Notre ami le douanier

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Ce soir, il faisait chaud (pourquoi prendre la peine de préciser cela, je ne sais – disons: il faisait particulièrement chaud), nous voulions de l’air. MonChéri et moi sommes donc allés prendre un verre sur la plage, ou plutôt au bord du désert qui nous sépare de la mer. Il y avait un bon vent qui ventait, un coucher de soleil couchant, bref, joie et félicité. Au moment de partir, une petite faim s’est emparée de nous, nous nous sommes donc arrêtés dans un maquis (un bouiboui) qui promet de l’igname pilée, mon plat africain préféré.

C’est un endroit sympa, mais fréquenté par beaucoup de Yovos vu son emplacement et la variété de son menu (à part quelques plat africains, c’est surtout hamburgers-frites, pâtes, pizzas, ce genre-là). Nous étions assis depuis un petit moment quand un type s’est matérialisé à notre table, affable, main tendue, sourire engageant. Il travaille à l’aéroport, à l’immigration, il s’appelle Michel, il semble nous reconnaître. Je sais bien que c’est impossible, mais comme nous avons forcément passé par son service en arrivant, bon, enfin, c’est une entrée en matière comme une autre. On engage la conversation, toujours curieux d’entendre ce que les gens ont à dire.

Il a fini par s’asseoir à notre table tout bonnement, a commandé une bière. Il nous a raconté ses histoires de douanier – une saisie de cocaïne lundi dernier, etc. Pierre lui a posé des questions sur un colis que j’attends (un nouveau Kindle, parce que j’ai cassé l’autre en m’adossant sur mon sac à main, que je ne laisse jamais sur le dossier de ma chaise ni nulle part où je ne l’ai pas à portée d’oeil ou de main). Le dédouanement, la taxe, tout ça. Michel a dit qu’il avait un ami qui travaille pour la société de courrier qui doit livrer mon Kindle, qu’il allait l’appeler pour s’informer.

À un moment, il s’est excusé, il allait téléphoner.

C’est quand j’ai vu qu’il ne revenait pas que j’ai eu un doute.

Mon sac à main était sur la table, appuyé contre le mur, bien en vue. Je l’ai fouillé. Mon portefeuille n’y était plus.

Ce qui s’appelle se faire avoir comme une débutante.

Comme toujours, ce n’est pas le fric (une quarantaine de dollars au plus), c’est toutes les tracasseries qu’il faudra traverser pour faire annuler ma carte de crédit, ravoir une carte bancaire de la Bank of Africa (déjà il m’a fallu un mois pour obtenir la première!), ce genre de chose… L’argent, notre arnaqueur, au fond, l’a bien gagné: il a si bien joué son numéro, a agi avec tant d’adresse (comment a-t-il pu fouiller ans mon sac à main et en extraire mon portefeuille sans que nous nous en rendions compte, alors que j’ai moi-même du mal à le trouver?).

Et puis il m’a tout de même laissé tout le reste: mon téléphone, mon appareil photo, mon passeport…

Il l’a bien mérité, donc.

Et nous aussi!

 

Julien

Julien est l’un des deux chauffeurs d’Oxfam. Il est d’une courtoisie et d’une gentillesse toutes béninoises, d’une patience et d’un calme absolument inébranlables.

L’autre jour, je ne sais plus où nous allions, mais j’étais en retard, je m’étais dépêchée et, comme d’habitude, je suais comme une invention. Comme d’habitude, j’ai dit que je voulais mourir (c’est mon petit côté Phèdre, que voulez-vous).

«Madame! s’exclame Julien. Ne dites pas ça! Si vous mourez, je serai trop triste!
– Mais non, voyons, ce serait chouette de mourir ici, mes funérailles au moins seraient joyeuses, pas comme chez nous, où c’est sinistre et où tout le monde pleure!
– Ah, mais moi j’ai perdu ma maman et je pleure encore…
– Oh, pardon… Quand l’as-tu perdue?
– Il y a un mois.»

