles qui me connaissaient si peu. Ni l’une ni l’autre ne sont sur Facebook, alors je dois leur amitié à quelque chose de plus profond qui me confond et m’honore tout à la fois.

Je suis donc chez Anne depuis mercredi, et comme je l’ai écrit avant-hier sur Facebook (vous me pardonnerez de me citer moi-même, mais vous savez comme je suis paresseuse):

Sa maison est celle que j’imaginais dans les romans de ma jeunesse, avec de très hautes fenêtres qui s’ouvrent sur le jardin, des pièces où je me perds et dont les parquets craquent impitoyablement, des meubles anciens, des secrets dans tous les coins, des portraits un peu mystérieux, des âtres condamnés, des armoires immenses aux portes camouflées sous le papier peint et repeint, bourrées de livres et de revues.

C’est la maison de sa jeunesse à elle, elle n’y voit sans doute pas tout ce que j’y vois.

Moi, je suis chez Colette, ou dans Le roman d’Élisabeth de Berthe Bernage ou dans La clé sur la porte de Marie Cardinal… J’ai carburé à ça toute ma vie et, chaque fois que je viens en France, je me sens comme au cinéma. Mais chez Anne, je suis DANS le film.

Je ne m’habitue pas, et c’est ça qui est fabuleux.

Fin de mon auto-citation.

Avant-hier, nous sommes allées faire à vélo un grand tour dans Versailles, jusqu’au château, que j’avais déjà vu il y a très longtemps (salut, Madeleine!), et surtout jusqu’au Petit Trianon et au Hameau de la reine, un incroyable décor de proto-cinéma que Marie-Antoinette avait fait construire pour se rappeler la campagne de son enfance et pour échapper aux fastes de la Cour. Nous étions comme des gamines, c’était épatant.

Hier, je suis allée rejoindre Michèle à Paris et nous avons marché dans Montmartre (infesté de caricaturistes qui semblent tous avoir suivi le même mauvais cours de dessin par correspondance) et pris un verre au bar des Deux Moulins, rue Lepic (oui, celui d’Amélie Poulain) après avoir visité le très joli petit musée Montmartre (Michèle est la championne des petits musées secrets).

Là, je suis seule dans la grande et merveilleuse maison de mon amie Anne, je pars tout à l’heure pour Le Mans, où je vais rejoindre un autre excellent ami que je connais depuis des années et que je n’ai vu que deux ou trois fois.
J’dis ça, j’dis rien.

Vie de riche

J’ai longuement hésité, au moment de mettre la dernière main à mon petit bagage, à savoir si j’emporterais mon MacBook ou seulement ma tablette. Un Mac, ça pèse, quand même. Pour quelqu’un qui se targue de voyager léger, ce n’est pas rien. Mais c’est mieux pour écrire (ce qui m’est indispensable), et c’est indispensable pour traiter des photos au fur et à mesure (ce qui est quand même mieux que de les laisser dormir jusqu’au retour).

Problème de riche, comme l’a souligné mon ami Hubert.

J’ai fini par mettre les deux dans mon sac de cabine. À présent que me voici confortablement installée au salon VIP Banque Nationale (gracieuseté de ma MasterCard World Elite), je me réjouis d’avoir fait ce choix: j’ai tenté d’écrire ces quelques lignes sur ma tablette, j’y ai renoncé au bout de deux phrases.

Le poulet chasseur (probablement mort de peur) proposé au buffet du salon n’aura pas réussi à me réconcilier avec la volaille, que j’ai bannie de mon alimentation depuis mon retour du Pérou. Mais le vin est correct, il fait frais, on a du wifi supersonique et un personnel qui ne serait pas plus attentionné si on était aux soins palliatifs.

D’ailleurs, j’ai toujours trouvé que, dans les aéroports et les avions, on nous traite soit comme de grands malades, soit comme du bétail. Tout dépend de ton statut. Moins t’as de fric, plus t’es du bétail (ça tombe sous le sens).

