Vendredi soir au terminus

Au terminus de Movil, le service d’autocars qui m’emmène cette nuit à Caraz, règne en ce vendredi soir une indicible folie. Concert assourdissant de klaxons sur le boulevard à quatre voies où les taxis se disputent la chaussée avec des automobilistes qui, tous, semblent croire qu’ils sont les seuls à savoir conduire. Enfants qui courent, qui crient, qui jouent, qui pleurent. Appels de passagers retardataires, moteurs des bus qui tournent au ralenti dans une puanteur de diesel. Les hôtesses de Movil, tirées à quatre épingles dans leur uniforme rouge et gris, chaussées de cuir verni rouge aux talons aussi vertigineux que ridicules. Parents qui disent au revoir à leurs enfants. Couples d’amoureux qui s’embrassent longuement. Un type qui s’autoportraiture avec sa perche à selfie. Odeurs de nourriture qui émanent des petits stands de rue (tamales, riz frit, hamburgesas nappées de mayonnaise et servies avec les frites dans le pain, ou salchipapa, version péruvienne de la poutine, agrémentée de tronçons de saucisses à hot-dogs). La télé qui diffuse une autre de ces absurdes telenovelas criardes et mal jouées.

On annonce un énième départ pour Ayacucho. Je serais bien en peine de dire où ça se trouve. Movil n’a pas encore la gentillesse de fournir un accès internet à ses passagers en attente.

J’ai encore une grosse heure et demie à tuer parce que Mauricio, proprio avec sa femme, Ana, du gîte où je logeais, m’a exhortée à partir dès 20h pour me rendre à la gare de Movil — la circulation, selon lui, risquait d’être démente. Elle l’était, en vérité, mais il n’a fallu que 20 minutes à mon chauffeur pour m’emmener à bon port. Je lui ai laissé 2,5 soles de pourboire, il m’a gentiment fait la bise comme il aurait fait à sa grande soeur.

Ils sont sweet, les Péruviens, même à Lima.

La pile de mon iPad se meurt. La mienne, interne, aussi. Vivement le confort moelleux de mon siège no 32, et la nuit à me laisser bercer par le roulement du car dans les montagnes.

L’éloignement

Quand j’étais jeune (c’était il y a longtemps), mon frère François, pour une raison que j’ignore encore à ce jour (mais je subodore que c’était une ultime tentative de plaire à notre père), est entré au Collège militaire royal de Saint-Jean. Il avait quelque chose comme 17 ans. J’en avais probablement un peu moins de 14.

Mon père me disait toujours de lui écrire parce que, quand on est loin, rien ne fait autant plaisir que de recevoir des lettres de ceux qui nous sont chers. Il en savait quelque chose, lui qui avait passé de longs mois à manger de la misère dans des camps de bûcherons dans le nord de l’Ontario, puis en Angleterre et un peu partout en Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale, puis à Brandford (Ontario), alors qu’il était fou amoureux de celle qui allait devenir ma mère, à laquelle il écrivait presque chaque jour sans presque jamais de réponse.

Je résume, hein.

Ça fait que j’ai écrit ce que je crois être une innombrable quantité de lettres à mon frère, parce que déjà j’adorais écrire, mais aussi à cause de ce que m’avait dit papa: quand on est loin, on a besoin de ça. Je ne sais pas si mes lettres ont fait à mon frère le bien que je lui souhaitais, mais j’ose croire que oui.

J’écrivais aussi à ma mère, qui était hospitalisée à Québec. J’écrivais à des correspondants algériens, à des cousines qui s’en souviennent mieux que moi, à mon amie Dominique, qui habitait juste de l’autre côté du Saguenay.

J’ai gardé, je pense, toutes les lettres et les cartes que j’ai reçues dans ma vie. Celles de ma soeur, de ma correspondante suisse Vera, de mon amie Dominique, justement.

J’avais une relation particulière avec le facteur, à Chicoutimi. L’été, je l’attendais, assise dans les marches de la galerie, et il arborait toujours un grand sourire quand il avait quelque chose pour moi. Et moi, un grand sourire aussi, quand je voyais le sien.