Silence. Puis: «Quel âge avait-elle?
– 98 ans.»

Autre silence. Souvent, ici, on appelle «maman» toute femme un peu plus vieille que soi, ou toute femme qui nous a élevé, qu’elle soit grande soeur, tante, voisine ou grand-mère.

Ici, je penche pour la grand-mère mais, comme dans le cas de tous les Béninois que j’ai rencontrés jusqu’à maintenant, je suis incapable de deviner l’âge de Julien: il peut avoir entre 25 et 40 ans, il pourrait même avoir mon âge. Soyons diplomate.

«Ah? Alors elle a eu une belle et longue vie…
– Oui, oui, tout à fait.
– Mais si elle avait 98 ans, quel âge as-tu donc?
– J’ai 40 ans. Je suis le plus jeune de ses enfants, c’est pour ça que je l’aimais tant.»

Nouveau silence. Je suis nulle en calcul, mais 98 moins 40, ça fait toujours 58.

Bon, j’ai déduit depuis un moment que la notion d’âge, ici, est toute relative – en fait, généralement, bien des gens ne comprennent même pas la question quand on leur demande leur âge tellement la chose paraît superfétatoire. Mais Julien a de l’instruction, ça s’entend parce qu’il parle un excellent français, et il me voit très bien, du coin de l’oeil, faire le calcul dans ma tête. Il ajoute donc: «Elle s’est mariée tard…»

Je veux bien, mais une grossesse à 58 ans?

«Elle a donc été comme Sarah, la femme d’Abraham? (Je montre ici ma connaissance de la Bible, moi la mécréante, et vous saurez désormais que c’est toujours utile.)
– Voiiiiiilà! (Julien dit «voiiiiiilà» chaque fois qu’il approuve ce qu’on dit, c’est comme ça au Bénin.)
– Combien d’enfants êtes-vous?
– Neuf.»

Avant-hier, Pierre et moi sommes allés manger avec Julien, et c’est là que nous avons appris que son papa, en fait, avait eu quatre femmes (la première étant la maman de Julien). En tout, il leur a fait quelque chose comme 40 enfants, et tout ce beau monde vit dans le même carré, c’est-à-dire dans plusieurs habitations construites sur la même parcelle de terrain (ce qui est quand même assez rare puisque la plupart des hommes polygames ne font pas cohabiter leurs femmes).

Bref, nous sommes encore invités à des funérailles, celles de la maman de Julien, quelque part dans le bout de Lokossa, le 23 novembre. Tout le monde sera là – les épouses, les enfants, leurs enfants, les amis, les amis des amis, les cousins, oncles, tantes, neveux, nièces, voisins. Comment refuser?

Augustin

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Nous avons passé le week-end à Grand-Popo avec des collègues, dans un gîte tenu par un rasta béninois du nom de Gildas. C’est un colosse dont les dreadlocks montent jusqu’au plafond (il les enserre dans un morceau de coton qui pourrait bien être un t-shirt de son fils de trois ans). Il a un bon rire généreux, des centaines de disques de reggae et des recettes de cocktail au gingembre dont l’effet se rapproche de celui d’un sérum de vérité.

Dans l’après-midi de samedi est arrivé ce petit vendeur ambulant, un vaste plateau de métal émaillé en équilibre sur la tête. Dans le plateau, des noix de cajou, des arachides caramélisées, de la noix de coco râpée et grillée, de petites boules de pâte sucrée grosses comme des pois chiches qu’on appelle justement «petits cailloux» tant elles sont dures, et d’autres douceurs encore. Tout ça est soigneusement emballé dans de minuscules sachets à 50 ou 100 francs ou dans des bouteilles d’alcool ou de vin recyclées. Augustin énonce les prix, décrit ses produits, en fait gentiment tomber un échantillon dans la main des clients, attend avec patience qu’ils fassent leur choix.