Pour commencer, à l’étape de l’enregistrement, si tu n’es pas en classe affaires, oublie la perspective de parler à un être humain. Scanne ton passeport ici, imprime là ton étiquette de bagage et ta carte d’embarquement, fais la file pour déposer ta valise en tête à tête avec un écran tactile, pis scramme. Même plus moyen de tenter de charmer un préposé pour obtenir un surclassement, merdalors! (Ça marche jamais, anyway.)

La seule chose qui est la même pour tous, c’est le contrôle de sécurité, qui ressemble de plus en plus à une zone de tri de cochons destinés à l’abattoir. Des barrières qui s’ouvrent et se ferment, des scanners qui bipent, des gardiens pareils à des robots qui dirigent le troupeau vers la machine qui va lire ton matricule.

On vit dans un monde d’humanoïdes.

Même la gentillesse du préposé à l’accueil du salon BN semble suspecte, télécommandée, comme un discours de Justin Trudeau ou un point de presse du ministre de l’Environnement du Québec. J’oublie son nom, mais c’est pas grave, c’est pas un humain.

Je ne me plains pas, hein. Ce serait indécent. D’autant plus que j’ai le front de PRENDRE L’AVION! En ces temps troublés, malgré l’apocalypse annoncée, en dépit des exhortations de ma conscience environnementale, sans égard à l’opprobre que ne manquera pas de me valoir cet accroc à la bien-pensance environnementaliste.

Oui, oui, j’étais à la manif du 27 septembre. Mais chacun ses contradictions, tsé. J’ai l’outrecuidance de croire que ce voyage de six semaines, qui me mènera essentiellement chez des amis que j’ai rencontrés au hasard de mes voyages ou des circonstances, n’est qu’une goutte (voire une molécule) d’eau dans l’océan en furie des catastrophes environnementales qui nous guettent.

Ce voyage est bâti sur l’amitié, sur la richesse de coeur de ces personnes aimées que je vais enfin revoir. Cette richesse qui vaut bien mieux que toutes les autres.

C’est ça, ma vie de riche.

Le reste n’est que poussière de plastique.

Adieu, Natashquan

Je suis partie comme une voleuse. J’ai bien sûr fait mes adieux à Raymonde et à Jean-Louis, qui m’ont reçue avec tant de gentillesse et même d’amour que c’est à n’y pas croire. Je laisse aussi Gabriel, Hélène et leur petite Jeanne de cinq ans, qui venait me coller comme un chaton, chose qui me fait toujours fondre.

Je n’ai pas dit adieu à Clara et William, qui tenaient à bout de bras L’Échouerie, ce café où tout le monde qui vient à Natashquan finit par arriver, non plus qu’à Géraldine, qui m’a permis d’avoir une bicyclette pendant mon séjour, ni à combien d’autres jeunes et magnifiques personnes…

J’ai sérieusement pensé à m’installer là-bas pour une année, pour voir. L’hiver y est long, c’est vrai, mais il est blanc. Pas comme à Montréal, où on patauge dans la bouette et le brun pendant au moins trois mois.

Pour l’heure, j’ai repris la route, je dors au Havre-Saint-Pierre, où il pleut comme vache qui pisse. Moi qui voulais voir l’île aux Perroquets demain, j’en serai quitte pour revenir. Pas vrai que je vais prendre un bateau emmitouflée dans des vêtements de flottaison sous la pluie pour voir zéro rien.

Je rejoins demain à Sept-Îles une nouvelle amie, Sylvie, que j’ai connue grâce à Anne-Marie et Sylvain, nous jouerons au Scrabble en buvant du vin blanc, et la vie sera parfaite, comme elle l’est depuis que je suis partie.