J’ai retrouvé récemment, en faisant le ménage de mes affaires, des lettres que m’a écrites ma soeur Paula quand j’ai quitté Chicouticou pour aller vivre à Trois-Rivières. Des lettres toutes simples, faites juste pour envoyer quelque chose à quelqu’un qu’on aime. Des mots écrits à la main, de petits dessins, de petites non-nouvelles, des choses légères comme des bulles de savon, glissées dans une enveloppe sur laquelle on colle un timbre et qu’on dépose dans une boîte aux lettres. Elles m’ont fait mourir de rire et de tendresse.

Bizarrement, alors qu’écrire à quelqu’un n’a jamais été aussi facile, je m’aperçois que plus personne ne le fait.

On n’a pourtant plus besoin d’acheter des timbres, de marcher jusqu’à une boîte aux lettres. On n’a qu’à écrire quelques phrases même pas importantes, pas philosophiques, pas littéraires, juste quelques mots. Ce n’est pas si difficile…

Maintenant que je suis vraiment loin, seule et isolée (malgré l’extrême gentillesse, la totale sollicitude de mes excellents collègues), je comprends exactement ce que voulait dire mon vieux papa.

Écrivez-moi?

Lima

Le car est entré dans Lima vers 6h ce matin, mais, dans l’encombrement perpétuel des rues et des auroroutes, il a bien fallu une heure pour gagner enfin la gare de Movil Tours. De là, j’ai appelé un taxi avec l’appli Beat, l’équivalent (et concurrent) d’Uber. Le chauffeur m’a déposée devant mon hôtel à 7h, il a galamment attendu qu’on m’ouvre avant de repartir (je crois que j’ai réveillé les propriétaires), 10 sur 10 pour Beat.

Ana, la proprio, m’a préparé un bon petit-déjeuner, puis elle m’a emmenée dans l’autre maison où elle et son mari louent des chambres. Dommage, j’aimais bien la première, une grande demeure ancienne à l’architecture arabo-andalouse typique, avec un patio intérieur, des plafonds hauts jusqu’au ciel, des portes épaisses comme ça… Mais c’était complet. Que voulez-vous.

Là, je suis seule dans cette maison sans trop de caractère, au coin de deux rues passantes qui résonnent de pétarades et de coups de klaxon.

Autant le dire tout de suite: Lima n’est pas une ville facile à aimer. Et je loge pourtant dans l’un de ses «meilleurs» quartiers, à Miraflores, non loin de la mer, où se trouvent la plupart des ambassades. Évidemment, même dans ce quartier privilégié, traverser les rues demande un mélange de zénitude et d’audace qui ferait pâlir Karaté Kid en personne. Et, vrai de vrai, à côté de l’anarchie de Cotonou, du Caire ou de Port-au-Prince, ce n’est pas grand-chose. Mais dans ces rues bien asphaltées et dûment pourvues de passages pour piétons, de dos d’âne et de panneaux d’arrêt, on dirait que ça détonne plus. En tout cas, ça étonne.

Je suis allée faire un tour le long des falaises qui dominent le Pacifique. Les parapentistes se balançaient dans le ciel au même rythme que les surfeurs qui, tout en bas, attendaient une vague propice dans l’eau turquoise. Deux petits garçons de trois ou quatre ans faisaient des slaloms en trottinette à travers les couples d’amoureux, les poussettes, les joggeurs et les petits vieux. L’un d’eux avait un lacet dénoué qui menaçait de se prendre dans une roulette de son petit engin. Sa maman était hors de vue. Je l’ai interpellé: «Chiquito! Ven, déjame atar tu cordón antes de que caigas!» Bon, j’ai pas dit ça exactement, ça ressemblait plus à un genre de sabir francitagnol qu’à autre chose, mais il a compris et, le plus naturellement du monde, a docilement tendu son pied pour que je lui refasse un noeud. Puis il est reparti comme un petit chien fou.