Il croit qu’il a 11 ans, je dirais peut-être plutôt 12 ou 13. Il a un doux regard intelligent, un sourire fatigué aux dents parfaites. Il est propre, bien mis, mais ses pieds sont usés déjà comme ceux d’un vieil homme.

Samedi, il avait commencé par me dire que ses parents étaient décédés (c’est le mot qu’il a choisi). Mais quand il est revenu le lendemain, il a pris un moment pour s’asseoir avec moi, et nous avons pu parler un peu.

En fait, il ne sait pas où sont ses parents. «Mon papa m’a donné à quelqu’un pour qu’il m’emmène ici, chez ma tante, et puis je ne l’ai plus revu.
– C’était à Cotonou?
– Non, non, au Gabon.
– Quel âge avais-tu?
– J’étais petit.
– Cinq ans, six ans?
– Oui!
– Et ta maman?
– Je ne sais pas où elle est.»

Il ne va plus à l’école. Il travaille maintenant tous les jours pour sa tante. Il marche de la maison jusqu’au carrefour de Grand-Popo, ce qui doit bien faire trois kilomètres, aller seulement, et ne rentre qu’à la nuit tombée ou lorsqu’il a tout vendu. Sa tante lui donne 50 francs (l’équivalent de 10 cents) pour qu’il s’achète quelque chose à manger dans la journée. Avec ça, il peut peut-être se payer une boule d’ablo (pâte levée à base de maïs emballée dans des feuilles), un sachet de gari (farine de manioc diluée dans de l’eau) ou un petit cornet d’aloko (banane frite).

Les bonnes journées, quand il vend 8, 10 bouteilles de noix ou d’arachides, la tante est satisfaite.
«Et si tu n’as pas vendu beaucoup?
– Elle est fâchée.
– Qu’est-ce qu’elle fait?
– Elle m’insulte…»

Augustin a levé vers moi ses yeux un peu cernés, où pointe une lassitude qu’on voudrait effacer pour toujours. Il a poliment refusé l’eau que je lui offrais, a accepté après que j’eus beaucoup insisté le sachet de biscuits que je venais de lui acheter.

Puis je l’ai aidé à recharger son lourd plateau sur sa tête d’enfant et je l’ai regardé s’éloigner, petite âme trop tôt vieillie, le long du mur gris qui sépare les villas de la plage.

On trouve ça triste à mourir. Mais dans une certaine mesure, Augustin a de la chance: il a un toit, il vit à Grand-Popo, une jolie bourgade tranquille au bord de la mer où tout le monde le connaît. Il pourra peut-être reprendre l’école l’an prochain, si sa tante veut bien.

Il aurait pu être abandonné dans l’enfer crasseux du marché de Dantokpa, où les gamins des rues dorment en bande sous les auvents en lambeaux, d’où la police les chasse à coups de pied comme des chiens errants. Ils mangent ce qu’ils trouvent, font les travaux les plus durs pour gagner quelques francs, petites ombres laborieuses et décharnées au regard sans joie.

Parlons chiffon

La vie quotidienne étant ce qu’elle est (moto-boulot-dodo), j’ai de moins en moins de choses à raconter.

Non, en fait, c’est aussi que, le soir venu, je suis généralement exténuée. Peu importe à quoi j’ai occupé ma journée – lézarder sur la plage, me faire secouer en Jeep dans des chemins à la limite du praticable, parcourir des champs de manioc avec des agriculteurs ou me creuser le cerveau pour en extraire quelque chose d’intelligent à écrire –, je rentre à la maison à moitié morte.

Après trois mois ici, je ne manque pourtant pas de sujets d’émerveillement. Prenez les habits traditionnels, par exemple. Je passe tous les matins et tous les soirs par le même chemin. Une fois qu’on s’est habitué aux cahots, aux mares de boue, à la folie des carrefours, aux foules, au bruit, aux odeurs d’échappement et à la poussière, il reste à observer les costumes des gens.