Échouée à L’Échouerie

Ça fait que j’ai décidé de ne pas repartir. Du moins pas tout de suite. Anne-Marie et Sylvain, eux, reprendront la route demain matin. Moi, je plierai bagage, mais seulement pour aller m’installer chez Raymonde et Jean-Louis, qui louent des chambres dans leur maison sans que ce soit un gîte officiel. D’après ce que j’ai cru comprendre, ça marche par ouï-dire et un peu à la tête du client.

J’ai rencontré Jean-Louis à la quincaillerie du village, où je cherchais en vain un chargeur solaire pour mon téléphone, dont la pile se vide plus vite qu’il ne faut de temps pour le dire. J’en ai profité pour demander à la caissière si elle ne connaîtrait pas quelqu’un qui accepterait de m’héberger pour une semaine ou deux. Ou trois, pourquoi pas. Jean-Louis, qui attendait de payer ses achats, m’a proposé sa maison.

Raymonde joue au bingo animé par la radio innue. Elle a encore gagné 200$ hier soir!

Raymonde, 70 ans, toute petite, pleine de gouaille et d’énergie, est une Landry apparentée d’une manière ou d’une autre à Gilles Vigneault (je crois qu’ils sont petits cousins). Son mari vient de Timmins, en Ontario. C’est un beau grand monsieur qui ne fait pas ses 75 ans, pourvu d’un bon regard un peu moqueur. Tous les deux sont d’une simplicité et d’une amabilité qui semblent universels dans ce petit village de rien du tout.

Bien sûr, c’est ce qu’on perçoit quand on arrive à Natashquan: imaginez, les gens nous sourient! Spontanément, comme ça! Pas à Montréal qu’on voit ça, où chaque personne qu’on croise sur le trottoir détourne soigneusement le regard pour être bien sûre de ne pas rencontrer le nôtre…

Remarquez, une jeune préposée du bureau du tourisme chargée de nous faire visiter la vieille école nous a gratifiées, Anne-Marie et moi, de quelques confidences qui laissent entendre que tout n’est pas aussi lisse qu’il y paraît. Quoi d’étonnant, au fond?

J’imagine les rivalités, les querelles sourdes, les rancunes anciennes qui couvent sans doute ici comme dans tous les petits villages, malgré le portrait bon-enfant qui émerge de l’oeuvre de Vigneault et du mythe qu’on a construit autour.

Bref, j’espère pouvoir me cantonner ici quelque temps, donner un coup de main aux jeunes de L’Échouerie, l’unique café-bar du village où on est en perpétuel manque de main-d’oeuvre, et puis faire un peu mieux connaissance avec une homonyme, Fabienne Landry, nièce de Gilles Vigneault et elle aussi poète, et enfin me rendre utile auprès de Raymonde et de Jean-Louis, qui ont toujours mille choses à faire.

Et je compte aussi me baigner dans cette mer incroyablement bonne, profiter de la beauté du pays, rencontrer des gens, raconter des histoires.

Au monastère (bis)

Ça fait que j’ai eu une séance de yoga «flow» hier midi, et une autre de yoga dit restaurateur à 17h30. Le premier favorise des postures dynamiques, c’est-à-dire qu’on est toujours dans le mouvement. Le second est plutôt axé sur la détente et le lâcher-prise. Dans les deux cas, j’ai été agréablement surprise: je n’ai ni trop sué ni trop souffert. Je crois que j’ai trouvé ma voie, alleluia! Gloire soit au yoga!

Le défi principal, dans mon cas, reste de convaincre mon «mental» de cesser de caracoler dans tous les sens. J’imagine que c’est une question d’entraînement.

Et bien sûr, ma carcasse, peu habituée à autant de sollicitation, me signale avec insistance que je l’ai trop longtemps négligée. Pas une articulation, pas un muscle dont je ne sente l’existence, aujourd’hui.