Je suis rentrée en passant par une pharmacie, parce qu’on dirait que j’ai des allergies à je ne sais quoi. Mon nez coule constamment et ma face est une zone de guerre: j’ai des rougeurs au front et ce qui ressemble à de l’eczéma sur la paupière, on dirait que j’ai mangé une volée.

La pharmacienne m’a vendu un antihistaminique, des comprimés de dexaméthasone (un truc de la famille de la cortisone, moi qui n’ai jamais voulu en prendre, et sans ordonnance ni rien!) et un onguent pour ma paupière. Ça m’a coûté 78$, j’aurais payé n’importe quoi. Je n’ai même pas songé à lui demander une facture en bonne et due forme, je ne pourrai pas me faire rembourser par l’assurance. Tant pis.

J’espère que ça va marcher.

Il est 20h, la nuit est tombée depuis un bon moment déjà. Il faut que je sorte manger quelque chose. Le hic, c’est que ce quartier est aussi cher que chic. On est loin de Caraz, où, quand on a payé 30, 35 soles (soit autour de 15$, avec un ou deux verres de vin), on a pas mal atteint un plafond. Je viens de regarder ce qu’il y a dans le voisinage, mon allocation quotidienne va y passer, et même celle de demain!

Bon, je pense que je suis fatiguée. L’autocar a beau offrir un confort digne de la classe affaires de certains avions (on peut carrément s’étendre de tout son long), on se fait quand même barouetter pendant plus de 10 heures dans des routes de montagne qu’on aime autant ne pas voir.

J’pense que j’veillerai pas tard…

Dernière heure

Les médicaments que m’a vendus la pharmacienne font déjà effet, je me sens bien moins mal en point qu’hier. Vive la cortisone, en fin de compte… et vive surtout les pharmaciens qui peuvent faire autre chose que compter des pilules!

Un pâle soleil traverse timidement la couche de nuages (ou de pollution, ou les deux) qui voile le ciel, un petit vent doux agite gentiment les arbres couverts de fleurs; je vais me réconcilier avec Lima.

Le déménagement

J’ai refait mes bagages, ce matin, et j’ai douté un instant que tout ce que j’en avais sorti, durant ces 11 jours de vie d’hôtel, pourrait y rentrer. Mais j’y suis arrivée. J’ai aussi douté que mes deux hénaurmes valises tiendraient dans le triporteur qui m’a emmenée jusqu’à mon nouveau chez-moi. Mais oui, elles tenaient. Le chauffeur s’est décarcassé pour me monter ça jusqu’à l’étage, tout gentil, comme si ça allait de soi. Ça, et mon sac à dos, et aussi ma petite valise bleue. Pour 3 soles (prononcez «solèss»). Trois soles! Soit autour de 1,20$. Autant dire rien du tout.

La dame de l’hôtel, toute gentille elle aussi, m’a fait la bise, à la mode péruvienne, une seule bise sur la joue droite. «Tu reviendras me voir de temps en temps?», m’a-t-elle dit. Mais oui! Como no?

Hier, alors qu’il tombait des cordes, des hallebardes, des chiens, des chats et des paquets de flotte, Yony et moi sommes allés aux bureaux d’Allpa pour y récupérer quelques objets laissés là par une ancienne coopérante. Un collègue s’y trouvait, en train de compiler des résultats de formation. Yony n’a fait ni une ni deux et l’a réquisitionné pour transporter mon frigo et ma cuisinière, chose qui ne devait se faire que demain lundi. Elmer n’a fait ni une ni deux non plus. À la pluie battante, ils ont hissé et attaché ça dans la boîte du pick-up, puis grimpé ça jusque chez moi, merci, bonsoir. Juste avant, l’increvable Yony m’avait aidée à monter mon lit, et aujourd’hui il a branché le gaz de la cuisinière et m’a aidée à faire des courses.

Résultat: je dors ce soir chez moi pour la première fois. J’ai acheté aujourd’hui une couverture d’alpaga épaisse comme ça, avec des tigres dessus. Je vais rester bien au chaud, protégée par mes gros félins.