Je ne m’en lasse pas. Jusqu’ici, j’ai peut-être vu trois ou quatre fois les mêmes imprimés, mais jamais dans les mêmes couleurs. Et c’est à se demander ce que fument ceux qui inventent ces motifs.

Il y a de grands classiques, comme celui de la poule avec oeufs et poussins, hommage à la famille. Les fleuris, toujours jolis. J’en ai un dont le nom en mina, makaiva, signifie «Qui est là?». C’est ce que m’a dit Pélagie, qui a le même en vert et mauve. Le mien est bleu; je me suis fait faire dedans une robe au look vintage qui a gagné l’approbation de Pélagie.

Il y a aussi les motifs plus traditionnels, inspirés des batiks javanais, dans des teintes indigo et sang-de-boeuf. Les abstraits à motifs géométriques, dont les couleurs ont été choisies, dirait-on, par un daltonien en phase terminale. Ainsi en est-il de notre premier costume de funérailles, mais aussi du second (car oui, nous avons de nouveau assisté à des funérailles, une fête grandiose où ont dû se côtoyer, au plus fort de la mêlée, un bon millier de personnes). Il est bordeaux et jaune avec des accents lilas, dans un motif bizarre qui ressemble à une bouche. Je me suis fait tailler là-dedans une robe-ballon du plus bel effet. Pierre s’est fait faire une chemise traditionnelle sans col, on dirait une blouse d’hôpital. À ne pas essayer dans un hôpital psychiatrique.

Oui, oui, je mettrai des photos.

J’ai vu des pagnes à motifs de ventilateur de table (!), d’autres semés d’ordinateurs portables et de CD, ou encore imprimés de crevettes toutes antennes dehors, d’ampoules électriques, de radios transistor, de petits chevaux, de portraits du président Yayi Boni (ou Boni Yayi?), d’images de la Vierge ou du Sacré-Coeur. J’ai même vu vendredi, à une cérémonie, des membres du club Lions de Cotonou vêtus d’un costume parsemé de logos de leur organisation.

Il y a des pagnes si jolis que, pour un peu, j’arrêterais sa propriétaire pour lui demander où elle l’a pris. Quand j’entre dans une boutique, je perds l’esprit, je ne sais plus où regarder et, croyez-le ou non, je finis par ne rien acheter.

J’ai encore trois mois pour me reprendre.

Pour en savoir plus sur le pagne africain: 
http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=3116

 

Dans ma rue

Dans ma rue, il y a la marchande de pain qui passe tous les matins, son lourd panier sur la tête, et qui lance à intervalles réguliers son long cri fatigué: «Pain chauuuuud!»

Il y a, le dimanche soir, d’énormes camions chargés de grands sacs de charbon de bois, qui viennent stationner dans ma rue parce que c’est la plus large du quartier. Leurs chauffeurs s’étendent dessous pour y passer la nuit, sur une natte posée à même le sable, en attendant d’écouler la marchandise.

Il y a notre voisin le colonel, qui fait ce qui semble une sieste continuelle sous le manguier chargé de mangues, dans un lit de camp à motif camouflage.

Il y a Mirabelle, la fille de Pélagie, qui accourt et se jette dans nos bras dès qu’elle nous aperçoit, quand nous descendons de moto au retour du travail. Mirabelle a 12 ans, peut-être 13. Elle ne parle que très peu et répond «Oui» à toutes les questions qu’on lui pose.

Il y a parfois Mémé qui prend le frais devant sa porte, assise sur un tronc d’arbre renversé, les mains dans son giron. Je ne manque jamais de m’informer de sa santé, et chaque fois elle remercie Dieu qu’elle soit bonne.

Il y a le minuscule atelier de couture où Philomène, toujours vêtue de tenues à falbalas, règne sur une nuée de petites apprenties en uniforme bleu qui toutes me saluent de la main chaque fois que je passe.