Et je remets ça pour une ultime séance ce midi, après quoi je rentrerai tranquillement dans la civilisation par le chemin du Roy, parce que j’ai le temps, parce que c’est plus joli que l’autoroute, parce que c’est hautement méditatif. Hé. On sait vivre.

Nourritures terrestres

Pintade rôtie, purée de céleri-rave, rabioles, sauce aux bleuets.

Pince de homard, gel camerise et sureau, sauce hollandaise, asperges, salade de homard, huile d’herbes..

Les augustines prônaient le mépris des choses matérielles et la frugalité, mais je dois dire que ce n’est pas ici qu’on va pratiquer ces vertus: je ne pense qu’à manger, matin, midi et soir. Après souper (six services, je commence à 19h et je ne sors jamais de table avant 21h), je n’ai qu’une hâte: me plonger avec délectation dans mon douillet petit lit de coton blanc, si moelleux, si enveloppant que je ne m’en arrache qu’avec peine au matin. Il y avait des lunes que je n’avais aussi bien dormi.

Les soeurs, elles, se levaient à 4h pour entreprendre leur journée, ponctuée des offices de la liturgie des heures: Prime (au lever du soleil); Tierce (troisième heure après le levant, à 9 heures ou avant la grand-messe); Sexte (sixième heure après le levant, donc vers midi); None (neuvième heure après le levant, vers 15 h); Vêpres (vers 17 h); Complies (après le coucher du soleil).

Ça nous fait donc six prières par jour, sans compter les Vigiles et les Matines, qui s’ajoutent aux autres dans certains monastères.

Ça ne vous rappelle rien? Les cinq prières quotidiennes des musulmans, non? C’est exactement le même principe. La même origine.

Menus plaisirs

Je disais hier que les soeurs avaient tout de même des distractions, que cette vie devait avoir quelques avantages… Je vous laisse avec ces photos exposées sur les murs des corridors (que j’ai photographiées avec ma tablette, d’où leur piètre qualité).

En vacances à l’Ermitage Saint-Georges, à Chicoutimi, ce que nous appelions «le camp des soeurs» dans mon enfance.

J’imagine qu’elles ne jouaient pas d’argent…

Au monastère

Ça m’a pris tout d’un coup: ce besoin de sortir de ma routine, de ne plus me soucier de rien, de ne plus voir tout ce que je devrais faire, de mettre mon cerveau à OFF.

Ça fait que je suis partie me réfugier au monastère des augustines, à Québec. «Un voyage en soi», comme dit leur joli slogan.

J’ai toujours adoré les vieux couvents. Ça m’émeut, que voulez-vous. Celui-ci, qui a déjà abrité quelque 250 soeurs à demi-cloîtrées (puisqu’elles se consacraient aux soins hospitaliers, ils fallait bien qu’elles voient un peu de monde), n’en compte plus qu’une dizaine.

Paraît que la plus jeune a… 30 ans! J’aimerais bien lui parler.

Elles vivent (ou s’éteignent lentement) dans une aile relativement récente, séparée, cela va de soi, de la partie ancienne, qui a été convertie en hôtellerie et en musée dans un esprit de conservation et de transmission absolument admirable.

Les vieux escaliers de bois plein, tout de guingois, vermoulus, usés par le passage de ces centaines de petits pieds affairés et silencieux, m’enchantent. Je m’égare à dessein dans ces longs corridors jalonnés de souvenirs, de meubles anciens, de tableaux saints plus ou moins réussis.

Je reste fascinée par ces jeunes filles qui entraient au monastère à 13, 14 ans, sachant qu’elles ne reverraient jamais ni leur famille, ni leur village, ni autre chose que les hauts murs du jardin où j’écris en ce moment. Elles avaient droit, une fois par mois, à une visite de 30 minutes au parloir, et encore ne pouvaient-elles voir leurs visiteurs qu’à travers une grille. Elles allaient aussi quelquefois à la campagne, pour contribuer aux récoltes.