Le monsieur qui me l’a vendue, au marché, m’a serré la main je ne sais combien de fois. Il casse maison et m’a dit que, si j’avais besoin de quoi que ce soit, je n’avais qu’à sonner chez lui, au numéro 280 de la rue juste à côté, la seule maison où il y a une sonnette, et que lui ou sa femme seraient là, et qu’ils me feraient de bons prix sur tout ce que je veux.

Et j’ai aussi parlé avec un petit monsieur qui vend des tables et des chaises de bois rustiques. Il s’appelle Geronimo et il sera là encore dimanche prochain, comme tous les dimanches, et j’aurai une jolie table de chevet, une table a manger et quatre chaises, le tout fait à la main dans du bon bois d’arbre, pour 230 soles, soit environ 95$.

Les innombrables chiens de Caraz commencent leur concert du soir, j’entends des klaxons, les rumeurs d’une fiesta quelque part, des pétarades de motos-taxis.

Je suis chez moi.

L’heure péruvienne

J’ai trouvé mon appartement jeudi matin. Un joli logement neuf dans une rue toute fleurie, plein de lumière mais vide de tout le reste. Je dois donc le meubler et l’équiper, ce pour quoi SUCO me donne une allocation de quelque 800$, si ma mémoire est bonne. J’ai trouvé un canapé modulaire rouge et noir pas trop hideux (on semble beaucoup aimer les trucs brun foncé et massifs, ici), ainsi qu’un lit et un matelas qui devraient faire l’affaire, le tout pour 1500 soles, soit 600$. Mais je n’achèterai évidemment rien avant d’avoir signé le bail en bonne et due forme, ce qui commence à ressembler à un jeu de colin-maillard.

On a remis le contrat au proprio hier après-midi pour qu’il en prenne connaissance et remplisse sa partie, après quoi il faut le soumettre à SUCO pour approbation avant la signature. On espérait bien régler ça vers 18h, mais le monsieur a refusé de donner ses coordonnées bancaires afin que SUCO puisse verser le loyer directement dans son compte.

En fin de journée, il y a consenti mais, comme il était tard, on a remis la signature à aujourd’hui. On devait régler ça à 17h, mais le monsieur n’a pas donné signe de vie et, de toute façon, Yony était à l’extérieur de la ville, comme la moitié de la population: aujourd’hui, c’est férié pour cause d’Immaculée conception.

Je pars lundi soir pour quelques jours à Lima, afin d’assister à des réunions, après quoi je dois monter à Huari (mais je ne me souviens plus pourquoi!). Je ne serai donc vraisemblablement pas de retour à Caraz avant le 20 ou le 21 décembre.

J’aurais bien aimé emménager avant de partir, mais, à l’heure où je vous écris, rien n’est moins sûr. Encore que, selon Sarah, ma coordonnatrice, tout soit encore possible.

On verra bien. Le tout, c’est de rester zzzzzzzeeeennnnnnnnnnn.

Fiesta

Ce vendredi de congé a commencé au son des pétards, que les gamins du monde entier, dirait-on (sauf chez nous), font éclater partout chaque fois qu’ils en ont le prétexte. Il s’est poursuivi dans une sorte de langueur, devant l’imposante église de pierre qui domine la place centrale, où les familles déambulaient après la messe en mangeant des glaces.Ce soir, toute la ville vibre au son de la salsa et du reggaeton, qui émanent d’innombrables salles de fête. La musique va sans doute durer jusqu’au petit matin (la semaine dernière, ça s’est terminé à 5h). C’est assez curieux, en fait, ce contraste entre les dames du marché vêtues de leur costume traditionnel et cette jeunesse assoiffée de modernité…

De choses et d’autres

Les chiens

Celui-ci, c’est le boss de mon hôtel.