Il y a les cris, les rires et les conversations des clients de l’estaminet d’en face. Je m’en réjouis pour Janine, la propriétaire: ce soir, les affaires sont bonnes.

Il y a des chèvres, des enfants qui courent, des poules, des motos.

Il y a du bruit, du sable, de la poussière.

Il y a surtout de la vie.

Funérailles et autres adieux

Mes amis Facebook trouveront que je me répète, mais je le fais ici au bénéfice de ceux qui résistent encore à ce parvis d’église des temps modernes.

Vendredi dernier, vers 22h, une musique à réveiller un mort s’est mise à résonner derrière chez nous. Ça a duré toute la nuit, tout le jour suivant, et encore la nuit d’après, avec une sono digne du stade olympique. Trente-six heures de musique ininterrompue. En fait, ça n’était pas tellement pour réveiller un mort que pour lui dire adieu. Ici, on ne rigole pas avec les funérailles… mais on n’y pleure pas non plus!

En effet, plus le défunt était riche et important, plus on dépense pour lui rendre hommage. Tellement qu’il arrive qu’on ne célèbre ses obsèques que plusieurs semaines après son trépas, le temps d’amasser la fortune nécessaire pour épater famille, voisins et amis (ainsi que plusieurs inévitables resquilleurs). On installe des bâches en pleine rue (fermée pour l’occasion), on loue des chaises et une sono, on embauche un traiteur et un DJ, et on se fait faire un costume neuf. Tout le monde se fait faire un costume neuf. Dans le même tissu. Comme ceci:
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C’est d’ailleurs l’une des façons de financer les agapes: la famille achète en gros des kilomètres de tissu, qu’elle revend aux participants en coupons de 6 mètres (la quantité nécessaire pour faire un pagne, un haut et un foulard).

Nous avons été invités à des funérailles, demain à Porto-Novo. Nous nous sommes donc fait faire, MonChéri et moi, des habits dans le tissu choisi pour la circonstance. Une robe pour moi, une chemise pour Pierre, en vert lime à motifs psychédéliques orange et bleu électrique. Ça fait saigner des yeux (oui, oui, je mettrai des photos.)

On sait donc y faire, question adieux, dans ce doux pays. La preuve: voyez comment les femmes du village de Kessounou, où nous étions en mission mardi, nous ont dit au revoir. Ça donne envie d’y retourner, non? Je me demande si les funérailles donnent aux morts envie de revenir… Ça expliquerait toutes ces histoires de vaudou!

De moeurs et d’humeurs

Les hommes, on le sait, grâce à leur morphologie, ont la capacité de faire pipi debout. Cela leur confère, semble-t-il, le droit de se soulager partout et en tout temps. On a même tiré des oeuvres d’art de la chose, comme s’il y avait de quoi s’en glorifier.

C’est ainsi que n’importe quel mur peut se voir transformé en pissotière, avec les conséquences olfactives que l’on imagine. Je n’ose penser à ce que diraient ces messieurs si la situation était inverse, et si nous-la-femme nous mettions à pisser partout comme des chiens qui marquent leur territoire. Mais bon. La question est, comme on dit, purement théorique.

Dans les pays où les installations sanitaires ne permettent pas l’érection (pardon!) de toilettes publiques, ce comportement digne de l’homme de Cro-Magnon devient franchement dérangeant.

Au Bénin, par souci, je suppose, d’hygiène publique et d’éducation au civisme, des gens (autorités? propriétaires?) ont donc pris la peine d’inscrire à la peinture aérosol, un peu partout sur les murs susceptibles de subir le sort que l’on sait: «Défense d’uriner ici, amande (sic) 5000 F» (soit environ 10$). Au pif, on peut dire que l’avis est la plupart du temps observé.