Il est vrai que, aux XVIIe et XVIIIe siècles, il n’était pas rare que les filles se mariassent (merci de remarquer l’imparfait du subjonctif, ici) dès l’âge de 15 ans.

Sur les photos anciennes, on voit les soeurs ensemble, jeunes et moins jeunes, jouer aux cartes, patiner, travailler au jardin, s’adonner à des travaux d’aiguille, chanter en choeur autour d’un piano — et, bien sûr, prendre soin des malades, leur vocation première.

Cette existence devait bien avoir quelques avantages puisque, à une époque où l’espérance de vie ne dépassait guère 50 ou 60 ans, la plupart sont mortes à un âge très avancé.

En tout cas.

Pour perpétuer la mission initiale des augustines, on a donc voulu faire de l’hôtellerie un «havre de ressourcement». C’est pourquoi on y offre des séances de méditation, de tai chi, de yoga et autres activités salutaires pour le corps et l’esprit. Ne reculant devant rien, j’ai choisi un forfait qui comprend tout cela ainsi que les trois repas quotidiens.

Le premier jour, j’ai eu droit à une séance de qi gong privée puisque j’ai été la seule brave à me présenter.

Je me disais que ce serait bien relax après trois heures de route.

Pffff. Bascule le bassin, contracte les abdos, oublie pas de respirer (par le ventre, c’est mieux), ramasse ton qi, expire, transfère ton poids sur le pied gauche, non, l’autre gauche, oui, comme ça; inspire, les genoux bien fléchis, oups, t’as échappé ton qi!

Au bout d’une heure, j’étais morte. J’étais aussi, comme on s’en doute, en nage.

Le lendemain matin, j’ai traîné mon corps courbaturé à la marche méditative, qui consiste essentiellement à marcher trop lentement en respirant bien, les mains jointes sur le tan tien inférieur (un des trois centres de l’énergie vitale selon la médecine chinoise), soit sur le ventre, comme bouddha. Ou comme les vieux curés.

À midi, le programme «vitalité» prévoit une activité qui varie selon le jour de la semaine. Hier: méditation active sous la forme de «power shaking». En gros, ça consiste à se secouer au rythme de tambours africains pendant une demi-heure, puis à relaxer au son de la flûte japonaise. J’ai renoué avec le souvenir des petits enfants béninois qui dansent comme ils respirent et je me suis donnée à fond. J’ai transpiré au moins autant que sous le soleil du Bénin. À la fin, j’étais encore plus morte que la veille.

Mes quadriceps n’en pouvant mais, j’ai décidé de sauter la séance de tai chi du soir pour plutôt aller marcher méditativement dans le Vieux-Québec, en particulier dans la rue Sous-le-Cap, ma préférée, la seule qui soit épargnée par les hordes de touristes qui assiègent la ville l’été durant.

Là, je vous quitte, j’ai du yoga à midi. Je ne sais pas si je vais survivre à une troisième mort.

La suite plus tard…

Des nouvelles

Pour ceux d’entre vous qui ne sont pas facebookiens, je résume le dernier mois. Je me suis étrangement remise à avoir de la fièvre peu de temps après avoir réintégré mon ô combien sweet home. Ce que voyant, j’ai obtenu providentiellement rendez-vous avec mon adorable nouvelle doctoresse, laquelle a demandé des analyses sanguines. Les résultats l’ont alarmée au point où elle m’a intimé l’ordre de me rendre illico à l’hôpital — donc aux urgences. Je savais que j’allais passer une éternité à attendre qu’un médecin daigne enfin m’examiner (six heures en l’occurrence, mais accompagnée par mon indéfectible amie Madeleine, que je ne remercierai jamais assez), mais bon, fôskifô.