Je pense qu’il y a au moins autant de chiens que d’humains dans cette petite ville de quelque 25.000 habitants. Ils roupillent à l’ombre sur les crottoirs (non, ce n’est pas une coquille), trottinent de guingois en quête d’on ne sait quoi, éventrent les sacs poubelles, se reniflent mutuellement l’arrière-train et, évidemment, copulent à tout venant. Ils entrent carrément dans les restaurants et se couchent discrètement dans un coin, d’où personne ne songe à les chasser. Ils sont parfois très laids, hirsutes, vagues héritiers de cette race péruvienne sans poils qui leur a laissé le corps absurdement nu et quelques touffes de crin sur l’échine. L’universel chien jaune, évidemment, tient une bonne place dans cette meute mouvante et disparate, mais on y voit aussi divers bâtards de toutes couleurs, de toutes tailles et de tout poil.

J’ai rencontré dimanche une dame très gentille qui en a adopté six (SIX!), auxquels elle a abandonné ce qui devrait être son salon. Quand on arrive devant chez elle, on est accueilli par un affreux concert d’aboiements déchaînés. Beurk.

Maria-Angelica (c’est son nom) m’a abordée alors que je marchais le nez en l’air, dans l’espoir d’apercevoir une éventuelle affiche «Departamento de alquiler» (appartement à louer). Elle a cru que je cherchais un hôtel et voulait me proposer le gîte qu’elle tient non loin du marché. Quand je lui ai expliqué le but de ma quête, elle m’a tout de suite demandé si j’aimais les animaux. Spontanément, j’ai dit non, parce que j’avais visité l’appartement d’une ancienne coopérante de SUCO qui avait recueilli un chien errant, ce dont la propriétaire s’était montrée fort mécontente. Quand j’ai visité l’appartement, c’est la première chose qu’elle a demandée: si j’avais un chien. Une fille soigne son dossier…

Mais, sur le visage de Maria-Angelica, ma réponse a peint une consternation telle que je me suis sentie obligée de préciser que je n’avais rien contre les animaux mais que je n’avais simplement pas l’intention d’en garder chez moi. C’est là qu’elle m’a demandé si je connaissais une certaine Catherine… la coopérante qui avait adopté un chien!

C’est drôle.

Logement

Dans une petite ville comme celle-ci, les possibilités ne sont pas innombrables. L’ancien logement de la fameuse Catherine m’a paru sombre et déprimant. J’en ai visité un autre tellement grand que j’aurais peur de m’y perdre. Un autre si petit que je ne pourrais pas avoir de visite. Un autre, pas très grand mais coquet, qui aurait pu faire l’affaire s’il n’était pas juste à côté du marché, donc au milieu d’un brouhaha constant, de jour comme de nuit, avec les pétarades des motos-taxis, les cris des vendeurs, la musique, les fiestas… non merci. Un autre encore, que j’ai vu aujourd’hui, a bien deux chambres, mais il se trouve aux limites de la ville, dans un quartier un peu glauque, près de la base militaire.

Y en aura pas de facile, comme on dit.

Je suis en train d’épuiser les possibilités et peut-être aussi mon pauvre Yony, qui me sert d’ange gardien, de conseiller, d’interprète et de mémoire. Va falloir choisir. J’ai un autre logement à visiter demain, je croise les doigts pour qu’il y ait deux chambres, assez de lumière, un calme relatif et de bonnes serrures.

Le temps qu’il fait

La saison des pluies commence. Il fait doux et beau le matin, puis des nuages noirs s’amoncellent au-dessus des montagnes. Ça se met à tomber comme des cordes vers 16h, puis ça s’arrête (ou pas). Quand ça s’arrête, l’eau continue de dévaler les rues en pentes, déborde des caniveaux, sort en jets des gouttières. Puis le soleil reparaît (parfois) dans un ciel de fin du monde, fait luire tout ça d’un éclat argenté, une petite vapeur monte… on ne sait plus comment s’habiller. La nuit, quand ça tombe dru, j’ouvre ma fenêtre pour entendre bruire les feuilles du citronnier sous l’averse. J’adore ça,

Les gens me demandent si je ne souffre pas trop du froid. «Qué frío?», je réponds. Quand je leur dis qu’il doit faire –5 en ce moment au Québec, ils me regardent d’un air horrifié. C’est drôle, ça aussi.