Mais s’il n’y avait que les murs! Le fait est que les hommes, ici, pissent n’importe où, n’importe quand. De surcroît, ils le font au vu et au su de tous, insoucieux des regards et de la bienséance. Dans le stationnement de la banque (en plein centre-ville!), dans la rue (face aux passants!), à la plage, ils pissent, leur machin bien visible, heureux, dirait-on, de lui faire prendre l’air. Évidemment, forts de cet exemple, les garçons font pareil. J’en ai vu un l’autre jour, bien campé sur un tas de cailloux aussi haut que lui, pisser à tout vent, la graine à l’air, en regardant passer les motos d’un air absent.

Avoir été sa mère…

En tout cas.

La fin des haricots

Nous avons appris le 26 juin dernier que notre bon gouvernement canadian, fidèle à son idéologie, a décidé d’intégrer l’Agence canadienne d’aide internationale (ACDI) au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, qu’il a renommé ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. L’ACDI n’a donc plus le statut d’agence indépendante qu’elle avait et reçoit maintenant ses directives du Ministère. En d’autres termes, l’aide internationale est subordonnée aux besoins du Canada en matière de commerce et de politique.

Deuxième étape dans la réforme de l’aide au développement, le Canada met un terme définitif à son programme de coopération volontaire, partout dans le monde. L’enveloppe qu’y allouait l’ACDI (300 millions de dollars en cinq ans, répartis entre une dizaine d’ONG) sera réduite, et les fonds seront désormais attribués par appel de propositions ouverts à l’entreprise privée comme aux ONG. Si bien qu’une société minière, par exemple, pourra recevoir de l’argent pour ouvrir une école et un dispensaire dans un village où elle exploite une mine (et les villageois).

Oxfam Québec doit donc 1) choisir quels bureaux elle maintiendra dans le monde et 2) s’abstenir, à compter du 31 décembre, de toute dépense liée au programme canadien de coopération volontaire.

C’est donc dire que mon affectation se terminera trois mois plus tôt que prévu.

Je suis déçue, bien sûr. Mais dans mon cas, ça ne pose pas vraiment de problème. J’aurai quand même le temps de faire ce pour quoi j’ai été engagée, je pourrai voyager un peu après et je reprendrai ensuite tout bonnement mon poste à La Presse.

Il en est autrement de mes collègues qui, pour la plupart, ont un conjoint africain qui a besoin d’un visa pour rentrer au Canada (au moment même où le personnel chargé de  traiter les demandes de visa est en grève) et qui n’ont pas de travail qui les attend à leur retour. Quant à se replacer ailleurs dans le monde pour une autre ONG, songez à tous les coopérants canadiens qui, comme nous, se retrouvent dans la même situation: il y aura du monde au portillon!

Mais outre cette inévitable déception, dans une perspective plus large, ma petite expérience me dit que le programme de coopération volontaire a peut-être besoin, en effet, d’un repositionnement. Il est permis de se demander si cela est vraiment utile, si cet argent est bien dépensé, s’il ne pourrait pas l’être mieux.

On peut regretter (et je le regrette, croyez-moi) que cette nécessaire remise en question se fasse autour d’impératifs commerciaux mais, au fond, ça n’est pas si étonnant. Les pays riches viennent rarement en aide aux plus pauvres par pure générosité. On y va s’il y a un marché potentiel où exporter ses produits et son savoir-faire, s’il y a des ressources à exploiter, si cela constitue une position stratégique d’un point de vue géopolitique.

Le gouvernement Harper, en amalgamant les Affaires étrangères, le Commerce et le Développement, est donc non seulement cohérent avec lui-même, mais il fait ouvertement ce que d’autres font en catimini.

Je ne dis pas que ça me plaît, loin de là. Mais cela a du moins le mérite de poser clairement les enjeux. Comme le dit ce vieux Sun Tzu dans L’Art de la guerre, il est toujours bon de savoir à qui l’on a vraiment affaire:

«Qui connaît son ennemi comme il se connaît, en cent combats ne sera point défait. Qui se connaît mais ne connaît pas l’ennemi sera victorieux une fois sur deux. Qui ne connaît ni son ennemi ni lui-même est toujours en danger. »