Je passe les détails, mais en fin de compte j’ai été hospitalisée pendant une semaine. Le premier soir, on m’a pris 18 ampoules de sang pour analyse (18, pour vrai, je les ai comptées) et on m’a fait un scan des poumons avec contraste, ce qui veut dire qu’on t’injecte de l’iode dans les veines pour mieux voir. Tu peux sentir le goût de l’iode dans ta bouche et une chaleur envahir tes parties les plus intimes (donc les plus vascularisées), c’est vraiment étrange.

Après, la fièvre est partie comme elle était venue. On m’a quand même gardée à l’hôpital, j’ai mangé des trucs dégueulasses, je me suis ennuyée comme les pierres du chemin, mais au moins on avait la clim pendant la pire canicule de l’été.

En tout cas, j’ai fini par voir une pneumologue, laquelle m’a fait une bronchoscopie, un examen qui me terrorisait, au cours duquel on te glisse une microcaméra dans les poumons. Mais, conseillée par mon amie Marie, j’avais pris soin de dire à la pneumologue et à son bataillon que j’étais totalement moumoune et stressée, si bien qu’elle m’a abondamment droguée au Fentanyl et au Versed. Je n’ai rien senti, même que j’en aurais pris un peu plus.

En tout cas.

Résultat des courses: je n’ai rien. Plus rien.

J’ai bel et bien eu ce méchant virus, qui a permis à la pneumonie de s’inviter, et il me reste à récupérer de tout ça. Mais objectivement, je suis guérite, comme j’aime à dire.

Ça fait que, mercredi, j’ai sauté dans ma petite nouvelle vieille auto (une Yaris 2007 bleue que j’ai payée 3500$) et j’ai roulé d’une traite jusqu’à Hébertville, au Lac-Saint-Jean, pour aller voir mon taciturne de frère et ma chère belle-soeur, et prendre un grand «respir» (soupir, respir, c’est logique, non?) de bon air.

Je n’étais pas certaine d’avoir l’énergie de faire ces presque 500 km le même jour, mais avec les «40 chansons d’or» de Charles Aznavour (que j’accompagne à tue-tête), un arrêt pipi-café à Donnacona et une pause au belvédère de la rivière Apica, dans le parc des Laurentides, j’ai fait ça comme une pro.

Ça fait que je suis à Hébertville, chez mon frère Charles, qui a 13 mois de moins que moi. Enfants, nous avons beaucoup joué ensemble, bâti des cabanes dans le bois ou au sous-sol de la maison familiale, capturé des têtards au lac des Grenouilles, glissé dans la côte des Mères à la brunante, fait de la raquette, construit des forts de neige, pêché la truite avec notre père, exploré l’écurie de l’ancien camp de bûcherons où se trouvait le «shack» de pêche.

Je crois qu’il se souvient de peu de choses de ces moment qui sont pour moi si précieux. Nos chemins ont divergé. Très jeune, il a peut-être ou probablement voulu s’extraire de notre famille sclérosée et s’est fait adopter par celle de sa blonde. J’ai fait la même chose. Ma soeur Paula aussi, à sa manière. Nous avons tous fui, en fait, quand j’y pense.

Je ne sais pas pourquoi je suis la seule dépositaire de ces souvenirs d’enfance.

Tous, ils croient que je les invente ou, à tout le moins, que je les enjolive.

Mais non. J’ai vraiment bonne mémoire.

En tout cas, je suis en ce moment chez mon frère Charles. Je me sens bienvenue. Je fouille dans le frigo si j’ai faim. Je me fais du café quand j’en veux. Je plonge dans la piscine si ça me tente. Je lis. Je jase (ou pas) avec Hélène. Je capote sur ma petite-nièce, Maëlle, qui a 11 mois et qui me fait fondre. On mange des légumes du jardin. J’ai cueilli hier assez de framboises pour faire huit pots de confiture. Normalement, je peux faire le triple, mais une heure de cueillette m’a épuisée.

J’en ferai une autre demain, de cueillette. Debout, penchée, accroupie, c’est bon pour ce que j’ai.

Pis la confiture aussi!