On en a comme ça pour jusqu’à la fin février, apparemment. Après, ce sera l’été. Les prés qui grimpent à l’assaut des montagnes seront tout verts, puis rouge feu grâce aux épis plumeux des plants de kiwicha. Ce sera le moment de venir me voir. Je ne garantis pas que j’aurai une chambre pour vous… mais mon amie Maria-Angelica loue des chambres vraiment pas chères et il y a à tous les coins de rue de petits hôtels très corrects à 15$ la nuit (comme celui où je loge présentement).

À suivre, en tout cas…

«Soroche» et fatigue mentale

Le soroche, c’est le mal des montagnes. Il survient lorsqu’un humain normalement constitué monte rapidement à une altitude qui dépasse les 2000 m. La pression atmosphérique cause une raréfaction de l’oxygène, et le corps réagit en conséquence. Maux de tête, nausées, troubles intestinaux, fatigue et essoufflement en sont les principaux symptômes, qui s’estompent généralement au bout de quelques jours.

Comme Caraz se trouve à 2500m d’altitude, je n’y ai pas coupé. Les premiers jours, je me suis sentie comme une petite vieille. Je me suis nourrie à l’ibuprofène aux quatre heures avec du Pepto-bismol pour dessert, en plus de boire des litres d’eau.

Maintenant, ça va tellement mieux que notre petite équipée à Tsactsa (3050 m), samedi, m’a paru comme une balade au parc La Fontaine (sauf que je me suis mise au lit avec délectation à 21h comme si j’avais couru un marathon).

Je prends mes marques doucement dans la ville, qui se parcourt assez facilement à pied d’un bout à l’autre. Je finis toujours par aboutir au marché, qui déborde de fruits connus et inconnus, d’odeurs, de couleurs et de sons. J’ai hâte d’avoir mon logis pour pouvoir rapporter chez moi ces douceurs fabuleuses — pêches blanches à la chair un peu dure mais sucrée comme du bonbon, fleurs fraîches, avocats bien mûrs, mandarines gonflées comme des ballons… J’ai acheté à une vieille dame tout édentée un petit sachet d’arachides grillées sur le feu, qui laissent de la suie sur les doigts quand on les écale. Elle n’a pas voulu que je la prenne en photo. Mais une autre, toute gentille, qui tressait des cordes, a accepté en riant: « Comme ça, elle a dit, j’irai au Canada!»

* * *

Nous sommes aujourd’hui lundi. J’ai passé la journée en réunion avec les collègues d’Allpa et de Suco, à écouter et assimiler un tas de données en espagnol, à apprendre les noms de chacun, à tenter de faire des phrases cohérentes sans m’enfarger dans mon italien. Ça me demande un degré de concentration tel que, à la fin, mon cerveau finit par se débrancher de lui-même, sans doute pour éviter les courts-circuits. Je suis presque sûre que, par moments, je dégage une odeur de surchauffe. À la fin de la journée, plus rien n’émane de cet organe désormais épuisé, d’où mon silence sur ce blogue où j’aurais pourtant tant à dire.

Demain, autre journée de réunions (la fin de l’année approche, on en est aux bilans et aux prospectives, c’est normal). Puis, visite d’appartements. Souhaitez-moi buena suerte, j’ai hâte de m’installer.

Hasta luego!

Jardinier à Tsactsa.

À Tsactsa.

À Tsactsa.

On se demande quel âge elle a… Elle-même ne le sait probablement pas.

Tsactsa.

Tsactsa.

Une maison ornée de murales à la suite d’un concours, à Tsactsa.

Tsactsa est entouré de murs de pisé.

Jardins à Tsactsa.

Au marché de Caraz.

Au marché de Caraz.

C’est Noël au Pérou aussi…

«Comme ça, je m’en vais au Canada!»